Des auteurs comme Henri Lœvenbruck avec l’alchimie (Le Mystère Fulcanelli, Flammarion), Erik Larson avec Marconi et l’invention de la télégraphie sans fil (Les Passagers de la foudre, Cherche-Midi), Francis Huster avec « l’affaire » Xavier Dupont de Ligonnès (Family Killer, Le Passeur Editeur), ou prochainement Pierre-Yves Leprince et le grand Marcel (Les enquêtes de Monsieur Proust, Gallimard) renouvellent sans prétendre à l’exhaustivité les codes du genre.

« La Trilogie Nostradamus », de Mario Reading, Editions du Cherche-Midi

« La Trilogie Nostradamus », de Mario Reading, Editions du Cherche-Midi

A chaque écrivain, donc, de picorer dans la revue de l’Histoire pour en extraire la substantifique moelle fondatrice du roman (l’invention). Et, dans son laboratoire cérébral, bricoler du sens en regard du héros réanimé par l’impétueux besoin de l’entreprise. Le britannique Mario Reading (sic !) est de ces laborantins éprouvés par des années de writing studies, pratique scolaire anglo-saxonne aussi civilisée que barbare et qui vise à transformer n’importe quel passionné de littérature en machine à billets. La pratique s’avère payante, elle a donné des page turner à la pelle ! En cuisine, la recette d’un bon page turner doit être efficace comme un couteau d’office et bien rodée. Les rebondissements doivent se bousculer à un débit de mitrailleuse. Le récit doit happer son lecteur, et ce, dès le prologue.

Traduite dans 38 pays, vendue à plus de 1 million d’exemplaires à travers le monde, La Trilogie Nostradamus de Mario Reading est parue en France aux Editions du Cherche-Midi. Les tomes 1 et 2 (Les Prophéties perdues et L’Hérésie maya) sont sortis dès la rentrée littéraire 2013. Le troisième et dernier volet de la saga, Le Troisième Antéchrist, vient tout juste de rejoindre les librairies. Qu’y trouve-t-on ? Et que vaut cette enquête ténébreuse, qui emprunte 450 ans de théories cryptées à la théorie du complot, comme au conspirationnisme apocalyptique ?

Au prologue du tome 1 donc, le lecteur croise d’entrée de jeu un Nostradamus au crépuscule de sa vie. Rencontre intimidante. Ce dernier mande son domestique de soustraire à la vue de tous 52 quatrains, sur les 1000 qu’il a écrit. Conjointement, une société secrète, le Corpus Maleficus, incarnée par la lignée des de Bale se lance sur la piste des Prophéties perdues. Elle ne sera pas la seule…Direction Paris Saint-Denis, en 2012. Nous y faisons la connaissance de l’un des futurs poursuivants, un chevalier blanc qui répond au doux nom d’Adam Sabir (re sic !). Ce Sabir-là est écrivain (normal !) et journaliste occasionnel. On apprendra au chapitre 10 qu’il loue un appartement sur l’Île-Saint-Louis, et que cette situation exceptionnelle lui a été permise par les revenus confortables que lui ont un temps assuré son dernier bouquin, un bestseller : La Vie privée de Nostradamus.

Que sait-on du personnage historique de Michel de Nostredame ? Médecin et astrologue de la Renaissance, né à Saint-Rémy-de-Provence dans une famille juive espagnole fraîchement convertie au catholicisme, protégé de Catherine de Médicis à la cour, Nostradamus est encore célèbre pour être l’auteur attribué des Centuries. Recueil de prophéties à la versatilité langagière écrit dans un mélange de français vulgaire, de latin, de patois provençal et d’un peu de grec, les Centuries forment le texte le plus lu, le plus commenté et le plus passionnément discuté après la Bible. Chaque centurie regroupe un ensemble de cent quatrains. Mort en 1566, Nostradamus laissa la septième centurie orpheline de 52 quatrains. On attribue aux 948 restants une valeur prédictive, valeur en partie due au plus célèbre d’entre eux, publié dans la première édition quatre ans plus tôt, qui annonçait en terme non équivoque la mort d’Henri II lors du duel qui lui coûtera effectivement la vie en 1559…Depuis, d’Hitler à Napoléon en passant par la peur de la fin des temps, les Centuries inspirent les imaginaires les plus féconds…y compris ceux des romanciers qui ont là une bonne histoire, d’autant plus séduisante qu’elle demeure en suspens. Pour ceux que le texte original intéresse, on conseillera la première traduction commentée et datée de Marc Luni, Les Centuries, sortie en octobre 2010 chez Dervy. Mais, pour les amateurs de frissons échevelés, les romans de Mario Reading feront amplement l’affaire.

Si le héros de La Trilogie Nostradamus s’avère plus croqué à la mine que détaillé au pinceau dans le premier tome, l’auteur sait ménager des moments d’intime proximité entre son premier rôle et le lecteur. A l’instar, comique, de cet extrait page 31 : « […] Les plumitifs comme moi ont l’habitude des insultes. Nous sommes tout en bas de l’échelle. A moins d’écrire des best-sellers, bien sûr, ou de découvrir le moyen de devenir célèbre, et alors on se retrouve comme par magie propulsé au sommet. Mais même là, quand on ne peut plus suivre, on replonge au plus profond de l’abîme. C’est un métier qui vous prend la tête, vous n’êtes pas d’accord ? » L’autre grand homme du livre, c’est le capitaine de police Joris Calque. Un personnage aux fêlures poignantes, pourtant décrites avec une économie de moyens. Son fidèle lieutenant Macron le marseillais sur ses basques, Calque est en manque affectif depuis qu’il a été rejeté par sa propre fille. Les points d’appui du caractère d’Adam Sabir le long du premier récit sont plus flous. Tout comme ceux des personnages négatifs manquent de consistance pour nous faire vraiment les détester. De telle sorte que l’enchaînement des chapitres courts peut apparaître superficiel et dissuader le lecteur de poursuivre sur le tome 2. Ce serait un tort.

« La Trilogie Nostradamus », de Mario Reading, Editions du Cherche-Midi

« La Trilogie Nostradamus », de Mario Reading, Editions du Cherche-Midi

Dans le deuxième volet, L’Hérésie maya, Mario Reading répare (presque) tout ce qui faisait défaut à son premier opus. Les personnages gagnent en consistance (et en résistance face à l’adversité), les chapitres s’allongent et une histoire d’amour à double inconnue fait son apparition avec Lamia de Bale, la sœur de jumeaux sanguinaires lancés aux USA, puis au Yucatán, sur les traces de Sabir, du capitaine Calque et de leur sœur.

Ce duo terrible et drôle à la fois pimente l’intrigue, par instants traversée de considérations ethnologiques. Ainsi, page 171 à 172 : « J’adore les Américains des petits patelins, déclara Abiger de Bale. Ils sont tellement naïfs. […] Je prétends être un touriste, tu vois. Je leur pose des questions. En américain. Des choses comme : « Vous avez des gens connus dans votre ville ? » Alors, ils me fournissent toute une liste […] oh, et puis aussi le nom de celui qui a écrit un livre sur la vie privée de Nostradamus. Et […] ils me racontent tout sur sa vie […] Essaie de faire la même chose en France ; autant t’échiner à casser une pierre avec le bout de ton nez. […] Et puis les Américains sont incapables de reconnaître les accents, de toute façon. Ils ne mettent jamais les pieds à l’étranger. Ils nous prendront pour des Canadiens. » A ce stade du livre, Adam Sabir est « retraité » dans le Massachusetts. L’irruption des jumeaux fous, et ensuite la belle Lamia de Bale, vont le décider à quitter sa réserve s’il ne veut pas être chassé ! Lamia de Bale, c’est le Némésis de l’intrigue, son nœud gordien, à la fois fantasme féminin pour Sabir et fille rêvée pour un Calque meurtri en désir de justice.

Le dernier tome, Le Troisième Antéchrist, nous fait voyager du Mexique à la Moldavie. A la recherche de ce fameux troisième et ultime Antéchrist. Selon certains, 77 quatrains de Nostradamus prédisent la venue de deux despotes reconnus comme ayant été Napoléon et Hitler. 36 autres évoqueraient un troisième cacique infernal avant la fin des temps…La théorie eschatologique rejoint en creux la fiction. Dans le roman, elles s’incarnent ensemble dans la figure redoutable de Dracul Lupei. Un vrai méchant moldave d’une quarantaine d’années dont les turpitudes charpentées ont quelque chose des Borgia…La fin du monde attend-elle le lecteur dans un brasier de pages ardentes ? On ne dévoilera pas la fin.La Trilogie Nostradamus se termine, contre toute attente, sur une ode en apesanteur, celle du poète des poètes de la mystique persane, Rûmî.

(« La Trilogie Nostradamus », de Mario Reading, Editions du Cherche-Midi, traduit de l’anglais par Florence Mantran ; tome 1 « Les Prophéties perdues », sortie 5 septembre 2013, 576 pages, 14€ ; tome 2 « L’Hérésie maya », sortie 5 septembre 2013, 640 pages, 21€ ; tome 3 « Le Troisième Antéchrist », sortie 20 février 2014, 592 pages, 21€)