Parcourir les jardins du savoir

Pilier de la culture perse, « Le Shâhnâmè » est peut-être l’œuvre poétique la plus connue de langue persane. Son auteur, quasiment ignoré de son vivant, le poète Abu-l-Qasim Mansur, dit Ferdowsi, rédige au 11e siècle une compilation de légendes et mythes persans, un livre épique, vaste entreprise littéraire retraçant l’histoire du Grand Iran depuis la création du monde jusqu’à la conquête arabe en 651 après J.-C. Une véritable épopée au style s’écoulant tel un torrent, alternant personnages historiques, héros de contes, animaux parlants, etc. La prévalence de Ferdowsi pour la puissance du fantastique sur le réel dur trahit sans doute la véritable inclination de son travail.

Le poète s’est mis à la rédaction de son maître-livre vers ses vingt-cinq ans, et durant les quarante années suivantes a œuvré à le sculpter, le façonner, pour lui donner vie. La sagesse et l’inspiration qui transparaissent entre ses lignes rejoignent les croyances zoroastriennes (culte païen solaire) dans lesquelles était baigné l’auteur, épousant la pensée mystique soufie. Preuve s’il en est encore besoin, que les symboles seront toujours le plus court chemin pour parcourir les jardins du savoir, et transmettre un message… Il en est ainsi de l’éternel « Shâhnâmè » et de ses 50 000 vers, qui se lisent sans traduction par les Iraniens et les Afghans d’aujourd’hui, comme les Français de nos jours peuvent toujours comprendre Montaigne dans la langue, ou les Islandais actuels, leurs poèmes eddiques.

Les planches de l’ouvrage sont précédées des textes explicatifs de Sheila R. Canby, conservateur du département de l’Art islamique au Metropolitan Museum of Art à New York. En fin d’édition, légendes détaillées et commentées, sans oublier une liste des personnages, complètent et approfondissent la compréhension émerveillée du lecteur.

Un livre pour le Roi

On s’en doute, « Le Shâhnâmè » aura donné lieu à la verve picturale de nombreux artistes depuis ses premières parutions, et maintes éditions existent, plus ou moins richement illustrées. Mais la plus splendide est celle, choisie par Citadelles & Mazenod, exécutée à Tabriz pour Shah Tahmasp 1er, souverain perse de la dynastie safavide qui régna sur l’Iran de 1524, à sa mort en 1576. Rassemblées en un seul volume et reproduites avec le soin et le talent de l’éditeur, c’est ici 258 miniatures enluminées qui mettent en relief le texte et éclaboussent l’œil de couleurs vibrantes, alliées à la grâce et la finesse d’un pantone or de toute beauté.

Publication porteuse de sens qui prend sa source dans une époque en quête du sien, « Le Shâhnâmè » est plus qu’un roi des livres. C’est une grande épopée, captivante et mouvementée, pleine d’étonnements et d’effrois, propre à nous ravir et nous faire réfléchir sur la vraie puissance des mots, des images, et la réalité qu’ils éclairent, déchirant les voiles trompeurs des apparences. De quoi rendre nos livres d’histoire si illusoires !

(« Le Shâhnâmè » de Shah Tahmasp, éditions Citadelles & Mazenod, de Ferdowsi, textes explicatifs de Sheila R. Canby, 300 ill. couleur, relié sous étui illustré, sortie septembre 2021, 360 pages, 149€ ; tous visuels reproduits avec l’aimable autorisation de l’éditeur)