Ce livre profondément humain est un parcours introspectif, comme le dit un vieil infirmier à Gisèle Pineau : « Quand on soigne les fous, c’est nous-mêmes qu’on soigne, qu’on aide, qu’on réconforte. Tous ces grands malades sont des reflets de nous-mêmes dans le miroir. »
Itinéraire croisé entre un quotidien où la douleur, la folie s’exposent sans fard et ; où l’auteur nous interroge sur nos propres dépressions, paranoïas, résiliences… La ponctuation n’est pas utilisée par hasard, l’auteur semble focaliser l’attention du temps avec des signes répétitifs : « ? » et « … » ; comme un dialogue entre les vies errantes sans réponses, le corps médical, celle de l’auteur « Suis-je arrivée là par hasard ? ». Et vous même lecteur ?
Mais alors, comment arrive-t-on dans les murs de la psychiatrie ?
Comment fait-on pour mettre en narration le « jeu et le je » de la folie ? :
« … »On n’arrive jamais par hasard… » Cette assertion au présent de l’indicatif vaut pour maintenant et pour tous les temps, pour l’éternité, telle une parole divine. Ici, la négation appelle clairement une affirmation, laissant planer au-dessus de vos têtes le mystère et l’angoisse, dès lors qu’est lancé ce jamais qui ne fait pas d’exception. Jamais… Comprenez bien : si l’on n’arrive jamais par hasard, cela sous-entend qu’on arrive toujours pour une bonne raison. On arrive donc en ces lieux, poussé par quelque chose de puissant, d’obscur, voire de quasi surnaturel. Arriver, c’est parvenir à destination, au terme de sa route. Arriver signe la fin du voyage. Voilà, c’est fini, on a fait la traversée pour débarquer là, exactement là. Pas de place pour le hasard, c’est irrévocable. Pas d’alternative… ».
Pour autant, l’auteur donne une explication à la folie :
Le mot…,
qu’il ne fallait pas dire,
que l’on ne pouvait entendre.
Un sourire voilé…
Pour devenir une folie sans mot,
un voyage mortel.
Une limite,
mais à quel moment décide-t-on d’enfermer le « On »
dans un hôpital psychiatrique ?
Dangereux,
mais pour qui ?
Bourreau, ou victime ?
Sans passeur…
« Les mots ont toujours eu une propension à former des flots d’images dans mon esprit ». (page 66)
gisele_pineau
Des images d’humanité,
Un rapport au bien,
au mal,
Pour vaincre le mal
On ne reste pas par hasard,
« ici, on approche l’inconnu à toute heure ».
Un monde que nous ne voulons pas voir.
Une force mystérieuse qui prend corps dans les esprits
Ou « l’Enfer-mement » est un espace pour échapper un tant soit peu
au sillon creusé par ses propres démons.
Pour faire enter ses démons dans l’enfermement du temps soi peu.
Une « Enfer-même »…
Gisèle Pineau par l’expérience du quotidien passe elle aussi dans un autre univers, celui du renoncement, de l’acceptation de sa vie, de toutes les vies présentées à son regard dénué de tout jugement.
L’ordinaire d’une vie ne serait-elle pas une folie ?
Où le hasard n’aurait pas sa place…
(« Folie, aller simple. Journée ordinaire d’une infirmière », de Gisèle Pineau, Editions Philippe Rey, coll. fugues, sortie 3 avril 2014, 208 pages, 8,50€)