Louvre : Le Maroc médiéval. Un empire de l’Afrique à l’Espagne
C’est par la lumière sacrée d’un grand lustre, gardé dans la plus ancienne mosquée al Qarawiyyin de Fès que le visiteur est accueilli dans le hall Napoléon. Ce lustre suspendu à hauteur d’homme afin que chacun puisse le contempler pourrait résumer, par sa taille et son raffinement infini, l’empire qui s’est développé au cours de la période médiévale. Plus loin, c’est un autre lustre de la même mosquée, cette fois monté sur une cloche d’église espagnole, prise de guerre du sultan Abu al Hasan lors de la bataille de Gibraltar, qui fait sens et questionne. Le symbole religieux est ici détourné par la politique.
De la Mauritanie au Sud de l’Espagne et du Portugal à la Lybie, l’empire marocain s’est constitué progressivement du 9e au 15e siècle autour de dynasties successives nées des peuples berbères, dont les principales furent les Almoravides, les Almohades et les Mérinides. Conquêtes de territoires, implantation de population, développement rapide des cités, commerce florissant, des facteurs clés qui contribuèrent au déploiement de l’art identitaire marocain, des idées et des sciences.
Le grand mérite de l’initiative du Louvre, outre son actualité, est de nous faire « toucher » une époque riche et éclairée, un Moyen âge qui n’avait rien de moyen et resplendissait sous le feu des échanges culturels et scientifiques dont toute la région d’empire, stratégiquement située entre l’Europe et l’Afrique, bénéficiait en un flux sans précédent de progrès. Les idées y circulaient librement, alimentant ainsi le foyer d’une haute culture autour du bassin méditerranéen.
Organisée en partenariat avec la Fondation nationale des musées du Maroc, l’exposition présente 300 œuvres suivant un parcours chronologique de l’influence de chaque dynastie sur la région. Si la représentation d’êtres vivants est bannie par les docteurs de la Loi, chaque objet ou fragment d’édifice contient l’idée de Dieu à travers la géométrie. « Dieu est nombre »…Les minbars (chaires d’où sont déclamés les prêches du vendredi) mesurant de 2 à 3 mètres de haut y sont subtilement ciselés, ou recouverts de marqueterie à n’en plus finir. Des pans entiers de murs de mosquées sont couverts de céramiques polychromiques grâce à la technique importée de l’Andalousie voisine.
Le métal est travaillé avec gracilité et affirme de fait la richesse de l’empire qui frappe sa propre monnaie. Les corans couverts d’enluminures calligraphiées suintent l’or et les tissus se font parures sophistiquées. La science, l’astronomie et l’astrologie prennent dans ces temps-là une avance incontestable sur l’Occident. En témoignent ces astrolabes, vestiges de la soif de savoir des savants marocains, cet outil leur permettant de lire l’heure en fonction de la position des étoiles ou du soleil, et ainsi, de mesurer la hauteur des astres.
Ce n’est là que quelques trésors parmi beaucoup que le Louvre a choisi d’exposer. On apprécie la balade, succombant avec délices aux sirènes de ce riche passé culturel, qui est la clé pour comprendre l’ancrage culturel du Maroc d’aujourd’hui.
Institut du monde arabe : Le Maroc contemporain
Gagnons l’autre rive de la Seine où se dresse, sur le parvis de l’Institut du monde arabe, une fière khayma (tente formant un campement de nomadisation) réalisée par l’architecte Tarik Oualalou (agence Kilo). L’édifice garde le traditionnel revêtement en poils de dromadaires tissés, seule son armature est déstructurée pour imiter les dunes du désert saharien. On ne peut rester indifférent face à cette structure d’un autre monde qui semble se mouvoir sur le ciel gris plomb de Paris, la curiosité pousse à entrer à l’intérieur… On y découvre un espace de restauration (plats marocains le midi et salon de thé avec pâtisseries) et un souk dédié à l’artisanat et au design. Cette tente, c’est un coin de Ouarzazate ou de Casa’, les musiciens jouent, on n’y est plus vraiment en visite et pas encore habitant, un lieu de transit, nomade, une très jolie idée pour se sentir ailleurs, le Maroc vient à domicile…Cette structure a été conçue pour accueillir l’art vivant, spectacles, danses, films, concerts, poésie et conférences.
Le Maroc contemporain nous présente la diversité de la création dans un pays musulman qui revendique, dans sa constitution, la pluralité de ses héritages culturels : arabes, berbères, chrétiens et juifs vivant ensemble en paix, cela pourrait être le message de cette exposition.
80 artistes présentent, sur 3 niveaux de l’Institut du monde arabe, leur vision de la société marocaine et leur vision du monde en explorant un large éventail d’expressions artistiques (peintures, sculptures, installations, photographies, vidéo, cinéma, design, architecture, musique, littérature, bande-dessinée…). On doit le choix des œuvres aux commissaires d’exposition Jean Hubert Martin, Moulim El Aroussi et Mohamed Métalsi qui ont parcouru le territoire marocain à la recherche de créations pouvant définir une scénographie dans un parcours original.
Les générations d’artistes se côtoient comme un tapis artisanal tissé à la main, les arts s’entremêlent et dialoguent. Farid Belkahia, disparu en septembre dernier, fut le pionnier de l’art contemporain dans son pays. Un cheminement qui le conduisit à sortir de l’art conventionnel Occidental, à savoir la toile de lin tendue sur un châssis à angle droit. Lui décide d’utiliser ce qu’il trouve dans son pays : la peau d’agneau qu’il va préparer et tendre sur des châssis aux formes courbes qu’il aura défini, avant d’en peindre la surface avec plus de 50 nuances de henné. Il inclut des symboles berbères au sein d’une grande sensualité de formes stylisées. L’autre pionnier de l’expo, Mohamed Melehiqui, est un maître de la couleur pure, il navigue entre figuration et abstraction, entre ondes et lignes droites, son œuvre nous transporte tel un navire sur la mer.
La jeune génération est bien présente et s’empare des symboles religieux, tel Said Afifi qui remplace le cube de la Kaaba de la Mecque par une sphère, sa structure opposée, comme s’il remplaçait l’homme par la femme. Au-delà de la religion, des artistes tentent grâce à différents médiums d’entrer en résonnance avec un Dieu. A ce titre, la salle réservée aux œuvres se rapportant au soufisme, l’intériorité de l’Islam, reste la plus mystérieuse.
Younes Rahmoun propose au visiteur de se déchausser et de rentrer physiquement dans son installation « Zahra Zoujaj », une structure qui renferme 77 lustres produisant une lumière tamisée qui se reflètent à l’infini grâce aux miroirs, un son se diffuse en continu, c’est une invitation à la méditation. L’autre façon de rentrer en contact avec le spirituel est d’arriver à l’extase, à l’instar des Derviches tournant sans fin sur eux-mêmes et évoqués par les quatre œuvres « Mystic dance » de Najia Mehadji : il s’agit ici d’un travail unissant le corps et la pensée, la ligne et la lumière, l’artiste fait danser les formes en mouvement.
Le mouvement féministe marocain est le plus fort du monde arabe, mais il est confronté à une société dominée par l’homme, on comprend aussi qu’il faut du temps pour faire bouger une conscience collective… Nadia Bensallam l’illustre dans sa vidéo performance « 2min 45 à Marrakech ». Elle y déambule à travers la ville, vêtue d’un niqab remonté jusqu’aux genoux, chaussée d’une paire d’escarpins et arborant un sac à main. Elle ne passe pas inaperçue et se fait insulter par…des femmes ! Autre regard sur la condition de la femme marocaine qui rêve de liberté et du corps féminin sans entrave ni carcan, la série de photos « Super Oum » de Fatima Mazmouz.
Depuis le Printemps arabe en 2010, ou la Révolution 2.0 qui s’est répandue sur les réseaux sociaux et l’avènement du roi Mohammed VI en 2009, le Royaume du Maroc a su rester en paix. La liberté d’expression des artistes est respectée : cela passe désormais par l’ouverture du 1er Musée d’art moderne et contemporain à Rabat. Le Maroc nous montre aujourd’hui sa volonté de faire évoluer sa très riche histoire vers la modernité. Ces deux expositions parisiennes où découvrir ses plus beaux trésors du passé et du présent prouvent qu’il est en bonne voie d’y parvenir.
Pour aller plus loin dans la découverte des artistes exposés à l’Institut du monde arabe, explorez le webdoc : www.imaroc-contemporain.com
(« Le Maroc médiéval. Un empire de l’Afrique à l’Espagne » au Musée du Louvre jusqu’au 19 janvier 2015, http://www.louvre.fr/ ; « Le Maroc contemporain » à l’Institut du monde arabe, prolongations jusqu’au 1er Mars 2015, http://www.imarabe.org/ ; tous visuels reproduits avec l’aimable autorisation des musées)