La La Land à Giverny
La musique adoucit les mœurs, c’est bien connu. Pour le printemps, la grande expo du Musée des impressionnismes Giverny s’intitule : « Tintamarre ! Instruments de musique dans l’art (1860-1910) ». Une bonne intro pour un parcours culturel vaste, puisque le sujet ici traité de la musique (qui se joue et s’entend) dans l’Art balance des vases communicants. Rien d’étonnant à ce que ce thème d’actualité soit repris cette saison au cœur du fief panthéiste de Claude Monet, les mots « impressionnisme musical » allant si bien au futur père des « Nymphéas »…
L’exposition court sur un demi-siècle de représentation musicale dans la peinture impressionniste, de 1860 à 1910. Un arc à la fois chronologique et esthétique; qui est là pour nous rappeler combien ces quelque 50 années ont durablement bouleversé la notion d’Art majeur. Comme la musique concertiste et décadente d’« impressions » qui naît au mitan du 19e siècle, la peinture impressionniste est avant tout un mouvement d’insoumis. C’est une révolution ! Un pied-de-nez à l’art pompier d’Etat où les stars du système produisent à la pelle des œuvres classiques de commande. Un vent de jeunesse et d’insoumission, de soumission à la beauté mais de refus du « réel », souffle alors dans les cadres et sur les chevalets.
En effet, les parallèles à faire entre musique et impressionnisme sont nombreux. Dès leur rencontre, tous deux ont évolué ensemble, et quoi de mieux aujourd’hui que de les redécouvrir à la lumière l’un de l’autre ? On s’attardera sur l’aspect le plus fort qui unit ces deux courants en un tout : le flou, ou la non-fixité.
Pour Auguste Renoir, que ce soit dans la « Jeune femme espagnole à la guitare » ou les « Jeunes filles au piano », la règle du jeu est simple, le flou domine, les contours sont ignorés. Rien n’est figé non plus chez Gustave Caillebotte. Le peintre ici a plus le temps que son modèle, il prend le temps de peindre sa « Leçon de piano », et on peut presque entendre le son des touches, le bruit des pédales, et voir le mouvement des pages de la partition que l’on tourne dans l’impression brève et indéfinie de l’instant de la leçon.
Même chose pour la « Jeune femme au piano » de Pierre Bonnard. Et, parce qu’une expo réussie ménage aussi différents points de vue à son visiteur, on s’attardera sur Mademoiselle Marie Dihau.
Elle est au piano, chez Edgar Degas et Henri de Toulouse-Lautrec. Cela pourrait être la même heure ou le même morceau (en réalité, les deux toiles ont été réalisées à vingt ans d’écart), qu’importe, leurs deux tableaux sont si curieusement différents que c’est, en définitive, un bon exemple pour comprendre qu’il y a plus d’un impressionnisme, qu’il y en a autant que d’artistes impressionnistes, à l’image du pluriel choisi qui donne son nom au musée…
A l’heure du divertissement des masses, à la fois populaire et bourgeois, de nouveaux artistes, de nouveaux instruments de musique et l’avènement des guinguettes, foires, grands bazars, caf’conc’, bousculent la modernité en marquant une rupture d’avec ce qui a été.

« Clarinettistes et joueur de piccolo » de Vincent Van Gogh – « Jane Avril » d’Henri de Toulouse-Lautrec
Désormais, saltimbanques de flûtes et de clarinettes tutoient l’inspiration d’un Bonnard ou d’un Van Gogh, tandis que Paul Gauguin colorie en travers de la toile les états d’âme du « Joueur de flageolet sur la falaise ».
Le visiteur de musée se confond avec l’invité d’une fête ou le vagabond errant d’une terre où le théâtre de la vie n’est plus que sonorité visuelle et harmonie auditive par la contemplation de ouï-dire contradictoires.
Manet, Degas, Renoir, Emile Bernard, John Singer Sargent, James McNeill Whistler, etc. « Tintamarre ! Instruments de musique dans l’art (1860-1910) » présente une centaine d’œuvres au fil des salles. De nombreuses activités, ludiques et musicales, complètent le propos. Une initiative qui marie de concert musique et image pour une exposition réussie et sans fausse note !
(« Tintamarre ! Instruments de musique dans l’art (1860-1910) » au Musée des impressionnismes Giverny, du 24 mars au 2 juillet 2017, http://www.mdig.fr/fr ; tous visuels photos Stéphane Chemin)