Stéphanois de naissance, le petit Jean-Michel fréquente dans sa plus tendre enfance le Musée d’art moderne de la ville, enchaîne les visites guidées, puis suit les cours du soir dès neuf ans à l’école des Beaux-arts. La « ville noire » de Saint-Etienne semblait plongée dans une nuit constante due à l’exploitation minière du charbon. L’art est alors une échappatoire au jeune Othoniel qui s’émerveille de la « lumière » contenue au sein des œuvres d’art, cette révélation au cœur du musée le conduira à devenir artiste. Le MAMC consacre Jean-Michel Othoniel pour une troisième exposition autobiographique où les œuvres présentées témoignent du regard inquiet de l’artiste sur le monde. Œuvres de jeunesse dialoguent avec ses dernières créations « architecturales » et en provenance directe des entrailles de la terre…

L’exposition accueille le visiteur par la série « Fiancé », première acquisition du musée acheté à l’artiste. Cet ensemble de grattoirs d’allumettes (composés de phosphore rouge qui devient blanc lorsqu’on gratte l’allumette dessus et contribue à l’inflammation de celle-ci) sur toiles est un hommage au « Fiancé » de Francis Picabia exposé en regard à quelques mètres de là qui associe engrenage mécanique à l’imaginaire érotique.

Dans la salle centrale du musée se tient « the big wave » : une sculpture monumentale (15 mètres de long et 6 mètres de haut) aux apparences sombres où l’artiste a capturé le mouvement dramatique des forces incontrôlables de la nature. En 2011, Othoniel est au Japon pour une exposition, à la même période un tsunami d’une rare violence avec des vagues de plus de 20 mètres de haut, provoque une catastrophe nucléaire… bouleversé par ces images d’apocalypse, l’artiste tente de traduire ce moment où l’homme est happé par la force des éléments qui s’abat tel un déluge.

En ayant fait un arrêt sur l’image destructrice de la vague déferlante, le visiteur peut se rapprocher sans danger de cette sculpture et découvrir que celle-ci est composée de briques agencées telle une image pixélisée. Dix mille briques de verre indien sont soutenues par une structure métallique en nid d’abeilles développée par des ingénieurs et architectes qui ont utilisé le logiciel de pointe Catia de la société Dassault Aviation, ici artisanat ancestral se conjugue avec haute technologie.

Les briques de verre soufflées à la bouche symbolisant l’eau sont composées d’air. Mais elles font aussi appel au feu dans leur élaboration. Et enfin, comme elles sont faites de sable (silice) qui renvoie à l’élément terre, dans cette œuvre sont ainsi contenus les quatre éléments (terre, air, feu, eau), le quaternaire issu du matériau de base créant ainsi une vague élémentaire.

Se rapprocher de la structure permet au visiteur de voir scintiller les briques de verre tel un joyau aux mille reflets où l’on passe d’un état de pénombre à celui de lumière. Othoniel transpose avec poésie l’effroi  engendré par la vague dans un monde extraordinaire.

Le Magicien ose

Face à « the big wave » se dressent, tels des totems, « invisibility faces », ces blocs d’obsidiennes (verre des volcans) sculptés au format XXL reposent sur des socles de bois de marronniers sculptés par des menuisiers suisses anthroposophes (courant philosophique et spirituel créé au 20e siècle par Rudolf Steiner et qui vise à connaître la nature de l’être humain). Un dialogue s’établit entre l’énergie du monde souterrain et la surface de la terre. Les faces de l’invisible renvoient à la statuaire classique des bustes, ceux-là sont des autoportraits abstraits taillés dans le verre noir des volcans d’Arménie où se reflète notre propre image évoquant la part invisible de chaque être ainsi que les souvenirs de l’enfance de l’artiste, des visages des mineurs de fond recouverts de charbon appelés « gueules noires ».

En 1996, le Musée de la Mine de Saint-Etienne invite Othoniel à exposer dans le cadre d’Art dans la ville. Il présente une performance vidéo de sa vision d’enfance d’un terril noir accumulé de résidus miniers érigé par l’homme qu’il transforme avec une certaine joie en un volcan éruptif à l’aide de fumigènes et de feux d’artifices. Le goût de faire surgir la lumière de la noirceur est un des grands thèmes de travail de l’artiste que l’on retrouve également dans sa première œuvre, « autoportrait en robe de prêtre » datant de 1986.

A l’opposé du gigantisme de la vague, ce cliché photographique minuscule est de l’ordre de l’intime. Travesti en prêtre, l’artiste glisse sur l’eau gelée recouvrant le mur du barrage de Cotatay de sa région natale qu’il tente de gravir… c’est après une blessure profonde que le jeune homme se mit à douter, hésitant entre vie religieuse ou devenir artiste. Il choisira de se métamorphoser en prenant les habits du second pour ré-enchanter la vie, guidé par la lumière.

En résumé, que l’on soit conscient ou non des motifs récurrents qui peuplent l’œuvre de Jean-Michel Othoniel en lui conférant son étrange unité, cette exposition « Face à l’obscurité » magnétise avec force son audience en proposant, loin des effets faciles d’un certain art contemporain actuel, une idée mature de l’art comme médium puissamment évocateur.

(Jean-Michel Othoniel, « Face à l’obscurité », du 26 mai au 16 septembre 2018, Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Etienne Métropole, http://www.mam-st-etienne.fr/ ; tous visuels photos Stéphane Chemin)

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