On ne s’en rend pas forcément compte tout de suite mais après quelques dizaines de pages on tombe sous l’influence addictive de l’art narratif d’Adelle Waldman.

Qu’elles soient affectives ou sexuelles n’y fait rien : les vents et marées de l’aventure amoureuse restent des vents et marées, avec ce que ça implique de dangers, d’accalmies, de tempêtes, de risques de noyade. Et Nate (c’est son petit nom) affronte ces déferlements avec ce qu’il faut de cynisme et d’engagement, de distance et de fragilité, selon les jours, les femmes, les humeurs. Souvent avec mépris aussi.

« De temps à autre, en privé, seulement avec Nate, l’une de ces filles bronzées, pleines de santé faisait une discrète allusion à un roman sans prétention oublié par un invité capricieux qu’elle avait lu autrefois dans sa résidence secondaire. Elles savaient donc lire. »

On flirte avec la misogynie sans cesse, mais le ringardisme permanent de Nate sert de rambarde contre ce risque. Le héros est pitoyable, dans ses lâchetés, ses renoncements, sa solitude (on n’est jamais aussi seul qu’avec des dizaines d’affaires de sexe !) mal assumée. Nate compose un tableau parfait du célibataire échoué sur les plages erratiques de la contemplation de soi. Pathétique, attachant cependant.

« La vie amoureuse de Nathaniel P. », d’Adelle Waldman, Christian Bourgois éditeur

« La vie amoureuse de Nathaniel P. », d’Adelle Waldman, Christian Bourgois éditeur

« Il examina le contenu de son réfrigérateur, cherchant il ne savait quoi. Un petit déjeuner tout fait d’œufs Bénédicte avec une tasse de café fort lui auraient plu. Hélas. Pas même une barquette de riz de son livreur chinois préféré, dont la devise était pour VOUS ce pur délice. Il versa le reste du coca dans sa tasse et jeta la bouteille. Une odeur rance monta de la poubelle. Il appuya sur le couvercle pour la fermer. »

C’est l’anxiété qui domine. L’écriture d’Adelle Waldman accomplit parfaitement l’alchimie de la restitution de cette anxiété diffuse que Nate gère (mal) à travers ses aventures amoureuses. Il y a dans ce roman une touche de Woody Allen : New York, ses bobos, ses écrivains, ses artistes. Le Village est sans cesse présent en toile de fond.

L’anxiété de Nate semble liée aux femmes mais c’est plus compliqué que ça : les femmes sont le miroir de la peur de ne pas écrire – le succès littéraire vient d’arriver seulement et rien n’assure qu’il durera. Avec élégance, légèreté, Adelle Waldman nous emmène dans ce NY archétypique, presque caricatural, mais ô combien séduisant. Ô combien séduisante cette Ville qui palpite comme un décor en plein air.

« En traversant le pont, Nate se retourna pour contempler les toits de Manhattan derrière eux. Les chaînes de lumières blanches le long des câbles des autres ponts de l’East River ressemblaient à des colliers dansant sous les tours très éclairées, tel un feu d’artifice figé à l’instant du bouquet final. »

On pense, sur les traces de Nate, à la phrase attribuée à Freud : « Que veut la femme ? ». Et, avec un talent narratif incomparable, Adelle Waldman renverse radicalement la question : que veut ce paumé sympathique et terrifié par les femmes, figures du destin des hommes ?

Un roman original et d’une séduction de chaque instant.

(« La vie amoureuse de Nathaniel P. », d’Adelle Waldman, Christian Bourgois éditeur, traduit de l’anglais (USA) par Anne Rabinovitch, sortie Août 2014, 336 pages, 19 €. Ce livre existe aussi en ebook, 13,99€)