Ce Paris piquant, ce Paname tantôt étincelant, tantôt misérable, c’est celui des trotteuses et des piqueurs, de la Mouffe et de la Bièvre. Des mercelots. Des rapins. Du pain à chant du menu peuple et de l’oquelle du microcosme. Des hippomobiles. Des parrains de Pigalle et du village montmartrois. Des antiques masières, insalubres et charmantes, d’avant Haussmann. Enfin de l’argot comme pense-bête à tout-va dont Marcel Schwob disait qu’il est «  une langue artificielle, destinée à n’être pas comprise par une certaine classe de gens ».

Welcome in Paname !

Spécialiste et passionné du 19è siècle parisien, féru de ses intrigues d’antan, Philippe Mellot est déjà l’auteur d’une dizaine de titres retraçant la vie de ses travailleurs et habitants, ombrée comme une vieille photographie. Ceci avant que le portrait de famille de la capitale ne se voit violemment éclairé par les grands chamboulements haussmanniens et la transformation de Paris en  « Ville Lumière ». Un surnom qui lui va comme un gant, puisque cette ville tient autant de l’imprimatur spirituel que de la magie du cinématographe.

« Vivre à Paris. De la Restauration à la Belle Epoque », de Philippe Mellot, Editions Omnibus

« Vivre à Paris. De la Restauration à la Belle Epoque » de Philippe Mellot, Editions Omnibus

Honoré de Balzac, pour ne citer que lui, témoigne à sa manière dans sa divine « Comédie humaine » de l’effervescence et du climat particuliers qui régnaient alors, entre misères prolétaires et décadences bourgeoises. Parlant sur ses traces, par sa voix et celle de quelques autres (J.K. Huysmans, Gaston de Pawlowski, Maxime du Camp…), Philippe Mellot parvient à faire de ce « Vivre à Paris » une balade à rebours dans l’Histoire de Paris.

Au fil de ses ruelles et au terme des sept traversées de Paris proposées par l’auteur, de la Restauration à la Belle Epoque, c’est à baguenauder intelligemment et avec le souci du détail et de l’illustration (plus de 500) que nous convie cette pérégrination en terre inconnue.

Car oui, on a beau connaître Paris depuis des siècles, l’arpenter, l’adorer, y vivre peut-être et y prendre ses petits-déjeuners, ces cohortes de métiers disparus, d’habitudes désuètes, de rites froissés ou de papiers jaunis font voir la ville comme une étrangère un brin familière. Et des quartiers entiers semblent aussi éloignés de leur existence actuelle que les arènes de Lutèce de la Tour Eiffel !

uesmques restaurants - "La neige sur les boulevards en 1911"

Quelques restaurants – « La neige sur les boulevards en 1911 »

« Vivre à Paris » se parcourt avec la gourmandise d’un enfant. Le livre fait d’ailleurs un peu l’effet d’une boîte de Négus de Nevers (un caramel mou au chocolat enrobé dans une coque de sucre cuit) : une fois qu’on l’a ouvert, impossible de le refermer avant d’avoir englouti tout ce qu’il contient ! Et c’est parti pour une lecture qui picore et file à toute brindezingue comme une maringote le dimanche !

Suppôts de culture de la Seine et emblèmes internationales avec leurs boîtes vert bouteille débordant de livres en tous genres, saviez-vous que l’occupation de bouquiniste était naguère réservée aux pupilles de la nation, aux veuves de guerre et aux handicapés ?!

De même, avec 3 500 réverbères alimentant 7 000 becs de lumière, le métier d’allumeur allait bientôt disparaître dans les premiers grésillements de l’éclairage électrique. Peu avant cette époque, de jolies pelles à cendre faisaient leur apparition au pied des cheminées. Jolies, car ce sont en réalité des carapaces de tortues. Pelles, car ces petits sauriens originaires des forêts de la Hesse sont dépecés pour que ce qui leur tient lieu de maison serve à déblayer le charbon de bois de quelques élégants salons…Un commerce qui faillit bien avoir raison de l’unique espèce de tortue d’Europe, aujourd’hui espèce protégée soit-dit en passant…

L’ouvrage se clôt par un atlas couleurs, un éclaté des vingt arrondissements parisiens. Œuvre d’un topographe anonyme, ce travail rend compte, de 1863 à 1870, des nouvelles voies et de leur tracé avec un sens religieux du détail. Alors, si comme l’auteur vous aimez vivre à Paris, remontez vos horloges le temps d’un été  !