Un sac de pépites, dont certaines rarissimes, un carrousel de photos à la frontière de plusieurs genres, et de quoi s’interroger. La photographie est-elle toujours un témoin fiable ? Le recours systématique à l’image dans la presse est-il gage d’objectivité ? Ou bien, un flash voyeur n’est-il destiné qu’à tromper le public, le cliché princeps devant subir une série de transformations avant d’atteindre « la cible » ?
Le livre et sa collection de clichés font l’objet d’une exposition cet été aux Rencontres d’Arles 2013 (« A Fonds Perdus », du 1er juillet au 22 septembre 2013, Atelier des Forges, Parc des Ateliers). Bref, assez d’indices pour que Le Mot et la Chose parte titiller son auteur et remonte avec lui le fil de cette belle aventure. Rencontre en Version Originale !
Des apaches et une idée
Réalisateur éclectique, touche-à-tout curieux, Raynal Pellicer a l’âme baladeuse et l’enthousiasme communicatif. Déjà auteur aux Editions de La Martinière de « Présumés coupables » en 2008 et « Photomaton » en 2011, fasciné par l’image et ce qu’elle raconte, l’homme témoigne de ce qu’il faut aujourd’hui de confiance en soi pour faire aboutir, à l’ère d’Internet, un projet comme celui de « Version Originale » entièrement dédié à la photo noir et blanc. Toutefois, l’idée d’un livre consacré à la photographie de presse retouchée est née d’une autre : « j’avais l’envie de réaliser un documentaire sur les apaches, entame Raynal Pellicer, ces bandes qui sillonnaient Paris au 19e siècle. Seul problème : pour témoigner de cette époque nous n’avons que les photos. Et une succession de photos montées à l’écran avec une voix off, ça passe mal de nos jours…Mais l’idée me plaisait, et puis je suis tombé sur des clichés judiciaires d’Amélie Elie, surnommée la Gigolette ou Casque d’Or. Là, on était très loin de Simone Signoret dans le film de Jacques Becker ! Ma première intention était donc de retrouver certains personnages emblématiques dans leur vérité, pas le fantasme de cinéma ou la copie. Elle a encore évolué lorsque je me suis rendu à la librairie du Congrès aux USA et dans leurs archives. J’y ai trouvé matière à un déclic : des photos de deux des plus grands mafieux de l’époque : Meyer Lansky et Lucky Luciano. Ces clichés, ça se voyait, avaient été retouchés. »
Le faux de la photo
Au commencement pourtant, tout était simple. Nicéphore Niépce met au point le procédé qui consiste à fixer un instantané de vie, John Herschel lui donne un nom, Félix Tournachon, dit Nadar, des ailes (il réalise la première prise de vue aérienne de Paris depuis un aérostat en 1858 !), puis les frères Lumière le poussent définitivement dans l’éternité grâce au mouvement, à la couleur (l’autochrome) et quelques 170 brevets !! Ceci pour la petite histoire. De nos jours, et après la naissance de Photoshop dans les années 1990, le grand public est invité à croire que la photographie retouchée est un mal moderne. « Rien n’est plus éloigné de la vérité ! prévient Raynal Pellicer. Si on connaît les grandes manipulations de l’image à travers l’histoire, que ce soit en Chine avec Mao, en URSS sous Staline, qu’il s’agisse d’opposants politiques effacés ou d’indésirables au régime qu’on aura pris soin de sortir de la photo de famille, l’acte invasif de retoucher un cliché est dans l’essence même du procédé photographique, ne serait-ce que par un recadrage… » Pour preuve : dès 1860, avant l’invention du film souple mais après celle du négatif, la tête d’Abraham Lincoln est placée sur le corps d’un autre, John Calhoun. Des interversions similaires dont les Etats-Unis seront coutumiers pendant la guerre de Sécession et toutes celles qui suivront…Mais la vieille Europe n’est pas en reste côté trucages : en 1920, deux jeunes anglaises déclarent avoir vu des fées dans la forêt. Ce qui sera appelé l’affaire « cottingley fairies » fait immédiatement grand bruit à la une des journaux, mais l’aînée avouera la supercherie…à 83 ans ! Elles n’avaient eu qu’à découper des fées en papier…
Ne soyons pas négatifs !
Des années de recherches, la confiance de collectionneurs, de revendeurs et l’excavation de centaines de boîtes de tirages argentiques épars ont permis à Raynal Pellicer de raconter une histoire sans mots. Son livre est une invitation à la recherche, au plaisir de la découverte, à l’étonnement ou à l’amusement face à tel gangster qui gagne cravate et veston en même temps que respectabilité, face à telle actrice qui « gêne » dans le cadre et disparaît donc aussitôt, face à Bip qu’on ampute d’un bras et au mime Marceau qui perd d’un coup en gestuelle ! Autant de recadrages, de réductions, de noircissures à la gouache et à l’encre, de tentatives d’appropriations anodines ou anecdotiques d’un cliché par son directeur de publication.
Mais au fait, est-ce réellement si anodin pour un journal de publier une image de presse retouchée ? « La question est de savoir si une image retranscrit la réalité, précise Raynal Pellicer. Si on part du principe qu’une image est la retranscription stricte du réel, on doit aussi prendre en compte le modèle et ses tricheries si modèle il y a, le cadrage, l’écriture du photographe lors de la prise de vue. Prendre une photo trahit toujours une intention et un point de vue. Tout le monde sait qu’une photo publicitaire ment. Et tout le monde l’accepte. Alors pourquoi être choqué qu’une photo de presse mente, en ce sens qu’elle altère la réalité ? » De fait, certains clichés actuels passés sous l’effaceur numérique ou de récents documentaires historiques colorisés relancent l’insoluble débat d’une presse face à ses vieux démons : ceux de l’information orientée et de donner à voir en ôtant ce qui permet de (mal) penser.
Le poids des mots, le choc des photos !
Se posent les questions de l’éthique et de l’impartialité des journaux, autant que de la crédulité implicite du public, car une « bonne » photo est souvent une photo trompeuse. « Prenez la photo symbole de la bataille de Verdun, continue l’auteur-réalisateur, prenez cette photo où un poilu sort d’une tranchée avant d’être fauché par une rafale. Cette image a été extraite d’un film documentaire reconstituant la bataille de Verdun, il y a presque dix ans d’écart entre cette image et le conflit. Seulement voilà, aujourd’hui les deux se sont confondus jusqu’à ouvrir un manuel scolaire et à trouver cette fameuse photo qui illustre Verdun pour les écoliers ! » Et d’ajouter « le poids des mots, le choc des photos, on retouche les mots alors pourquoi pas les photos ? Mais c’est vraiment de ça dont il s’agit ! »
Y a-t-il une photo chère au cœur de Raynal Pellicer, dont l’intérêt pour la matière a dépassé le cadre de l’ouvrage ? « C’est toujours la première et la dernière qu’on préfère ! La première, c’est celle qui orne le livre : Humphrey Bogart et sa cigarette effacée. La dernière, ajoute-t-il dans un sourire, je viens tout juste d’en faire l’acquisition. Un tirage argentique de Jackie Bouvier avant son mariage avec JFK. Elle est magnifique. Retouchée un peu partout sur les bords de l’appareil photo, la veste, etc. » Une mise en abyme pour l’auteur qui avoue s’être pris au jeu de la collection. Son actualité prochaine ? « J’ai un livre qui va sortir en octobre prochain aux Editions de La Martinière, une autre belle aventure. J’ai passé quatre mois en immersion au sein de la brigade de répression du banditisme à Paris. J’ai pris énormément de clichés pour en faire une sorte de journal de bord. Ces clichés ne sont pas publiables, puisque le principal outil des agents infiltrés, c’est leur visage. J’ai donc appelé un aquarelliste qui a transformé toutes mes photos en aquarelles judiciaires ! » D’autres projets excitants dorment encore dans ses cartons. Souhaitons-lui que, dans les pas des Rencontres d’Arles 2013, beaucoup souhaitent les révéler.