e public est au rendez-vous (plus de 73 000 visiteurs cette année). On y vient par curiosité, pour s’y montrer, afin d’y découvrir les talents émergeants ou confirmés, des œuvres d’art dignes de rentrer dans un musée et qui sont vendues à prix d’or. On a envie d’être surpris, d’être confrontés à une création qui nous fasse réagir, envie d’être émus et de réfléchir, aussi. Mais la Fiac est surtout un marché commercial, c’est-à-dire que l’on peut s’y offrir une œuvre pour le Plaisir, ou dans l’espoir de spéculer financièrement…C’est ici que « la bulle » spéculative qui n’a cessé de grossir depuis les années 2000 commence à se fissurer.

"Hephaestus" Matthew Monahan - Détail - Biennale de Venise

« Hephaestus » Matthew Monahan – Détail – Biennale de Venise

Tout ce qui brille…

Tel le roi Midas transformant tout ce qu’il touche en or, il suffit à quelques ultra-galeristes (dont certains sont parfois plus connus que les artistes qu’ils représentent !) de proposer une œuvre pour qu’elle trouve preneur à plusieurs millions de dollars. More is less, peu importe finalement la qualité, l’originalité ou le travail présenté, du moment que l’artiste sort d’une de ces super-écuries, il est sûr de vendre, tout en dépassant sa propre cote. La hausse des prix dans l’art contemporain étant inversement proportionnelle à la singularité des sujets déployés, sa croissance (1 milliard de recettes dans le monde pour la seule année écoulée) se fait au détriment de l’art moderne et ancien qui accusent un net recul partout, de sorte qu’un Damien Hirst ou du Jeff Koons est en passe d’excéder la valeur de Renoir, Delacroix, ou Raphael…

Dans les allées, on chuchote même que les pièces exposées sont déjà pré-vendues à de méga-collectionneurs d’Asie ou du Moyen-Orient. Soucieux d’amasser le plus vite possible une collection contemporaine comme d’autres des paquets de nouilles, au détriment du simple Plaisir d’acquérir une œuvre pour sa beauté intrinsèque. De Paris à New York, en passant par Miami ou Londres, c’est partout le même mal qui frappe. Pour l’amateur sincère, c’est un véritable malaise.

40 ans, défi au tournant ?

Au programme de cette 40e édition, l’écrin universel du Grand Palais a permis de présenter plus d’un siècle de mouvement artistique. Et plus que jamais, sous l’impulsion de sa directrice Jennifer Flay, la Fiac s’internationalise (184 exposants dont 70 % d’étrangers) avec les plus grosses galeries mondiales (Gagossian, Templon, Vallois, Van de Weghe, Perrotin,…) mais aussi de jeunes outsiders au 1er étage (Hunt Kastner, Kraupa-Tuskany Zeidler, Overdin and Kite,…). Charge à chaque galerie de nous présenter une aventure singulière.

Le monumental « Iron tree » de l’artiste dissident chinois Ai Weiwei (galerie Neugerriemschneider) accueille le public, un arbre de métal sans vie, tel un art calciné, pétrifié, figé… est-ce un reflet de sa patrie ?

Ici comme ailleurs (Biennale de Venise, Art Basel,…), on côtoie les galeries qui créent la tendance. On retrouve les artistes incontournables dont les œuvres font parler d’elles et brillent au ratio de leur cote sur le marché (Yue Minjun, Robert Longo, Barry Flanagan, Georg Baselitz, Jean-Michel Basquiat, Andy Warhol, Kehinde Wiley, David Nash, Giuseppe Penone, Richard Jackson, Wim Delvoye,…), mais aussi les artistes à découvrir d’urgence (Taysir Batniji, Fabienne Verdier, Do Ho Suh, David Adamo, Julien Audebert, Slavs and Tatars, Waldemar Zimbelmann, Gilles Barbier, Claire Fontaine, Omar Ba et tant d’autres).

Omar Ba ; Eva und Adele

Omar Ba ; Eva und Adele

L’art peut être vivant comme lorsque l’on croise les performeuses allemandes Eva und Adele… l’art peut également être un style de vie qui ne se vend pas.

De l’art ou du cochon ?

Visible jusqu’au 24 novembre prochain, cette 55e édition de la Biennale la plus célèbre du monde porte haut les couleurs de la mondialisation. Elle reste la meilleure occasion de vivre, dans un cadre somptueux, au rythme de l’art tel qu’on le produit sur les cinq continents. Déjà dans nos colonnes en 2012 (lire l’article ici), nous discutions de la frontière labile qui sépare la beauté du toc, du moche, ou du cheap. Nous prenions à témoin Joshua

Bell qui exécuta, à l’heure de pointe du métro à Washington, six pièces de Bach sur un violon à 3.5 millions $, dans l’indifférence des badauds pressés ! Il y a quelques jours, le streetartist de renommée mondiale Banksy faisait de même à New York, proposant sur un micro stand de 4 par 3 ses pochoirs vendus entre 20 et 60$ pièce, alors que ces pochoirs s’arrachent actuellement des dizaines, voire une centaine de milliers d’euros l’un ! Un expert averti a posteriori du « coup » a déclaré que la valeur totale du stand avoisinait les 200 000 $. Parmi les rares promeneurs qui s’arrêtèrent devant, une femme marchanda un lot de deux…pour 30$ ! A parcourir la Biennale, on se demande pourquoi un artiste coté agit ainsi ? Est-ce du mépris pour sa propre valeur, ou bien le méga circus autour des œuvres commence-t-il à agacer ?

Biennale de Venise : miroir contemporain

A Venise comme partout, on se pose la question. Beaucoup d’œuvres semblent être choisies en fonction de leur immédiate lisibilité par le plus grand nombre (installations, vidéos, photos, méga-sculptures), pensées dans un objectif global, plus que dans une recherche de beauté, d’harmonie ou de grâce. Le pompon revient à la Chine. Ses 188 artistes (un record) présents délivrent un produit, un prêt-à-regarder artistique, vite compris (ou pas), et donc vite acheté. Ceux-là ont parfaitement intégré les codes duready made à la Warhol, révolution à l’époque, mais terre stérile de nos jours où la notion d’œuvre originale n’est plus qu’une copie.

"Belinda" Roberto Cuoghi ;  "Aigle" Wim Botha - Biennale de Venise

« Belinda » Roberto Cuoghi ; « Aigle » Wim Botha – Biennale de Venise

 

Mais l’art n’est pas que contemporain à la Biennale. Bonne idée : mettre à l’honneur l’art brut ou singulier en miroir. Guettons la sortie en 2014, aux Editions Trajectoire, d’un livre permettant de mieux comprendre ce courant artistique si particulier : les artistes médiums. Dès l’entrée du pavillon central au Giardini, on est séduits par les pages enluminées de C.G. Jung, puis emportés dans les toiles mystiques de Hilma af Klint, d’Emma Kunz ou Augustin Lesage, la flore débridée d’Anna Zemánková fait rêver. D’autres, les vidéos réalisées en instituts psychiatriques, ou les scrapbooks obsessifs deShinro Ohtake, suscitent l’étonnement. On regarde autour de soi. Ecritures microscopiques, scarifications sur une toile, collages frénétiques, postures bestiales et parade monstrueuse, les gens semblent apprécier. Au détour d’une salle, un homme gémit sur le sol…pas de panique, ça fait partie de l’œuvre !

"Visage" Wim Botha - Powel Althamer - Biennale de Venise

« Visage » Wim Botha ; Powel Althamer – Biennale de Venise

 

A l’Arsenal, du Robert Crumb époque La Genèse (pas son meilleur) voisine avec les sculptures hyperréalistes (les visages) façon écorchées de Pawel Althamer, l’ « Hephaestus » de Matthew Monahan, le monolithe « Belinda » de Roberto Cuoghi, la hutte de terre (zieutez la robe jaune) où le public déambule de Petrit Halilaj.

Les pavillons de chaque nation sont eux aussi très contrastés. On retiendra celui d’Afrique du Sud où découvrir les œuvres de Wim Botha, sculptures de livres et de pages contrecollées, peintes et mises en broches, certaines vraiment belles. L’art doit-il forcément être laid pour interpeller ?

Paris, ars mundi

Paris regagne du terrain en termes de classement des investisseurs dans l’art et déploie de grands moyens pour agrandir l’événement hors-les-murs du Grand Palais. Témoignage de l’engouement récent du grand public pour l’art contemporain, la Fiac part à l’assaut des verts espaces publics.

"Brasil" Hector Zamora, jardin des Tuilleries

« Brasil » Hector Zamora, jardin des Tuilleries

Le jardin des Tuileries présente un paysage résolument artistique, il est agréable de flâner et d’admirer des œuvres en liberté, le tout en plein Paris. Le « pont » de Shen Yuan est étroit et fragile, un pont infranchissable entre deux cultures… A deux pas de là, se trouve l’installation « Brasil » du mexicain Héctor Zamora, un vélo recevant un empilement de briques en équilibre, un résumé fragile de l’économie d’un pays en plein essor : le Brésil.

"Nijinski hare" Barry Flanagan  ; "Printemps" Julien Salaud

« Nijinski hare » Barry Flanagan ; « Printemps » Julien Salaud – Jardin des plantes

Au Jardin des Plantes, l’Art rime avec Nature. On y découvre la sculpture « Nijinski Hare » de Barry Flanagan, un lièvre de 5 mètres de haut en train de danser : majestueux !

Les œuvres s’invitent aussi dans le Muséum d’Histoire Naturelle. Auprès des animaux empaillés, Philippe Droguet invente de nouvelles espèces animales comme sa « marine » ; Julien Salaud met en scène un cerf constellé de perles pour « Printemps », tout un travail sur la condition animale.

La « parade moderne » de Clédat & Petitpierre est située de façon ludique à côté de la grande galerie de l’évolution, on a l’impression que l’œuvre a dégénéré suite à des manipulations biologiques… L’installation de Jennifer Allora et de Guillermo Calzadilla « Hope Hippo » pousse un cri d’alarme sur le sort de la nature face à l’homme, on sait mais on ne fait rien pour éviter la catastrophe : la belle ironie !

Tadashi Kawamata s’est emparé de la très chic place Vendôme avec ses « Tree huts », venant ainsi parasiter les belles façades des hautes joailleries françaises. Tout en haut de la colonne Vendôme, l’artiste nous fait réfléchir sur le problème du logement dans nos sociétés riches et évoluées…

"Tree hutsat" Tadashi Kawamata - Place Vendome

« Tree hutsat » Tadashi Kawamata – Place Vendome

La Fiac s’est aussi invitée sur les rives de la Seine, ainsi que sur le pont Léopold Sédar Senghor où l’on pouvait y voir l’œuvre du collectif Société Réaliste « 193 drapeaux » : la nature a eu raison de l’œuvre dimanche matin quand les rafales de vent ont contraint les organisateurs à démonter l’installation…quelques fois l’art s’incline devant la nature.