Sa « Petite Maison de Couture » bouscule les codes classiques du prêt-à-porter. Et relève avec brio le pari d’une mode intelligente, individuelle et unique. Autant d’atouts qui font de La Petite Maison de Couture une destination parisienne à la carte.

Une finlandaise à Paris

Anna Ruohonen garde toujours un peu des ses origines dans la poche. En vraie parisienne, elle vient d’ailleurs : de Finlande, du pays des fjords et du Cap Nord, de la terre aux milliers de lacs. Spécialiste de la confection pour homme à ses débuts, elle remarque qu’ « en Finlande, pour l’homme, on n’avait pas d’entre-deux : le client avait le choix entre le costume et le jogging, rien d’autre ! Mon sentiment à l’époque était que les hommes se trouvaient complètement perdus. Comment s’habiller si on n’est ni costume, ni jogging ? C’était pour moi une réflexion… » Comme pour la créatrice, les choses ont fini par évoluer en Finlande…Ainsi, elle entre à l’université d’Art et de Design d’Helsinki, d’où elle sort diplômée en 1994. « Après mon  passage par la Gerrit Rietveld Académie d’Amsterdam et l’université des Arts à Utrecht en Hollande, poursuit-elle, j’ai fait l’IFM à Paris. Mes débuts étant dans l’univers homme, j’ai eu le pied à l’étrier tout de suite, puisque les acheteurs (surtout japonais !) dans les salons, se sont mis à s’intéresser à mon travail. Après, j’ai été propulsée parmi les gammes « jeunes créateurs », à côté de Dries Van Noten, etc. Qu’on m’encourage comme ça m’a vraiment été d’une grande aide et profitable sur la durée, s’amuse Anna, la preuve, je suis restée dans ce métier ! »

Anna Ruohonen – La Petite Maison de Couture, Etiquette

Anna Ruohonen – La Petite Maison de Couture, Etiquette

Ses primes élans artistiques, se souvient-elle avec émotion, naîtront avec sa grand-mère : « je l’observais, enfant, j’ai beaucoup travaillé à la main avec elle, avec une sorte de connivence spirituelle et je lui dois peut-être ma sensibilité « textile ». » Anna explique : « à la base, je voulais être peintre. Ma sensibilité première je l’ai puisée dans l’art plus que dans la mode. Au final, être peintre, c’est un travail trop solitaire pour moi qui ai besoin de travailler en équipe. J’ai donc été vers la mode presque par hasard ». Si Anna puise son inspiration dans l’épure et le design de son pays natal, c’est sa culture d’adoption qui l’influence au quotidien. « Paris, c’est une ville merveilleuse et la capitale de la mode, lâche-t-elle, enthousiaste. Pour moi qui suis là depuis longtemps, les gens dans les rues, le style, l’architecture, c’est toujours une surprise. Et le climat me change d’Helsinki où je retourne tous les mois pour mes activités ! »

Anna et le choix

Il y a 5 ou 6 ans, Anna Ruohonen, pressentant un changement des mentalités, opère un virage radical : « j’avais l’impression que le monde changeait de telle façon que les gens allaient bouleverser leurs habitudes de consommation. En tant que professionnel, c’est très dur de s’adapter à ce genre de transformations après coup. » Elle poursuit : « avec une étude poussée, nous nous sommes donc intéressés à l’acheteur de demain : ce qu’il veut, ce qu’il ne veut plus, son mode de vie, son quotidien, etc. Ça nous a donnés une base stratégique sur laquelle construire notre concept de La Petite Maison de Couture, d’abord en Finlande, puis finalement à Paris. » Pour Anna, comme pour sa marque, il ne sera dès lors plus question d’un prêt-à-porter en série, fut-il d’une qualité irréprochable. « La prise de conscience a été graduelle. On s’est dit qu’il y avait deux obstacles lorsqu’un vêtement vous plaît : la taille et la couleur. On aime telle pièce, mais elle n’existe pas forcément dans sa taille. Ou bien, on trouve sa taille, la pièce de son choix, et là, aïe ! elle ne se fait que dans une ou deux couleurs, c’est très limitatif et vous n’avez pas de choix » Depuis ce temps, Anna Ruohonen ne conçoit plus ses collections qu’en semi-couture, ou demi-mesure.

Anna Ruohonen – La Petite Maison de Couture, couleurs

Anna Ruohonen – La Petite Maison de Couture, couleurs

Il y a un luxe ultime à pousser la porte deLa Petite Maison de Couture : vous aurez le choix. Les client(e)s craquent sur le ou les modèles de leur envies. Après la prise de mesures, vient le moment de déterminer dans quelle(s) couleurs(s) les pièces seront coupées. Quelques jours d’attente et une fabrication aux petits oignons plus tard, vient le jour de l’essayage. « La plupart du temps, nous confie la créatrice, les pièces tombent juste dès le premier essayage. Dans le cas contraire, on retouche une fois et la personne peut repartir avec son vêtement en semi-couture. C’est un procédé très simple qui ne frustre personne. » En résulte une absence de stock dans laquelle Anna Ruohonen et ses artisans puisent liberté et originalité. Si elle imprime sa griffe reconnaissable sur les collections qu’elle crée, Anna Ruohonen n’influence pas sa clientèle dans ses désirs spécifiques, au contraire. Entrer dans La Petite Maison de Couture, c’est aussi pénétrer dans un espace  qui laisse libre cours à la créativité que chacun porte en soi, à l’image de ces vestes bicolores qui réchauffent l’hiver.

« Je les ai imaginées en rouge et fuchsia, mais si le ou la client(e) veut les manches vertes et le corps bleu, ou  bien un total look noir uni, j’en suis ravie, lance Anna en souriant. Ça prouve qu’il a compris ! » Tout juste oriente-t-elle vers telle ou telle matière, car la fibre d’un habit et son tombé sur le corps sont, pour la designer scandinave, des absolus référents sans lesquels son métier perd de son sens. « Pour moi, développe-t-elle, la matière joue vraiment un rôle essentiel, il ne faut pas la forcer. C’est pourquoi nos clients sont libres de vouloir telle pièce à leurs mesures, dans telle couleur, mais je me réserve le choix de la matière car c’est tellement important. La beauté est dedans et je ne couperais pas une robe en soie comme le même modèle en laine, ça n’a pas de sens. » Une quête de vérité et une recherche esthétique constantes qu’Anna Ruohonen applique avec mesure.

 

La Petite Maison… du Futur !

A plumage innovant, ramage de pointe. La Petite Maison de Couture a désormais son écrin à Paris, inauguré au printemps 2013, 227 boulevard Raspail dans le 14earrondissement de la capitale. Un lieu protéiforme aux compétences associées où conception, essayage et fabrication s’imbriquent de A à Z pour évoluer dans une synergie unique. Emergeant tel un ovni de verre et de zinc dans le paysage parisien, l’immeuble (conçu par son compatriote et architecte Pekka Littow) abrite l’entièreté de la chaîne de production. Etroit (seulement 23 m² d’emprise au sol pour 7 niveaux), pensé éco-durable, l’édifice voulu comme une maison de ville est aussi bien une curiosité du boulevard, qu’un défi à l’opacité marchande de certaines Maisons, pour qui le secret rime avec l’à peu près. « Notre souhait, dévoile la créatrice, était que le promeneur puisse comprendre de l’extérieur ce que nous faisons ici. Rien n’est caché, toutes les étapes sont visibles depuis la rue, je crois que c’est assez unique ! » De fait, le lieu est unique et résonne de son activité.

Anna Ruohonen – La Petite Maison de Couture, Vêtement de soie

Anna Ruohonen – La Petite Maison de Couture, Vêtement de soie

Dès le rez-de-trottoir, le ton est donné : s’y déploient les collections d’Anna dans un éventail de propositions limité au plus juste afin d’inciter la clientèle à se projeter. Le showroom continue au sous-sol, aperçu en transparence par une dalle de verre sécurit face à l’entrée. Les deux niveaux supérieurs sont dévolus à la confection. C’est là que les couturiers façonnent, coupent et assemblent les vêtements à grands renforts d’épingles et de ciseaux, de patrons et de bobines de fils multicolores ! Aux derniers étages, se nichent respectivement le bureau/atelier de la créatrice, une kitchenette et la terrasse au charme nordique, tendue d’ipé. Cet immeuble est le repaire d’Anna Ruohonen. Autant dire : sa grande fierté. « D’emblée, il était question pour moi d’avoir un endroit qui fasse écho à ma marque, mais où La Petite Maison de Couture pourrait aussi servir un propos d’actualité, je crois, qui est celui de l’habitat éco-responsable. »

Anna Ruohonen – La Petite Maison de Couture, Bobines de fil

Anna Ruohonen – La Petite Maison de Couture, Bobines de fil

Elle continue : « notre structure lutte à sa manière contre le gaspillage énergétique : nous n’avons pas de climatisation, la ventilation s’effectue naturellement avec l’air qui circule entre les étages. Il n’y a pas d’ascenseur, juste des réservations dans les murs pour l’installation éventuelle d’un monte-charge, mais pour l’heure on s’en passe très bien. Les trois étages du haut ont été constitués avec, à l’esprit, la possibilité d’en faire un usage résidentiel ultérieur, sans bouleverser la structure. L’été, les larges baies nous donnent l’illusion de travailler en extérieur, quand l’hiver elles apportent une lumière maximum et nous isolent du froid sans contrepartie ! » Une accessibilité idéale et une hyper modernité que La Petite Maison de Couture partage avec son voisin, la Fondation Cartier pour l’art contemporain.

Retour vers la Couture

Les collections Anna Ruohonen s’organisent en semi-couture autour de deux grands axes : « White Label », destiné à coller à l’esprit d’une saison, et « Black Classics », proposant des classiques contemporains que la créatrice maintient saison après saison. De la soie, du lin, du coton travaillé ou de la laine, des matériaux nobles qui évoquent un style plus qu’une mode, une tendance ou un courant. Les matières fétiches d’Anna sont aussi celles qui se « sculptent » le mieux : « pour le travail préparatoire, je ne dessine pas beaucoup, juste quelques croquis. En revanche, je travaille énormément chaque tissu sur mannequin, ça c’est ce que je préfère et je monte souvent les prototypes moi-même. »

Anna Ruohonen – La Petite Maison de Couture, Patrons

Anna Ruohonen – La Petite Maison de Couture, Patrons

Comment ses clients perçoivent-ils cette liberté de choix que leur offre La Petite Maison de Couture ? « Les hommes sont plus habitués à ce travail minutieux, au plus près de leurs mesures, à cause de la tradition du tailleur qui est encore très présente. En tout cas, attendre une semaine ne les gêne pas, alors qu’une femme a depuis 60 ans pris l’habitude de quitter une boutique, son achat sous le bras. On redécouvre petit à petit le plaisir de s’habiller pour soi. Les gens ne veulent plus jouer le rôle de simples porte-manteaux. C’est à ce renouveau des mentalités que nous devons répondre, accueillir et accompagner. » Soit un achat plus conscient, plus intime et moins mainstream que par le passé. Et Anna Ruohonen d’enfoncer l’aiguille : « je pense vraiment que la manière d’appréhender les vêtements, comme au 20e siècle, a vécu. » Les gens aspirent à plus d’authenticité, et ça ne passe pas forcément par un trou dans le porte-monnaie ! « J’ai dit l’autre jour à une amie que, mine de rien, avec tout ce qu’elle avait dépensé pour acheter ceci ou cela dans les enseignes grand public qui fabriquent en Indonésie, elle aurait pu choisir une seule belle pièce chez Dior ! Ce qui compte avant tout quand on achète un produit, ce n’est pas le prix qu’on y met, c’est la qualité qu’on réclame, et qu’il nous ressemble, non ? »

Anna Ruohonen – La Petite Maison de Couture, vêtements suspendus

Anna Ruohonen – La Petite Maison de Couture, vêtements suspendus

« L’évolution dans le vêtement, commente Anna Ruohonen, lework in progress, m’intéressent beaucoup. Dans ma vision du métier de créatrice, le but est de concevoir des pièces de design, proches du « lifestyle »de la personne qui va les porter, plutôt que des pièces d’habillement pour couvrir le corps. Ça, se sont deux approches complètement différentes. Je me reconnais quelque part entre une philosophie, un bien-être, et une slow fashion au service du client. »

Anna Ruohonen – La Petite Maison de Couture, 227 Boulevard Raspail, 75014 Paris

Anna Ruohonen – La Petite Maison de Couture, 227 Boulevard Raspail, 75014 Paris


La Petite Maison de Couture
est à la mesure de ses convictions. Sa mode invite le consommateur à considérer la pièce pour sa beauté intrinsèque. D’ailleurs, Anna Ruohonen travaille sur ses premiers imprimés pour la saison prochaine, une collection qui s’annonce avant-gardiste et estivale. Le cousu Couture en plus !