Enfin l’art consommé qu’il a de tricoter son racontar avec des écheveaux de docte ignorance, de composer sa musique sur des arpèges crochus, de faire s’arraisonner son bâtiment de papier au style byzantin des belles trames. C’est qu’il travaille à la dispersion, l’Eco, dans l’égout et à la mine, il usine au sursaut de conscience à coup de brutale cadavérisation de l’humaine bêtise. Et ses listes, ah ! son vertige de la liste ! Voilà t’y pas que, trente ans après « Le Nom de la Rose », on le retrouve à se coltiner les pierres tombales de son bien nommé dernier opus, « Le Cimetière de Prague », paru en France chez Grasset. Essayiste compulsif, le bonhomme romance peu. C’est dire si chacune de ses extrapolations romanesques est attendue au tournant !

"Cimetiere de Prague" d'Umberto Eco - Editions Grasset

« Le Cimetière de Prague » d’Umberto Eco – Editions Grasset

On se rappelle que la sortie italienne du « Cimetière de Prague » fut assortie d’une volée de bois vert comme d’un chapelet de boulets rouges. La cause ? Une intrigue à mille et une ramifications dans le droit fil de la tradition feuilletoniste qui cause maçonnerie, jésuiterie et « Protocoles des Sages de Sion ». Imaginez du Dumas sans ses « Trois Mousquetaires ». Car, chez Eco, D’Artagnan s’appelle Simon. Simon quoi ? Simon Simonini. Un nom qui fait écho. Personnage fictif gonflé d’ambiguïté dans un récit qui n’en manque pas, le garçon est veule, menteur, hâbleur, conspirateur. Et faussaire. Ce dernier point n’a rien de la pose ou du trait de génie. Simonini fabule du faux avec du vrai, du faux avec du faux, en fait du faux avec à peu près n’importe quoi. Et, puisque c’est son métier, sont convoqués dans le désordre bon nombre de papelards contemporains à fort pouvoir corrodant. L’histoire du livre est d’une gageure originale, ses rebondissements menés tambour battant, la verve picaresque du « scélérat » piémontais, sans pareille. Pourtant, ce tombereau de qualités incomparables n’eut pas l’heur de plaire aux tenants de la doxa tripartite. Qu’importe ! On ne peut pas plaire à tout le monde ! Et tant pis si certains jugent une œuvre sur des trébuchets qui lui sont étrangers. Une histoire est une histoire. « In angulo cum libro » lisait-on dans « Le Nom de la Rose ». Le Lecteur assidu saura traduire.

(« Le Cimetière de Prague », d’Umberto Eco, éditions Grasset, traduit de l’italien par Jean-Noël Schifano, sortie le 23 Mars 2011, 560 pages, 23,35€. Ce livre exite aussi en ebook, 8,49€)