Celui amené dans le sillage blasonné d’un éditeur au patronyme conquérant,Les Cavaliers de l’orage. Un nom qui enfourche le souvenir du roman de Giono, et voici cette nouvelle maison d’édition en train de débouler au grand galop dans le pré-carré des éditeurs parisiens. Son fondateur, Emmanuel Hussenet, serait-il un guerrier ? Peut-être, mais alors avec, dans une main, une boussole, et dans l’autre, un crayon. Rencontre …
Le Mot et la Chose : A tenter de vous décrire, on risque de déraper sur la glace des poncifs. Certains – aventurier, explorateur ou écrivain-voyageur – ont des allures de vieilles malles et de pages jaunies de l’hebdomadaire L’Illustration. D’autres – écologiste, journaliste ou éditeur – ressemblent aujourd’hui à des costumes usés et rapiécés. Pourtant, vous incarnez les uns et les autres dans une candide fraîcheur. Comment un tel exploit ?
Emmanuel Hussenet : Peut-êtreparce que je n’ai jamais dissocié la découverte des écosystèmes du Grand Nord et la réflexion sur soi. Très jeune, je me suis lancé dans des excursions en kayak de mer et à pied en Scandinavie (îles Lofoten et Laponie), des expéditions solitaires au Groenland, en Alaska et au Spitzberg, et en terre d’Ellesmere. Même si un périple à la manière de Stevenson m’a tenté, de l’Ardèche à la Drôme, ou encore une série de voyages naturalistes à travers Roumanie, Sénégal, Djibouti, Népal et Canada (agences Voyages Nature et Saïga), mon parcours reste intimement lié au Grand Nord. Que ce soit en tant que guide (agences Grand Nord et Terres d’aventure), mais aussi conférencier sur le thème de l’Arctique et de la préservation de son environnement. De ces voyages, j’ai naturellement glissé vers l’édition et le journalisme : petits guides GNGL sur le Spitzberg et le Groenland, écriture de romans pour une adolescence en rupture évidente d’expériences formatrices et initiatiques fortes aujourd’hui – version Grand Nord cela va de soi (!) – articles et chroniques de magazines (revue Chemins d’étoiles et Village Magazine), et auteur entre autres du « Testament des glaces », etc. Mes passions – l’exploration et la quête de soi – se rejoignent dans l’écriture, qui est ma façon de partager les beautés de la nature et celles de l’homme dans un même espace de temps et de lieu : la page blanche. « Et je compris que, par-delà les pays de soleil que j’entrevoyais dans mes rêves, c’était la lumière que je convoitais. » (extrait de l’album Spitzberg, Visions d’un baladin des glaces)
MC : Ce nom Les Cavaliers de l’orage est très signifiant pour vous. Éclair, foudre, tonnerre, tempête,…, ce vocabulaire dédié aux forces extrêmes de la nature revient souvent dans vos propos. Est-ce une forme d’appel incantatoire à ces énergies auxquelles vous dédiez votre maison d’édition ?
E. H. : Le nom « Les Cavaliers de l’orage » est un appel à la vigilance. Ces mots claquent au vent, fouettent les joues ; ils encouragent à garder les yeux ouverts et à se maintenir dans l’action. Les « Cavaliers de l’orage » évoquent un combat noble et vital, alors que le danger demeure obscur. Crises écologiques, économiques ou financières sont pareilles à l’orage dont on ne sait jamais à quel moment il va s’abattre sur nos têtes… Mais qui s’abattra inévitablement : ne distinguons-nous pas sa masse noire à l’horizon, son roulement sourd, ses premiers éclairs ? Je dénonce à ma manière cette profusion de bruits, de biens, d’informations et d’images dans laquelle la société baigne, et où nous ne retrouvons que du convenu. Le neuf, l’espoir, il tient pour moi à la magie de ces mots dont on ne saura vraiment où ils nous emportent que lorsque nous aurons aussi enfourché nos grands chevaux.
MC : Votre réponse fait naître des images de chevauchées crépusculaires, de quêtes médiévales, d’aventures épiques, voire d’épopées initiatiques !?
E. H. : Eh bien, Giono n’est pas le seul à avoir marqué l’empreinte indélébile de ce titre dans ma mémoire. Il y eut d’autres lectures. Et, en particulier, l’épopée de Gilgamesh, ce récit sumérien remontant à plus de deux mille ans avant notre ère. Dans ses pages, se trouve la première mention du déluge, déluge auquel sont intimement liés ces fameux « Cavaliers ». C’est en effet, à ce moment précis, qu’ils se manifestent pour répondre à l’appel des dieux, exaspérés par la multitude bruyante des hommes, afin de noyer le monde sous les eaux. Or, ce désastre qui s’abat n’est jamais définitif. Il porte toujours en lui la promesse d’un air de nouveau respirable et d’une herbe qui reverdit. Quant à l’éclair que nous pourrions craindre, n’est-il pas pourtant à l’origine de la vie ? Donc, si crise ou désastre il y a, il revient alors à l’individu de faire face et d’élaborer sa propre cohérence. Et, dans cette démarche, la notion d »aventure devient cruciale !
MC : Justement, l’Aventure, avec une majuscule, est au cœur de votre projet éditorial. Mot qui, pour vous, se décline verticalement, c’est-à-dire de la terre – sa géographie et ses découvertes – à l’esprit – explorations en zones inconnues de la psyché humaine. Pouvez-vous préciser ?
E.H. : Oui, pour Les Cavaliers de l’orage, il s’agit de chevaucher à l’extérieur, mais aussi à l’intérieur de soi. Ensuite, à propos de la notion d’aventure, je me suis aperçu au fil du temps que cette idée était beaucoup plus importante qu’on ne l’imagine. Or, l’Aventure est, elle aussi, en crise ! Cette crise est multiple et obéit à des paramètres divers. Mais, avant toute chose, ce qui est fascinant dans le questionnement du concept d’aventure est de le percevoir comme une métaphore du malaise de la société actuelle. En réfléchissant sur l’aventure et sur notre capacité – ou a contrario incapacité – à la vivre, on se questionne soi-même. Car l’aventure sous-entend des paramètres potentiellement déstabilisants, mais essentiels à notre évolution : irruption de l’imprévu, prise de risques, avancer en terrain inconnu, traversée d’épreuves et, de façon plus inattendue, l’écologie à travers le recours à des énergies propres, celles se trouvant dans nos profondeurs, nos forces intimes. Car, en fin de compte, le plus précieux dans cette notion d’aventure, est une quintessence, ce suc de douleur extrait des épreuves surmontées en cours de route. On est très loin du voyage « Tour Operator » vendu sur catalogue ! Tout cela fait que l’Aventure n’est plus du tout comprise aujourd’hui. Déjà, en soi, l’imprévu est vécu comme un danger ; la tendance actuelle étant de tout planifier. Et puis, l’aventure nécessite une vraie prise de responsabilités à une époque où, au contraire, on a tendance à les fuir. Ne serait-ce qu’en cela, apprendre l’aventure nous permettrait d’être plus aptes à vivre en société. A une condition cependant : comprendre que l’aventure pour elle-même est un cul-de-sac. Notre changement dépend de ce qu’on en fait…
MC : En 2012, naissent« Les Cavaliers de l’orage » et un projet éditorial atypique puisqu’il se nourrit d’un incessant aller-retour entre vos deux pôles : les voyages et l’écriture. Pouvez-vous préciser ?
E.H. : En fait, ma définition intime de l’aventure transforme mes comportements et mes choix de vie. C’est ainsi que j’ai vécu la création de la maison Les Cavaliers de l’orage comme justement une aventure à part entière. Pour moi, il n’y a aucune frontière mentale entre la prise de risques physiques, et celle de risques économiques. Mieux : la capacité, voire l’entraînement, à relever des défis, à surmonter des obstacles, est la voie à suivre dans un monde de plus en plus incertain. Il revient donc à l’individu de faire face et d’élaborer sa propre cohérence. C’est justement ce contexte de « corde raide » qui donne au livre une importance singulière, en servant de balancier. Aider chacun à se recentrer et à agir en conscience. Il n’est pas alors de plus belle mission pour un auteur, comme pour un éditeur, que d’explorer nos espaces de liberté, d’éveiller et d’informer, et de relayer ainsi les arguments d’une mutation devenue nécessaire. Nos ouvrages font partager des initiatives qui s’écartent des schémas conventionnels pour anticiper les enjeux de notre temps. Les auteurs, choisis pour l’originalité et la rigueur de leur approche, ont à cœur d’éclairer des espaces de réalisation qui prennent en compte, tant l’homme que la nature. Techniciens, artistes, entrepreneurs, voyageurs, etc., ils sont l’autre visage d’une société foisonnante d’inventivité et de ressources, qui cristallise l’espoir de demain.
MC : Dans nos sociétés, le voyage est en effet considéré comme un produit en Tétra Pack acheté dans le supermarché du tourisme. Vous dites : « la société est devenue sédentaire ». Quel regard portez-vous, depuis cette position de crête entre deux versants : explorateur d’un côté, et éditeur (et écrivain) de l’autre ?
E.H. : La consommation à outrance nous prive d’une rencontre essentielle : celle avec nous-mêmes. A mes yeux, c’est sans doute la dimension la plus profonde de la vie ! Mais, encore faut-il être prêt à accepter l’inconfort et l’incertitude. Or, qui aime ça ? Autre point majeur : la consommation revendique un progrès croissant, lequel est antinomique de la notion d’aventure. Celle-ci replace ipso facto le progrès à l’intérieur de nous, et en aucun cas à l’extérieur. Une telle prise de conscience interpelle sur l’idée de « risque », et interroge sur ses peurs corollaires : l’inconnu et ses dangers. Malheureusement pour nous, aucune solution viable ne s’est jamais faite, humainement parlant, sans prise de risque. Et les enjeux capitaux des questions environnementales nous placent crûment face à ce défi, et à cette exigence, du risque pleinement assumé !
MC : Dans votre actualité récente, vous avez publié l’ouvrage « Consciences. Voyage aux frontières de l’entendement » de Jacques Honvault, ingénieur Arts et Métiers devenu photographedes coulisses de la matière et des apparences. Comment glisse-t-on des Sciences à l’Art, et pourquoi en fait-on un livre ?
Jacques Honvault : Désabusé par mes années au service de la technologie et de la grande industrie, désillusionné par des idéologies syndicalistes qui promettaient des lendemains meilleurs, tout en s’enlisant dans des discours sectaires, j’ai un beau jour pris le risque (dont a parlé Emmanuel Hussenet) de partir vers l’aventure d’une autre voie. Le déclencheur – terme prédestiné ici – a été le cadeau, pourtant banal, d’un appareil photo, initialement dédié à immortaliser un événement familial. Ce petit outil, que mes proches voyaient seulement comme une boîte à souvenirs, est soudain devenu à mes yeux une machine à explorer l’invisible. Et j’ai commencé à faire des photos de phénomènes physiques que l’œil ne peut pas percevoir, du moins en conscience. Il n’y a aucun trucage dans mes photos. Juste des astuces d’ingénieur. Ainsi, ma première vie s’est-elle mise au service de la seconde ! Progressivement, ces images qui naissaient de mes expériences sont devenues mon vocabulaire de métaphysique, ma grammaire pour écrire sur l’invisible du vivant. Comprendre que tant de choses, bien que complètement en dehors de la Science soient authentiquement réelles, m’a bouleversé. Impossible de revenir à des valeurs égotistes et conventionnelles après ce qui fut, pour moi, une révélation. En résumé, tout a commencé lorsque j’ai accepté de laisser tomber mes pseudo-certitudes. Et, pour un scientifique, formé pour n’avancer que selon des jalons prétendument établis, certains, validés,…, croyez-moi, cela a ressemblé au saut dans l’inconnu !
Emmanuel Hussenet : Ce qui m’a séduit dans l’approche de Jacques Honvault, est d’être capable de défier les certitudes inhérentes aux scientifiques, d’identifier les limites du rationalisme, et de partager en images une approche atypique des « états modifiés de conscience ». Oser se poser enfin une question pourtant aussi simple que celle-ci : « derrière la matière et les apparences, le merveilleux existe-t-il ? », ne pouvait que me tenter de le suivre dans cette nouvelle…aventure !
Tant qu’il y aura des éclaireurs, et des livres, et des aventures, et des voyages, et des risques, et des questions, et surtout autant de passions – sans lesquelles tout ceci ne serait qu’un rêve – alors l’humanité évoluera, entraînant chacun de nous dans la spirale ascendante de la vie. Les Cavaliers de l’orage nous proposent, à travers son créateur, un magnifique exercice poétique : confondre dans un même amour la pureté de la glace et la virginité d’une page blanche. Comme l’écrit superbement Emmanuel Hussenet, à qui revient ici le mot de la fin : « L’énergie de l’avenir n’est pas le vent, le gaz ou le pétrole, mais l’énergie intérieure, l’énergie sacrée. ».
Bibliographie d’Emmanuel Hussenet (non exhaustive)
Spitzberg, Visions d’un baladin des glaces, Transboréal (1997) revu, augmenté et réédité en 2003, album photographique et textes.
Maelström, Seul aux confins du Spitzberg, Transboréal, récit de voyage, 1998.
Rêveurs de Pôles, le pôle Sud et le pôle Nord vus par les écrivains, les peintres et les cinéastes, Le Seuil, essai, 2004.
Le Testament des glaces, Transboréal, essai, 2008.
Le Nouveau Monde, regard sur la disparition des banquises et sur le sens des choses, Les Cavaliers de l’orage, essai, 2012
(« ConSciences. Voyage aux frontières de l’entendement. », de Jacques Honvault, Editions Les Cavaliers de l’orage, sortie 28 novembre 2013, 192 pages couleur, 29,90€ ; photo 1 : portrait d’Emmanuel Hussenet ; photos 4, 5 et 7 extraites du livre)