Cecil Beaton. The Art of Scrapbook, paru chez l’éditeur d’art Assouline, est une monumentale compilation inédite d’une vie de photographe au service de son époque dans ses moindres évolutions. En un peu plus d’un demi-siècle de carrière, Cecil Walter Hardy Beaton (1904-1980) a collé, découpé, compilé, amassé, trituré, assemblé des centaines de photos, extraits de revues, de périodiques illustrés, d’almanachs colorisés pour constituer plusieurs douzaines de calepins et carnets qui sont autant de journaux intimes et bricolés. Le tout constituait, à titre privé, la matrice d’une œuvre à bâtir.

« Cecil Beaton. The Art of Scrapbook », sous la direction de James Danziger, éditions Assouline

« Cecil Beaton. The Art of Scrapbook », sous la direction de James Danziger, éditions Assouline

Le scrapbooking, ou créacollage en français, subjugue chez Beaton par un sens aigu de la pose, un amour pour l’apparat et l’artifice qu’on retrouve jusque dans ses portraits tardifs et qui les rendent reconnaissables entre mille. La somme fabuleuse que constituaient ces documents ne vivait plus que pour une poignée d’initiés de Sotheby’s, à Londres.

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C’est là qu’intervient James Danziger, lui aussi photographe, passionné par lesscrapbooks de Beaton jusqu’à leur dédier ce volume. L’ouvrage est déjà l’hommage le plus émouvant qu’on puisse rendre à un grand maître de l’image. Si cette dernière vaut mille mots, on a ici affaire avec la plus fournie des biographies archivistiques de l’artiste, devenu presque plus célèbre que ses illustres modèles fixés pour l’éternité sur papier glacé.

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Adulé dès ses débuts, les années 1950 rancardent Beaton loin des séries de mode au profit des plus jeunes Richard Avedon ou David Bailey. Une « période sèche » qu’il mettra à profit pour se réorienter vers le costume et la scénographie théâtrale. Et pourtant, quelle verdeur on sent s’échapper d’une portraiture de mâle déifié, dans une coiffe de plumes, une madone en tapisserie, le mouvement de tête de Greta Garbo, une réclame pour red lipstick, un choix de sourcils, jeux de regards, entre érotisme fixe et visions en mouvement.

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Cecil Beaton était encore un incorrigible superficiel qui cachait ses remous intérieurs sous des couches de taffetas et de laine d’écosse. Ses clichés les plus connus portent haut les galons de l’officier et du royal. The Art of Scrapbook montre autre chose : des fragments vrais. Ces derniers sont plus polaroïds que tableaux de grand maître. La rature y est plus belle que le trait. Derrière la perfection de surface, il y a un Beaton imparfait, secret. Regardez voir. Il est partout dans ce livre. Il est en 1949, quand, en retrait, il immortalise ses amis en séjour au Maroc : Truman Capote, David Herbert, Jane Bowles. Il est dix ans plus tard, quand en 1958, il capture Ingrid Bergman (et lui-même dans un miroir brisé).

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L’art du scrapbook selon Cecil Beaton, c’est un peu Pinterest et Instagram réunis ! Précurseur du mood board, l’art de Cecil Beaton incarne avant l’heure le règne de l’instantané et travaille au rythme de son désir. Pensez-le, c’est déjà fait…un rêve !

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Les pages de The Art of Scrapbook témoignent aussi d’un monde : celui révolu desafternoon tea parties, des joutes de polo, du gotha international, d’une Marilyn angélique, de cette café society qui passe du tarmac au tapis rouge avec l’insouciance d’une jeune première à qui rien ne fait peur, ni l’avenir ni la modernité. The Art of Scrapbook est un livre très classe, à l’image de son personnage principal, si vivant à travers ses collages qu’on l’en dirait comme jailli, et qui ne s’est jamais ennuyé dans la vie, pas même une seconde !

(« Cecil Beaton. The Art of Scrapbook », sous la direction de James Danziger, éditions Assouline, en anglais, 218 ill. couleur, sortie le 14 novembre 2013 (ressortie), 392 pages, 210€ ; tous visuels reproduits avec l’aimable autorisation de l’éditeur)