Après un grand tour par les archives de Messieurs Christian Dior, Yves Saint-Laurent, Marc Bohan, Gianfranco Ferré et enfin John Galliano, Assouline s’attelle à l’œuvre du Belge Raf Simons. Avec son charisme sobre de prêtre du style, et son air de prône intériorisé, Raf Simons fait sans doute figure de créateur le plus cérébral à avoir fait sien le « new look » Dior. Parfois éclipsé par l’aura de son génial prédécesseur britannique, son travail reste pourtant fascinant, et mérite la (re)découverte du lecteur. En effet, la mode est une grande aventure. Elle nous parle de tout. Comme l’avait si judicieusement dit une célèbre chroniqueuse anglosaxonne : « si vous voulez apprendre la mode, apprenez sur tout, sauf sur la mode ! »
Né en Belgique en 1968, Raf Simons sort diplômé de la LUCA School of Arts en 1991. Très vite, il se rapproche des chantres de l’école anversoise tels Willy Vanderperre, et rentre comme interne dans le studio de son compatriote, le designer Walter Van Beirendonck. Un apprentissage au service du stylisme masculin qui dure deux ans, de 1991 à 1993, avant enfin de se lancer sous son propre label en 1995. Dix ans plus tard, Simons est nommé directeur artistique pour les lignes homme et femme de la marque Jil Sander.
De fait, l’esthétique minimaliste et la sobriété du label allemand (acquis par le groupe Prada en 1999) servent de caisse de résonnance au style Simons, qui s’approprie les nouveaux codes, à la fois créatifs et mercantiles, de ce qu’une holding attend de ses créateurs de mode dans les années 2000. Dans un contexte et une époque où les contrats des designers durent habituellement sept ans, Raf Simons remplit le sien, et, en 2012, voit plus grand. Il signe donc chez LVMH, puis, en avril de la même année, prend ses fonctions au sein du studio de l’avenue Montaigne.
Minimalisme et « hyper-Bar »
André Gide l’avait rêvé : « le monde sera sauvé par une ou deux personnes ». A l’issue du départ surmédiatisé de John Galliano, pour « sauver » l’image Dior, Raf Simons aura la lourde charge des collections femme prêt-à-porter, Haute-Couture et accessoires. Soit quelque neuf présentations par an. Un rythme d’enfer dont il s’acquitte sans broncher. A commencer par la collection Haute-Couture Automne-Hiver 2012, qui donne le la de son dresscode si défini.
Dès lors, Raf Simons revisite l’héritage de la griffe tout en jouant avec, allant jusqu’à miniaturiser ses plus célèbres silhouettes : la ligne A, la ligne H, et bien-sûr, la fameuse veste Bar. Il imagine une ligne claire, lisible, dans le droit-fil de la femme Couture, en cela que l’esthétique Dior, bien que transformée par ses idées, demeure instantanément reconnaissable dans ses traits. Cohérentes et équilibrées, ses propositions respectent l’imagerie Dior au fil des saisons, proposant même quelques challenges aux ateliers, à l’ère du numérique, des logiciels de stylisme automatisés ou de la planche graphique soumise à l’intelligence artificielle. Face à cette guerre de robots artistisés et aseptisés, l’existence continue des ateliers fait toujours figure d’anomalie réactionnelle. Pour réaliser sa mode, Raf Simons leur demande de réduire les robes de bal de Monsieur, en en gardant exactement les proportions. Ainsi minimisées, les anciennes robes deviennent bustiers, péplums brodés portés sur des pantalons cigarettes noirs.
L’harmonie de la ligne Bar, elle, s’allonge sur des manteaux à la coupe sans compromis, merveilles des ateliers tailleur. Tel ce manteau rouge empire ceinturé d’or, multi-photographié, et qui orne le présent ouvrage d’Assouline de manière majestueuse. Comme toujours chez l’éditeur, l’iconographie recèle des trésors. Fil rouge de la collection de livres, les somptueuses photographies de Laziz Hamani transmettent une émotion et retranscrivent le luxe et l’énergie propres à cette courte époque Dior par Raf Simons. Un instantané dont témoignent aussi les textes éclairants de Tim Blanks, qui capturent la vibration déjà lointaine de la période 2012-2015, date à laquelle Raf Simons mettra prématurément fin à son contrat pour cause de surmenage.
« Dior par Raf Simons » est un beau livre de classe, indispensable pour quiconque s’intéresse à la beauté, qui transcende la mode et le temps.
(« Dior par Raf Simons », éditions Assouline, texte Tim Blanks, photographies Laziz Hamani, 225 ill., sortie mai 2023, 344 pages, 195€ ; tous visuels reproduits avec l’aimable autorisation de l’éditeur)