Sur les 135 lots mis en vente, quelques merveilles et bien des curiosités, tels ces « Cérémonies magiques en Afrique noire » réalisées à la mine de plomb par René Daumal, une gouache datée 1984 d’Eugène Ionesco, des aquarelles de Guillaume Apollinaire ou d’Henry Miller, un dessin légendé à l’encre et à la plume de Guy de Maupassant, ou encore une œuvre graffitée de la main de Marcel Proust par laquelle le couple contracta cette étonnante obsession pour les peintures d’auteurs en 1971…

« Peintures et dessins d’écrivains, de Victor Hugo à Boris Vian », de Donald Friedman, Beaux Arts éditions - Aquarelle de Guillaume Apollinaire

« Peintures et dessins d’écrivains, de Victor Hugo à Boris Vian », de Donald Friedman, Beaux Arts éditions – Aquarelle de Guillaume Apollinaire

Avocat américain lui-même romancier de son état, Donald Friedman a la même passion. Comme Vladimir Nabokov et sa folie des lépidoptères, Friedman a passé des années à rechercher, classer et épingler les « griffonnages » de littérateurs illustres dont l’invention picturale répondait autant d’une évasion, d’un vagabondage de l’esprit, que d’un écho en images à leurs écrits. Une seconde œuvre quelque part, cohérente d’avec la matrice littéraire, mais encore singulière. Pour la plupart issus de collections privées et jamais publiés, ce sont 200 dessins, collages ou peintures capturés par Donald Friedman et répartis sur une centaine de plumes, qui n’avaient pas plus à rougir de leur talent d’écriture que de leur coup de crayon !

Beaux Arts éditions publient en français cette somme du genre intitulée Peintures et dessins d’écrivains, de Victor Hugo à Boris Vian. Les amoureux des deux arts majeurs y trouveront aussi bien matière à augmenter leur savoir dans l’un, qu’à le perfectionner dans l’autre. Friedman n’a plaint ni son temps, ni son affection teintée d’admiration pour ces artistes-auteurs à propos desquels, dès qu’il le peut, il glisse des morceaux d’entretiens très intimes dans l’ouvrage. Des exquises esquisses de Jack Kerouac, swinguées entre les rythmes du jazz et la technique de la BD héritée de son frère défunt, on passe dans le désordre aux fameux « hiéroglyphes personnels » de Franz Kafka qu’on n’imaginerait pas différents, si proches des récurrences de l’auteur de La Métamorphose. Parfois, il arrive que ces pièces parallèles étonnent, en témoignant d’un versant autre de la personnalité d’un écrivain que celui auquel nous avaient habitués ses textes, illuminant leur créateur d’une intense ambigüité.

Dessins de Franz Kafka

Dessins de Franz Kafka

C’est le cas pour Lawrence Durrel dont la peinture témoigne de sa passion contrariée pour la couleur, et peut-être d’une vocation plus profonde encore que l’aspiration littéraire et poétique. Pour lui et pour son ami Henry Miller : « Il y avait comme un Rubicon à franchir… » entre carrière d’écrivains et vie d’artistes. Picasso, Braque ou Matisse n’étaient-ils pas un peu des poètes contrariés, impuissants à traduire en mots ce que leur pinceau exprimait avec tant de clarté, de fluidité ?

Dessins de Charles Bukowski

Dessins de Charles Bukowski

Rendu presque aveugle après une maladie qui le frappa à seize ans, l’écrivain du Meilleur des Mondes, Aldous Huxley, pratiquait en plus du piano, la peinture en une synesthésie et un tout parfaitement homogènes avec les histoires qu’il entendait faire la queue à la porte de son esprit. Ces huiles chargées de pigments vifs, gais et solaires, quasi méditerranéens se font une place parmi les grandes utopies littéraires de ce visionnaire qui constatait, il y a moins d’un siècle : « Nous sommes capables de voir plus d’une chose à la fois et nous sommes capables d’entendre plus d’une chose à la fois. Mais, malheureusement, nous sommes incapables de lire plus d’une chose à la fois. Il est vrai que dans toute bonne métaphore il y a une fusion… »

 

Artistes maudits, de Karim Ressouni-Demigneux

En parallèle, Beaux Arts éditions publient Artistes maudits. Le récit de 30 destins tragiques. L’auteur, Karim Ressouni-Demigneux, est docteur en histoire de l’art et a consacré une thèse à l’iconographie de saint Sébastien. Si les destins funèbres et martyrs semblent l’inspirer, son livre est pourtant plus lumineux que son titre ne le laisse deviner.

« Artistes maudits. Le récit de 30 destins tragiques », de Karim Ressouni-Demigneux, Beaux Arts éditions - Autoportait de Vincent Van Gogh

« Artistes maudits. Le récit de 30 destins tragiques », de Karim Ressouni-Demigneux, Beaux Arts éditions – Autoportait de Vincent Van Gogh

S’il enfonce le clou de la vieille antienne qui veut que, pour être célébrés à titre posthume les artistes doivent mener une vie ci-bas de misère et d’affliction, Artistes maudits va plus loin en célébrant l’extraordinaire imagination qu’a le fatum de poser hommes et femmes face à leurs propres profondeurs/contradictions.

On l’oublie trop souvent, mais l’artiste pur, par sa tentation démiurgique de refaire le monde sur la toile, s’apparente plus à la figure romantique de Narcisse qu’au grand Architecte. Le vrai deux ex machina de l’artiste, c’est son art.

Amadeo Modigliani

Amadeo Modigliani et son « Nu »

 

L’Art avec un A superlatif est le vrai héros de ce livre qui, même s’il brosse cinq siècles de malédictions artistiques, ne s’encombre pas d’étiquettes ni d’époques. Qu’y a-t-il de commun entre Amedeo Modigliani, Jackson Pollock, Van Gogh, Gustave Courbet, Egon Schiele, Jean-Michel Basquiat ? Répondez que tous vécurent une vie de malheur plus ou moins éclair et vous passerez à côté de ce que ce livre peut vous apporter.

Autoportrait d'Egon Schiele

Autoportrait d’Egon Schiele

La fatalité et une certaine forme de prescience de leur fin les suivent comme une fidèle compagnie, certes. Mais demandez-vous : si Frida Kahlo n’avait pas eu la colonne brisée par une barre de métal dans un accident de bus, aurait-elle peint comme elle l’a fait ?

Accepter de s’interroger sur ces destins si particuliers, c’est aussi, comme pour Narcisse, se pencher sur le reflet de Soi. Artistes maudits ne se referme pas sans que le lecteur se demande : les malédictions ne sont-elles pas aussi des dons ?

Jean Michel Basquiatparmis ses oeuvres

Jean Michel Basquiatparmis ses oeuvres

(« Peintures et dessins d’écrivains, de Victor Hugo à Boris Vian », de Donald Friedman, Beaux Arts éditions, traduit de l’anglais (USA) par Christian Diebold, Lucie Taffin et Fenn Troller, 240 pages, 200 ill., sortie 13 novembre 2013, 37,50€ ; « Artistes maudits. Le récit de 30 destins tragiques », de Karim Ressouni-Demigneux, Beaux Arts éditions, 216 pages, 160 ill., sortie 23 octobre 2013, 29€)