« Je veux être poète, et je travaille à me rendre voyant » in. Lettre du Voyant
C’est à un voyage clairvoyant de l’Esprit traversé des fulgurances artistiques des plus grands maîtres de la peinture moderne que nous convie Diane de Selliers Editeur. L’héritage des jeunes années rimbaldiennes y discute, dans une forme inédite, avec la richesse iconographique des 184 œuvres rassemblées et commentées, pour un beau livre ultime.
Arthur Rimbaud n’a que 16 ans lorsqu’il écrit, en vers et en prose, le riche corpus qui constituera Poésies, Une saison en enfer et Illuminations. Par sa volonté farouche de marquer le temps et son passage sur Terre, les couleurs en vert et en rose de son Verbe et la lumière tranchante de l’hybris qui jamais chez Rimbaud n’est loin, l’aède de Charleville-Mezières cherche à bouleverser le son et la langue avec autant de vigueur que les plus vifs poèmes d’Alfred de Musset ou Victor Hugo.
Chantre de la lucide voyance, du réenchantement du monde par le recours à l’onirisme cosmique, de l’itinérance solitaire comme du rejet des valeurs familiales, religieuses et sociales, Rimbaud pose dès 1870 les bases feu de ce qu’il amplifiera par la suite dans sa production poétique et sémantique.
Ses Poésies, composées d’un ensemble de 22 poèmes écrits de janvier 1870 à la mi-septembre 1871, s’y divisent en deux catégories : les 15 premiers recopiés dans un cahier à destination du poète Paul Demeny (cahier de Douai), les 7 derniers écrits en Belgique. Le tout invente une langue qui, dans les mots de Rimbaud, « sera de l’âme pour l’âme, résumant tout, parfums, sons, couleurs. »
Une saison en enfer, recueil rédigé en juillet 1873, est un chant halluciné, totem sauvage et primitif marqué par la quête d’un éveil intérieur et la révolution du Soi. Une initiation affamée d’absolu que Paul Verlaine commentera : « Prodigieuse autobiographie psychologique, écrite dans cette prose de diamant qui est la propriété exclusive de son auteur. »
Somewhere over the Rimbaud
Poésies, Une saison en enfer et Illuminations : un bouquet comme une trinité païenne où chaque vers fleurit pour s’épanouir au creux des gorges jusqu’en dehors des bouches. On vous y encourage : les vers de Rimbaud, déclamez-les à haute voix ou susurrez-les du bout des lèvres, ils sont faits pour respirer.
Dans Illuminations, dont l’étymologie en anglais signifie littéralement « gravures coloriées » (le sous-titre que le jeune Rimbaud avait donné à son manuscrit), le poète du val y manie le brouet d’une pensée poétique et métaphysique que l’alchimie de la parole porte aux nues.
L’archange-ciel, roi des lettres après Charles Baudelaire aux côtés duquel ses vers voisinent par le génie insomniaque du double singulier, et avant Marcel Proust auprès de qui sa prose chemine de nos jours, car elles sont en effet les plus commentées, disséquées et aimées de toute l’histoire littéraire et poétique de France.
Rimbaud, poète de 16 ans, conjugue enfin la synesthésie : le don de voir des correspondances et du sens là où chacun ne trouverait que chaos insignifiant.
« J’inventai la couleur des voyelles ! – A noir, E blanc, I rouge, O bleu, U vert. – Je réglai la forme et le mouvement de chaque consonne, et, avec des rythmes instinctifs, je me flattai d’inventer un verbe poétique accessible, un jour ou l’autre, à tous les sens. Je réservais la traduction.
Ce fut d’abord une étude. J’écrivais des silences, des nuits, je notais l’inexprimable. Je fixais des vertiges. » in. Alchimie du Verbe extrait d’Une saison en enfer.
Respectueux de la charge spirituelle et parnassienne de l’entreprise rimbaldienne, ce nouvel ouvrage paru chez Diane de Selliers Editeur prodigue un jeu de cascades visuelles qui réveille et secoue l’imagination du lecteur comme celle du Verbe. L’intelligence et l’élégance de la mise en page y mettent en correspondance, à la lecture, les perles picturales des mouvements impressionniste, cubiste, surréaliste, futuriste, fauviste, expressionniste, abstrait, orphiste. Redon, Munch, Kandinsky, Kupka, Van Dongen, Kirchner, Braque, Mondrian, Fabry, Russolo, Boccioni, Delaunay, Schiele, Dix, Ernst, Nery… Les plus grands prophètes de l’art au tournant du 20e siècle y déploient par leur présence toute la pertinence et l’évidence d’un dialogue entre images et sons.
« Rimbaud ne raconte rien : il donne à voir et son discours est un chant. »
Auteur de la préface, Stéphane Barsacq (Rimbaud : celui-là qui créera Dieu, 2014, Seuil) introduit le lecteur à cette édition, mettant en relief l’esprit de contradiction, l’élan de liberté et la part d’enfance de « l’homme aux semelles de vent ». Les notes accompagnant chacun des poèmes, rédigées par André Guyaux, spécialiste de littérature française du 19e siècle, revues et adaptées pour le livre d’après l’édition publiée sous sa direction en la Bibliothèque de la Pléiade (2009), parachèvent l’ouvrage.
« Cela s’est passé. Je sais aujourd’hui saluer la beauté. » in. Alchimie du Verbe extrait d’Une saison en enfer.
Une lecture illustrée et illuminée qui procure, à n’importe quel âge, le plaisir d’un amour de jeunesse. Peut-être la vôtre…
(« Poésies, Une saison en enfer, Illuminations » de Rimbaud, à la lumière de la peinture moderne au tournant du XXe siècle, Diane de Selliers Editeur, « La grande collection », préface de Stéphane Barsacq, sous coffret illustré, 184 peintures, sortie 17 septembre 2015, 432 pages, 195€ jusqu’au 31 janvier 2016, 230€ ensuite ; tous visuels reproduits avec l’aimable autorisation de l’éditrice)