Ce sont d’ailleurs rien moins qu’un beau livre développé sous l’impulsion de Carine Roitfeld (ex-rédactrice en chef du Vogue Paris) et l’exposition d’une centaine de ses photos offertes au regard dans le cadre-écrin du Grand Palais qui créent l’évènement.
Dans la galaxie et le très riche corpus d’icônes de la maison de couture Chanel (le sac matelassé 2.55, le camélia, les perles, la comète, le tweed, les chaînes, etc.), il est une pièce que se doit de posséder toute femme (et pourquoi pas tout homme ?!) qui respecte un tant soit peu sa mise : la petite veste noire. « La Petite Veste Noire : un classique de Chanel revisité », voici donc le titre en forme d’ambition qu’illustre avec fougue et une certaine classe très Rive Gauche le nouvel opus cousu main du tandem Lagerfeld/Roitfeld. Soit 113 personnalités, gens venus de la mode, du cinéma, ou party boys and girls et socialites des quatre coins du globe qui ont accepté de servir de doublure à la mythique veste en tweed noir.
Le résultat, galonné d’un noir et blanc limbique ultra-maîtrisé rappelant par touches l’impressionnisme allemand autant que les portraits des grands de Prusse (cf. Anna Mouglalis) se savoure comme un volume collector. A faire défiler ces 232 pages, on y découvre les bonheurs d’une certaine rigueur vestimentaire (la veste) et stylistique (la pose, le cadre). Une rigueur « made in Lagerfeld » qui déborde largement du champ de l’intention et semble nous parler la langue maternelle de l’auteur. Où l’on se surprend à penser, entre deux froissements de pages : « mais qu’est-ce qui fait courir Karl ? » L’homme n’est pas à un paradoxe près.
Le nimbe d’une capillarité intuitive s’est penché sur le berceau du petit Karl Otto à une date oubliée des services de préfecture, et apparemment inconnue de l’intéressé (sic !). Silhouette crayonnée à riche houppe de crin blanc, hubris de Mademoiselle, expressions marmoréennes et visage de Kaiser cerné d’épaisses lunettes noires, demi-phalanges gantées Causse, Karl Lagerfeld reste un mystère et incarne la rue Cambon depuis bientôt 30 ans. En effet, qui se souvient que, à sa reprise des pôles Haute-Couture, Prêt-à-porter et Accessoires en 1983, Chanel n’était plus qu’une maison moribonde au bord de la fermeture éclair. Le fantôme d’une grande dame planait alors…
Des photographes, il affirme admirer ceux qui sont passés à la postérité dans une unique image, avoue une passion singulière pour Alfred Stieglitz, Edward Steichen, Robert Demachy ou Alain Langdon Coburn…et maintenant Steven Meisel. Pour « La Petite Veste Noire », il reconnait que son image préférée est aussi la plus sévère : celle de Micheline Chaban-Delmas. Et déclare, dans la faconde qui a fait son style que « d’abord la bonne femme est assez incroyable et j’aimais le personnage : elle est arrivée pas maquillée, pas coiffée, on a pris la photo en cinq minutes et elle est partie… »
Mais Lagerfeld a le don du passé, son talent est de l’incarner dans la continuité. Une grâce qui lui permet encore aujourd’hui d’harmoniser son actualité photographique et ses activités de directeur artistique. Et d’honorer la mémoire d’un double C.
N’est-ce pas ce que réclament les fantômes ?
(« La Petite Veste Noire : un classique de Chanel revisité » par Karl Lagerfeld et Carine Roitfeld, éditions Steidl, 232 pages, N&B, 78€)