Littérature des éléments
Le spectacle de la Nature fascine. De fait, les plus grands auteurs s’attachent à la réfléchir ou la rêver depuis l’aube de l’écriture… Pour « Ecrire la nature. De l’Antiquité à nos jours », Daniel Bergez a réuni une centaine de plumes célèbres. Chacune exprimant de façon unique, par le verbe, les mille et une perceptions spatiales d’un environnement qui, si nous baignons dedans, demeure pourtant impénétrable mystère.
Le livre offre au lecteur un riche inventaire. Des variations méditerranéennes des penseurs du monde antique aux grandes orgues de la Genèse, du Paradis et de la description du jardin édénique telles qu’on les trouve dans la Bible traduite, en passant par les symphonies textuelles de l’ère romantique, du « courant de conscience », du réalisme magique, jusqu’à l’époque moderne. On y (re)découvre de longs passages de pièces maîtresses du patrimoine littéraire mondial, chantant tous à leur manière l’amour de leurs auteurs pour la Nature avec un grand N !
Homère, Virgile, Ronsard, Goethe, Shakespeare, Melville, Hugo, Proust, Woolf, Giono, Jim Harrison, etc. L’ensemble, forcément emphatique, architecture sa proposition en cinq grandes parties chronologiques : Antiquité, Moyen-âge et Renaissance, Âge classique, 19è siècle, 20e et 21e siècles. Autant dire une bouffée d’oxygène pleine d’esprit élémentaire et de poésie du sensible. Avec un tel compendium, la ballade s’enrichit encore de la diversité des points de vue comme des niveaux de lecture.
Pratique contemplative ou promenade existentialiste, l’écriture littéraire et les sentiments qu’elle suggère subliment la vision ainsi que les questionnements intimes d’écrivains pour qui la nature prend les airs d’un miroir, tantôt déformant, tantôt éblouissant. Et en effet, leur défilement, placé avec soin dans l’ouvrage, convoque symboles, paraboles, ou bien hyperboles dans un dialogue florissant qui entremêle ses énergies vitales.
Peindre la nature
Or donc, la palette chromatique des mots ne serait pas complète sans leur alter ego en images. « Ecrire la nature. De l’Antiquité à nos jours » s’enrichit de 300 illustrations couleur. 300 chefs-d’œuvre picturaux illustrant le foisonnement de la Nature : Poussin, Corot, Caspar Friedrich, Evert Pieters, Bruegel, Turner, Courbet, Monet… Une palette sans précédent dans leur impact neuf, mise en résonnance de l’écrit, et superbement reproduite dans ce beau livre à la mise en page d’excellence.
Témoignage collectif d’une fascination universelle, ces peintures incarnent une célébration du vivant, voire de l’invisible. A l’instar du choix des textes, leur placement judicieux dans le volume manifeste une force, une énergie, sinon des vertus libertaires et panthéistes, lesquelles sonnent plus que jamais d’actualité à l’heure numérique, « extranaturelle »…
La nature agit-elle sur nous comme un paradoxe ? Ecrire sa matière, peindre sa forme, rendrait-il l’homme moins matérialiste ? D’une scène de Bonnard, s’échappe la « Pastorale » de Beethoven… Autant de fragments d’un même récit, moins quête d’un exotisme perdu que survivance des œuvres d’une Nature sublimée comme thème universel, décrit, pensé, fantasmé par l’art et la littérature, sublimée mais franche.
Cette anthologie, entre terre et éther, est plus qu’un simple livre d’art. C’est aussi un objet de culture. De quoi, pour le lecteur, (se) cultiver (à partir de) sa propre terre intérieure.
(« Ecrire la nature. De l’Antiquité à nos jours », éditions Citadelles & Mazenod, anthologie réunie par Daniel Bergez, Coll. « Littérature illustrée », 300 ill. couleur, sous coffret illustré, sortie mars 2018, 472 pages, 219€ ; tous visuels reproduits avec l’aimable autorisation de l’éditeur)