Plus qu’un énième cours d’histoire sur cette famille d’origine espagnole, passée à la postérité pour son goût du lucre et du stupre, l’initiative replace le visiteur dans une géographie (l’Italie), une temporalité (la Renaissance) et un contexte riche en intrigues politiques et enjeux artistiques. Pour ces derniers, peu importe la méthode, seul compte le résultat…

"Vierge à l'enfant en prière et  ange avec un phylactère" Atelier des Della Robbia

« Vierge à l’enfant en prière et ange avec un phylactère » Atelier des Della Robbia

Le Musée Maillol restitue ici l’air du temps des Borgia à coups de chefs-d’œuvre, certains exposés pour la première fois en France : peintures, sculptures, fresques, dessins, bijoux, armes et correspondances du Titien, Bellini, Mantegna, Léonard de Vinci, Raphaël, Michel-Ange, etc.

La pièce la plus mystérieuse de l’exposition reste une pietà en terre cuite attribuée récemment à Michel-Ange…un travail préparatoire de la sculpture en marbre visible à Saint-Pierre de Rome. Attribué toujours au célèbre florentin, on découvre un magnifique Christ en croix qui semble flotter dans l’obscurité.

"Saint Sebastien" par Saturnino Gatti

« Saint Sebastien » par Saturnino Gatti

Les premières œuvres présentées, une galerie classique de portraits des Borgia, introduisent le public au plus près des protagonistes, à cette époque de rapports de force et d’échauffourées intestines dans une Italie d’avant l’unification, éclatée par les guerres, les suzerains, et les schismes religieux.

Avec l’accession en 1492 de Rodrigo Borgia, sous le nom d’Alexandre VI, au trône de Pierre, le monde catholique et la papauté connaissent un grand bouleversement. Arbre aux ramifications bâtardes, le clan Borgia se présente plus simplement par l’entremise d’une sainte trinité, ses membres emblématiques : Rodrigo, le père ; César, le fils ; Lucrèce, le Saint-Esprit.

"Christ crucifié" attribué à Michel-Ange

« Christ crucifié » attribué à Michel-Ange

Sans être des figures saintes du panthéon papal, ces trois-là, reliés dans l’expo par leurs trois portraits (dont un attribué, celui de César), sont comme les trois figures d’un jeu de tarot. Animal politique de son temps, Rodrigo Borgia saura s’entourer d’artistes, de cartomanciens, de voyants et de conseillers qui tous le servaient dans un but régal : anticiper le prochain coup de dés et imposer un canon public du pouvoir. Le trait de génie de l’entreprise étant de venir « d’en haut ».

Collectif ouvrier de cette intelligence au service de l’ambition personnelle, les artistes de l’époque ne vont avoir de cesse de mettre leur talent à disposition plus que parfaite de l’Eglise et de ses nouveaux monarques. Au premier chef, César, le fils, premier enfant de Rodrigo Borgia, ambitieux et conquérant, fera appel à la créativité militaire et ingénieure d’un certain…Léonard de Vinci, pour vaincre ses adversaires. Nicolas Machiavel le prendra pour modèle dans « Le Prince », son grand traité de politique moderne.

"Piéta" attribuée à Michel-Ange

« Piéta » attribuée à Michel-Ange

Avec trois mariages de raison et la clé des alcôves du pouvoir, Lucrèce, la fille, fut une pièce maîtresse du plan de conquête du patriarche. Cultivée, protectrice des arts, elle était aussi l’une des plus illustres femmes de son temps.

De nombreuses légendes sulfureuses et fantasmées se sont constituées autour de cette famille, mais cette exposition s’attache à montrer que les Borgia furent les mécènes éclairés des plus grands artistes de la Renaissance.

Si les arts et la Science sont à leur service, ils servent toujours à mieux appréhender un monde en crise. A l’heure des humanismes, des pensées nouvelles voient le jour autour de la philosophie d’Erasme, de la découverte des Amériques, ou de l’invention de l’imprimerie par Gutenberg…Autant de démonstrations que l’Histoire est un éternel commencement et qui nous montrent à quel point l’époque des Borgia fut le témoin d’une réelle mutation de la pensée humaine.

Lucrèce Borgia par Milo Manara - Reliquaire des cheveux de Lucrèce Borgia - "Lucrèce Borgia" film de Christian-Jaque

Lucrèce Borgia par Milo Manara – Reliquaire des cheveux de Lucrèce Borgia – « Lucrèce Borgia » film de Christian-Jaque

La renommée posthume des Borgia n’est pas non plus oubliée. Le musée Maillol réhabilite « l’esprit » des Borgia, trop souvent décrits comme violents et débauchés, mais qui ont inspiré jusqu’à aujourd’hui la littérature, la bande-dessinée, le théâtre, le cinéma, la télévision et le jeu vidéo, comme « Assassin’s Creed : Brotherhood » qui permet de retrouver Ezio Auditore aux prises avec un dénommé…César Borgia.

La contemporanéité du sujet a sauté aux yeux de multiples écrivains, à l’instar de Mario Puzo. Après son œuvre-phare, « Le Parrain » (The Godfather, 1969), l’odeur de la mafia et des affaires famille lui inspirera « Le Sang des Borgia » (The Familiy, 2001), roman achevé par son épouse après la mort de l’auteur/scénariste.

Les Borgia et leur temps » Musée Maillol, 59/61 rue de Grenelle, 75007 Paris

« Les Borgia et leur temps » Musée Maillol, 59/61 rue de Grenelle, 75007 Paris

Les costumes de la série TV « Borgia » ponctuent la visite avec l’envie d’en savoir plus et de se plonger dans ce que la Renaissance nous a légués de plus grandiose. Avec leur soif d’un pouvoir sans limites, les Borgia ont peu servi Dieu, mais ils ont bien servi leur temps.

(« Les Borgia et leur temps » du 17 septembre 2014 au 15 février 2015 au musée Maillol, 59/61 rue de Grenelle, 75007 Paris, http://www.museemaillol.com/ ; tous visuels reproduits avec l’aimable autorisation du musée)