En parallèle de la Fiac, a été inaugurée la Fondation Louis Vuitton, le musée Picasso a fait peau neuve, la Monnaie de Paris se mute en espace d’art contemporain, les rétrospectives d’artistes s’affichent au Grand Palais pour Niki de Saint Phalle, Hokusai, au Centre Pompidou avec Marcel Duchamp, le Maroc contemporain s’invite à l’Institut du monde arabe et son versant médiéval inspire les accrochages du Louvre…
Paris ne prend pas le chemin de devenir une ville musée. Avec tant d’effervescences culturelles, Paris tel un Soleil, fait rayonner l’art dans tous ses états et tend à regagner sa légitime place sur l’échiquier d’un marché de l’art désormais mondialisé.
Un Grand Palais abstrait
En plus d’un festival de manifestations connexes, la Fiac se décline en trois univers cette année : celle du Grand Palais et de sa grand nef où l’on retrouve les galeries des divas, l’(OFF)ICIELLE pour les galeries parallèles, et enfin la Fiac hors-les-murs qui investit l’espace public de la ville.
191 galeries s’exposent dans l’édifice de fer et de verre du Grand Palais, les galeries américaines y sont venues massivement s’approprier le bel espace construit pour l’exposition universelle de 1900. On y retrouve des noms de l’art moderne devenus des classiques et des artistes contemporains avec une cote certaine. Les techniques employées sont diverses et variées : la toile, la peinture, le marbre, le métal, la vidéo, la photographie, l’objet industriel jusqu’à la performance humaine (Prix Marcel Duchamp attribué à Julien Prévieux pour « What shall we do next? » mêle danse et arts plastiques)…
L’art choisi cette année par les galeristes fait la part belle à l’abstraction. Question capital, si le plaisir de contempler une toile de Joan Mitchell ou être absorbé par le cylindre concave de Roni Horn (un tube bleu clair de 6 tonnes de verre massif) n’a pas de prix, acquérir ces marqueurs de l’art d’aujourd’hui a en revanche un coût… on parle d’une valeur de 3 millions d’euros pour le cylindre bleu de Roni Horn. Ça peut agacer, ça peut aussi expliquer les « Please, don’t touch! » des stagiaires galeristes, la valeur de l’art est aussi fragile…
Toutes les œuvres exhibées sont à vendre, pour un peu certains exposants accrocheraient une pancarte « all for sale », tout est à vendre. Les cotes des artistes sont soumises à un système de l’offre et de la demande, en outre l’art est devenu un jeu spéculatif depuis quelques années. On achète, on revend, on perd, on gagne, mais on y croise également des collectionneurs d’art qui achètent pour le plaisir.
Docks : la ligne bis
Avec la demande et une renommée grandissante, la Fiac ne pouvait cette année contenir toutes les galeries dans le monumental Grand Palais. Ainsi une ligne bis de la foire a été crée sur le même modèle sous le nom d’(OFF)ICIELLE à la Cité de la Mode et du Design, les 2 lieux reliés par une navette sur la Seine, à la manière de la Biennale de Venise.
68 jeunes galeries sur le pied de guerre, aux Docks Quai d’Austerlitz, 68 vitrines d’une nouvelle génération de plasticiens court-circuit, comme la galerie d’André Magnin présentant une vision contemporaine venue d’Afrique, comme la galerie Bendana Pinel spécialisée dans l’art d’Amérique latine. Preuve que l’Occident n’est plus seul à alimenter le réservoir de l’art contemporain et que, si le marché s’est globalisé, chaque vision du monde dialogue l’une avec l’autre.
L’autre présence iconoclaste est celle de l’art brut, qui désigne un art exempt de culture et de méthode artistiques. Les galeries Christian Berst à Paris, et Jean-Pierre Ritsch Fisch à Strasbourg se sont passionnées pour cet art en-dehors des normes et des codes, des courants et des écoles, et présentent les artistes précurseurs de ce mouvement tels Augustin Lesage ou Adolf Wölfli, comme les plus contemporains, Dan Miller et Castillo Pedroso.
Hors-les-murs et hors de vue ?
Avant même que la Fiac ne s’ouvre officiellement, les médias nationaux et internationaux en parlaient déjà…La raison ?
Le scandale que souleva l’œuvre de l’artiste américain Paul McCarthy : une sculpture gonflable de couleur verte intitulée « Tree » mesurant 24 mètres de haut. Arbre stylisé pour les uns, sex toy géant pour les autres, quoiqu’il en soit cette sculpture trônait en plein cœur de la prestigieuse place Vendôme.
Le mode d’expression de Paul McCarthy est la subversion et le grotesque, ceux qui le connaissent le savent bien. Avec une pincée d’humour, mais cela ne plait pas à tout le monde…Lors de l’installation, un individu frappe au visage l’artiste avant de s’enfuir. Quand à l’œuvre, elle est vandalisée dans la nuit du 17 au 18 octobre dernier et McCarthy décida de ne pas la réinstaller.
L’art a encore cette force de choquer et de déranger, merci pour lui ! Mais la polémique, opportunément montée en épingles, permet aussi de mettre en lumière l’artiste septuagénaire auprès du grand public : la Monnaie de Paris lui consacre une rétrospective de taille, et l’œuvre intitulée« Chocolate Factory » (du 25 octobre au 4 janvier 2015) est déjà estampillée « sexuellement explicite » et donc logiquement déconseillée à un public mineur et non averti !!
Cette affaire aurait ravi Marcel Duchamp qui, en 1917, s’était vu refuser d’exposer un urinoir rebaptisé « fontaine » dans un salon d’artistes indépendants de New York, car jugé trop vulgaire et ne répondant pas aux critères d’une œuvre d’art. Duchamp révolutionne le concept d’œuvre d’art lorsqu’il prend un objet de la vie quotidienne, lui retire sa valeur d’usage et lui donne un nouveau point de vue.
Une Fiac en pleine expansion !
La Fiac hors-les-murs ne se résume pas seulement à ce « crime » contre l’art, fort heureusement. Des œuvres ont été disséminées dans le Jardin des Tuileries, dessinant la carte d’une chasse aux trésors, alors l’œil doit être alerte pour ne rien louper de cette manifestation…
L’installation « Void to void » de Mathias Faldbakken et Leander Djonne est un empilement d’écarteurs permettant la construction de tranchées pour maintenir le vide : les artistes structurent ici l’insaisissable.
A l’autre bout de l’allée, l’architecte Sou Fujimoto expose « Many small cubes », un édifices de cubes de métal abritant des arbustes, les masses cubiques semblant flotter en apesanteur et donner une approche différente de l’espace.
Croisés à la Nuit Blanche 2014, les frères Chapuisat créent un enchevêtrement de blocs massifs d’épicéa qui peut rappeler les aires de jeux pour enfants, et surtout la pyramide du Louvre à deux pas de là. « Magna Mater » fait référence à Cybèle, une divinité personnifiant la nature sauvage : le ludique a rendez-vous avec le sacré à la Fiac.
L’art se fait poésie avec Christian Boltanski et son inspiration baignée dans le zen : son installation « Alma » dessine la carte du ciel depuis l’hémisphère sud, des clochettes et des morceaux de verre fixés au bout de tiges de métal plantées dans le sol entrent en résonance lorsque le vent se lève pour produire la douce musique des étoiles à la lumière du jour…
La Fiac monte le SON pour la première fois sur les berges de Seine ! Ce médium imperceptible à l’œil nous est retranscrit par 8 parcours proposés jusqu’au 2 novembre. Une douche sonore sous le pont Alexandre III fait une relecture de musiques des films de Fellini, composée par Rodolphe Burger, Philippe Katerine et le duo de RadioMentale. Les auditeurs promeneurs s’immergent dans des univers riches et contrastés à l’intérieur de conteneurs « ZZZ » près du pont Léopold Senghor, et par leur expérience sonore personnelle initient leur propre voyage intérieur.
Le Jardin des Plantes accueille la foire pour une durée prolongée jusqu’au 24 novembre. Les œuvres sélectionnées sont en adéquation avec l’environnement du lieu, et questionnent encore la relation de l’homme à la nature.
Au sein du splendide Muséum national d’Histoire naturelle, Benoit Pype présente « Géographie Transitoire« , les plans des villes de Mexico et de Paris découpés dans des feuilles de paulownia : le réseau du macrocosme urbain est symbolisé contenu dans le microcosme du réseau de nervures de la feuille, avec ici l’évocation de la fragilité. Car la feuille va peu à peu se décomposer puis disparaître, pour renaître sur l’arbre, tout comme la ville qui est sans cesse en train de se renouveler.
Julien Salaud décline la suite de sa sculpture « Printemps » (nymphe de cerf) exposée l’an dernier dans une galerie des espèces disparues du Muséum : son nouveau « printemps » se mue en faune de cerf dans la rotonde de la Ménagerie (au sein du zoo où sont enfermés les animaux vivants), un corps mi-animal, mi-humain où les bois de ce cervidé hybride se transforment en végétal. Julien Salaud fait naître le centaure moderne emprunt de légendes et d’onirisme afin de toucher l’imagination du public.
L’autre merveille de poésie est sans nulle doute l’installation « Rosée » de Didier Marcel : 300 perles de cristal de Swarovski enfilées sur différents câbles sont fixées sur une structure métallique placée à 4 mètres du sol, l’artiste stylise la nature et la dénature en l’agrandissant. L’araignée géante n’est pas présente sur la toile couverte de gouttes de rosée, la nature qui nous entoure reste fascinante, encore faut-il savoir observer le monde qui nous entoure.
La Fiac 2014 permet de faire découvrir la diversité de l’art contemporain et répond aux attentes grandissantes d’un public assoiffé de culture (plus de 74 000 visiteurs sur 5 jours, soit une hausse de 1,3% par rapport à 2013). La foire de cette année sera un bon cru, aux vues des acquisitions réalisées par les grands collectionneurs.
On connait d’ailleurs la concurrence capitalistique que se livrent François Pinault et Bernard Arnault sur les terres de l’art contemporain, une guerre que menaient déjà les Borgia et les Médicis à travers les artistes pour asseoir leur pouvoir…l’Histoire est un éternel recommencement.
(Tous visuels reproduits ©Stéphane Chemin pour Le Mot et la Chose)