A la source de toutes les sources
« Lorsque le vin est tiré, il faut le boire. » Avec « L’Épopée de Gilgamesh », le vin est tiré depuis 4000 ans et plus ! Officiellement plus vieux récit à nous être parvenu, ce texte nous conte l’histoire du héros légendaire Gilgamesh, roi de la dynastie d’Ourouk. Taillé sur le modèle du Héros de la tradition antique et épique, Gilgamesh subit les grandes stations du parcours initiatique de l’homme qui doit mourir, puis renaître à lui-même pour se révéler dans sa plus grande gloire au firmament des temps. Il subit ainsi toutes sortes d’épreuves, tentations, tourments, vicissitudes de l’âme et égarements des sens. Tyran sanguinaire de droit divin, il fera pénitence avant que son sort ne soit scellé. Sa destinée à valeur édificatrice est d’ailleurs intimement liée à la personnalité d’Enkidou (ou Enki), figure de l’ami (ou du dieu) bienveillant et gardien.
Gravée sur tablettes d’argile, puis tombée dans l’oubli, l’épopée du roi Gilgamesh fut enfin redécouverte au mitan du 19e siècle par un surprenant tour de l’Histoire… George Smith, alors apprenti imprimeur et visiteur assidu du British Museum à Londres, passionné par la culture de l’ancienne Mésopotamie, se fascine pour une tablette d’argile du 7e siècle avant J.-C., exhumée en 1840 sur le site de la cité antique de Ninive (actuellement Tell Kuyunjik), au nord de l’Irak. Persuadé que la gravure cunéiforme (ou santak, en sumérien, qui veut dire « clous ») est l’écriture des anciens sumériens et babyloniens, il persuade l’assyriologue Henry Rawlinson de le prendre comme assistant pour la restauration et la classification des tablettes du musée. Ensemble, les deux hommes vont apparaître comme les décodeurs récents des textes sur tablettes d’argile d’origine sumérienne, akkadienne, ou assyro-babylonienne.
Nombreux sont les textes fondateurs de la culture occidentale à narrer trait pour trait des épisodes initialement relatés dans « L’Épopée de Gilgamesh », tels « L’Odyssée » d’Homère, ou la Bible. Cette dernière, notamment, aura par exemple repris à son compte le récit diluvien. En effet, lors de sa quête d’immortalité, Gilgamesh rencontre un personnage du nom d’Outa-Napishtim (proto-figure du Noé biblique), survivant du Déluge, qui lui raconte des pluies torrentielles déclenchées par les dieux durant six jours et sept nuits dans le but d’éradiquer l’espèce humaine sur terre. Preuve s’il en est encore besoin que « L’Épopée de Gilgamesh » est à la source de toutes les sources, par ruissellement temporel et glissement géographique, distorsion et absorption sémantiques.
L’Ascension de Gilgamesh
La traduction de la présente édition a été confiée à Abed Azrié, chanteur et compositeur syrien, né à Alep. D’abord à destination d’une mise en musique, puis de l’enregistrement d’un oratorio en 1977, son travail s’articule autour de traductions arabes, elles-mêmes traduites de fragments originaux.
Epousant les mille facettes et autant d’interprétations de « L’Épopée de Gilgamesh », cette nouvelle publication est illustrée en creux par l’art mésopotamien. Le photographe Jean-Christophe Ballot a capturé, dans un noir et blanc évocateur, 100 artefacts de l’ancienne Mésopotamie détenus dans des collections muséales, et 14 sites archéologiques irakiens parmi lesquels Borsipa, Ourouk, Our, Nippour, etc. Dès lors, la magie opère et la beauté du texte rejaillit sur des images quasi étranges, presque ascétiques, de statuettes votives assyriennes, de petits sceaux-cylindres, de colosses de pierre, de plaquettes, de vases, d’orthostates (pierres dressées) éborgnées, de koudourrous (pierres-limites), de bas-reliefs, de tablettes d’argile dentelée gravées de coins, de prières et d’histoires…
Point d’orgue de 30 ans passés au service du livre de collection, « L’Épopée de Gilgamesh illustrée par l’art mésopotamien » est un immense récit, mais un récit à la portée de l’homme moderne, qui, à l’instar de Gilgamesh, peut choisir de faire le Mal ou le Bien, tailler dans son Enfer d’aujourd’hui pour se préparer à son Ascension demain, et, ni vu ni connu, réussir son présent d’Être conscient. Vivre, au lieu de survivre. Libre. Ce beau volume inédit paru chez Diane de Selliers Editeur est son éloge.
(« L’Épopée de Gilgamesh illustrée par l’art mésopotamien », Diane de Selliers Editeur, « La grande collection », 100 œuvres mésopotamiennes et 14 sites antiques irakiens photographiés par Jean-Christophe Ballot, traduction de l’arabe et notes d’Abed Azrié, introduction de Gabriel Bauret, direction scientifique de l’iconographie et introduction d’Ariane Thomas, 1 volume relié sous coffret, sortie octobre 2022, 280 pages, 230€ ; tous visuels reproduits avec l’aimable autorisation de l’éditrice)