L’ouvrage s’attache à décrire avec force portraits, fac-similés, autochromes, reproductions de notes manuscrites ou de carnets de marche remplis à fleur de courage et exécutés à la pointe du trépied, près d’un demi-siècle (1866-1914) d’explorations françaises en terre exotique. Ceci avant que la première guerre mondiale et la marche globalisée des hommes ne contrarient tout net ces étonnantes odyssées qui faisaient qu’une poignée, avec leur cœur pour (presque) unique boussole et leur passion en bandoulière, harnachaient mules ou dromadaires pour lever, avec barda et bagages, l’ancre vers l’inconnu. Lever l’encre, il en est aussi question dans ce volume qui s’apprécie comme un grand vin : avec le temps à l’esprit. Car, pour raconter ces histoires de marins, de savants ou de fous, il fallait le concours de plumes baladeuses. Un aréopage de ces plumitifs libres comme le vent (Eric Fottorino, Jean-Christophe Ruffin, Isabelle Autissier, Marie Seurat, etc.) s’y voit donc convoqué, sous la direction scientifique de Pierre Fournié, afin de tracer par des mots les contours flous de périples tantôt extravagants, tantôt mystiques.
« Ici vivent des dragons » lisait-on jadis sur d’élégants phylactères constellant cartes et mappemondes médiévales. La tératologie, si elle nous apparaît aujourd’hui charmante et désuète, n’était pourtant déjà plus l’affaire des cartographes du passé. Ils étaient trop obsédés par les routes non foulées et les contrées inviolées pour se disculper de la faillite du savoir et chercher, par le recours aux monstres, à exorciser la peur du gouffre tapie dans chaque homme. A découvrir ces itinéraires empruntés par d’involontaires hérauts que le courage et la curiosité auront poussé par monts et par vaux, on se dit que l’homme d’alors était au seuil d’un authentique mystère. Parti bien loin avec bien peu. Mais sans peur.
« Ce n’est pas au hasard que doit se dessiner le voyage. Un logique itinéraire est exigé, afin de partir, non pas à l’aventure, mais vers de belles aventures. » Ces mots sont de Victor Segalen. Médecin de la marine, poète, Segalen ausculta les entrailles de la Chine de 1909 à 1914 en compagnie de son épouse, de Jean Lartigue et d’Auguste Gilbert de Voisins dans ce qui sera connu sous le nom de « mission Segalen-de Voisins-Lartigue ». Homme de percept plutôt que de concept, à l’imagination tissée de ces brumes qui s’élèvent parfois au-dessus de Sichuan, il cherchait à travers son périple à comprendre l’intrinsèque puissance des choses encloses dans la matière grave. Et quoi de plus aride que des tumulus de terre pourpre, des grottes creusées dans les falaises arides, des déserts, des tombes, et la Chine immémoriale ?! Que dire encore des expéditions du commandant Charcot dans le piège glacé de l’Antarctique, de la descente de Louis Gustave Binger en enfer dans la forêt ivoirienne, ou bien du mythique Pierre Savorgnan de Brazza au Congo, en marge de tout sauf de lui-même ?
Deux nouveautés : les turpitudes sublimes d’Arthur Rimbaud au golfe d’Aden, entre trafics, orgueil et recueillement solitaire. Puis l’incroyable et néanmoins authentique projet fou du banquier Albert Kahn et de ses opérateurs partis « archiver la planète » d’est en ouest, des Balkans jusqu’au Tonkin. 500 illustrations, pour la plupart inédites, ornent l’ouvrage. Un chiffre qui fait de ces « Aventuriers du monde » une somme inégalée sur les grandes missions et travaux exploratoires de la France d’avant les deux guerres et l’ère moderne. Le livre idéal pour voyager immobile, s’instruire et rêver les yeux ouverts sur le sable des p(l)ages offertes.