Peter Martensen, « Ravage », du 9 mars au 27 août 2017
« Ravage » est la première exposition monographique de l’artiste danois Peter Martensen dans un musée français. On y voit une sélection d’œuvres des 10 dernières années : peintures, sculptures, dessins et vidéos aux accents surréalistes et oniriques.
L’accrochage dans la salle principale dédiée à l’artiste n’est pas simplement réalisé sur un plan horizontal… au-dessus d’un tableau, on découvre un autre tableau, cette accumulation accentue l’étrangeté de l’œuvre singulière qui met en scène l’être humain…et que met à son tour en scène l’homme par son regard. Chaque peinture est traitée avec une palette de couleurs minimaliste et restreinte à la façon d’un monochrome qui agit comme un filtre sur la vision du réel, cette palette peut également contraster avec les rares toiles dont les couleurs sont plus proches de la réalité.
L’Humain (avec une majuscule muette !) est au centre des œuvres : des hommes habillés en costume de travail ou transformés en « spécialistes » médicaux, des femmes vêtues de blouses debout adossées au mur dans l’attente, un enfant avec sa mère… Ils sont tous regroupés dans « The transportation » : les personnages sont assis dans une embarcation fragile traversant une surface s’apparentant à une mer calme avant la tempête qui s’annonce au loin. Peter Martensen réinterprète ici le passage fleuve du « Styx » d’Homère illustré par Gustave Doré, la barque de Dante et Virgile aux enfers dans la « Divine Comédie » ou encore le tableau « L’île aux morts » d’Arnold Böcklin… L’artiste s’inspire de l’histoire de l’art pour faire écho à notre actualité contemporaine où des migrants fuient la guerre pour sauver leur peau. Martensen ne se revendique pas comme un artiste engagé mais préfère se considérer comme un « réaliste mental ».
Martensen met en scène un groupe de chirurgiens en train d’opérer un patient (« the lesson ») ou un homme isolé assis dans une mini-embarcation flottante (« the game »), ces personnages sont observés par des êtres d’une échelle de taille supérieure… ici, on entre dans une nouvelle dimension, celle du rêve. L’artiste parle de son art : « Peindre est pour moi une traversée vers le mystère qui révèle de nouvelles perceptions. La vie est un mystère et je veux que mes peintures en parlent. » Le titre de l’exposition, « Ravage » en français qui signifie le dégât matériel causé de façon violente par l’action des hommes, pourrait également avoir était choisi en référence au roman de René Barjavel (1943) qui décrit une société qui sombre dans le chaos suite à la disparition de l’électricité… Le chaos laisse place à un vide où des scientifiques, des analystes de la statistique ou des traders tentent d’établir des diagnostics sur des feuilles blanches en référence aux crises économiques successives de notre siècle malade du libéralisme.
L’absurdité bureaucratique chère à Franz Kafka est de mise ici, en images à travers des personnes dans l’exercice d’un certain abîme, d’une certaine trivialité en exergue, personnages dupliqués se ressemblant physiquement comme s’ils provenaient d’un même moule de la pensée unique et se contemplant étrangers à eux-mêmes et aux autres. Peter Martensen questionne sans apporter de réponse. A travers ses rêves éveillés, le mystère de ses œuvres, il offre une galerie de portraits psychologiques d’êtres humains tout-à-fait troublante, en miroir de notre société à la dérive qui ne laissera personne indifférent.
Jaume Plensa, du 9 mars au 17 septembre 2017
Le MAMC de Saint-Etienne accueille jusqu’au 17 septembre prochain le sculpteur catalan Jaume Plensa en présentant une synthèse de sa production des quatre dernières années dédiée au visage féminin : 7 sculptures monumentales, dont cinq portraits en fonte et deux visages en mode filaire qui se font face, avec un dessin réalisé in situ sur un mur de l’exposition. L’ensemble des œuvres a été spécifiquement conçu pour ce projet qui visait à intégrer la grande salle centrale du musée. L’artiste y dévoile sa nouvelle orientation esthétique où la spiritualité s’incarne entre la matière et la forme.
Cinq visages aux yeux fermés en fonte sont disposés verticalement au sol, tels des totems et se prénomment : Lou, Laura, Mar, Julia et Wilsis. Les visages de ces jeunes femmes ont été scannés en 3D puis ont subi des déformations (allongement et étirement) via un logiciel, les têtes sont ensuite imprimées par tranches horizontales puis coulées en fonte et enfin assemblées. Toutes les déformations ont abouti à cinq anamorphoses, chaque visage n’apparait réellement qu’à partir d’un seul « vrai » point de vue de l’observateur.
L’artiste ne cherche pas à faire un portrait qui se rapproche du réel mais cherche à transcrire son monde intérieur, telle une méditation. Plensa s’en explique : « Si leurs yeux sont fermés, c’est pour mieux souligner la voix intérieure, l’âme qui vit dans l’obscurité de nos corps ». Les sculptures de fonte monumentales résonnent avec le dessin mural du modèle Anna, portrait esquissé comme une sculpture, ces visages sont le miroir de notre intériorité à la manière (et la matière !) d’un autoportrait.
Les deux sculptures à se faire face en mode filaire nous rappellent le procédé d’imagerie 3D lors de la conception d’un objet : les deux structures forment les visages aux yeux clos de Laura et de Lou. A l’opposé des formes pleines des cinq sculptures de fonte se dresse la forme de deux têtes de fils d’acier épurée de la surface, l’intériorité humaine communique ici avec le monde extérieur et la structure monumentale devient quasiment invisible.
Bien que la forme de son travail puisse changer par l’utilisation de différents matériaux et par des formes plastiques réelles ou non, Jaume Plensa affirme que toutes ses créations sont une matérialisation de la même idée de base : l’idée qui persiste à travers le travail de Plensa est l’Humanité – sur – l’humanité et sa relation avec le monde intérieur et extérieur.
« Popcorn. Art, design et cinéma », du 9 mars au 17 septembre 2017
« Popcorn » est la grande exposition pluridisciplinaire du MAMC de Saint-Etienne explorant les origines communes de l’art, du cinéma et du design dans le cadre de la 10e biennale du design dont la thématique est la mutation au travail de nos sociétés à la suite de la révolution industrielle.
L’exposition démarre par la révolution industrielle qui bouleverse la société humaine occidentale toute entière, cette transformation va se répercuter sur l’art et voir la naissance de nouveaux médiums tels la photographie, le cinématographe et le design industriel. Le film « La sortie d’usine » des frères Lumière (1895) n’est encore qu’une attraction de foire, l’image animée montre des hommes et des femmes sortant de leur lieu de travail, les deux réalisateurs ont posé la caméra et ont filmé le réel sans mise en scène.
Len Lye en 1957 réalise « Rhythm », court-métrage de commande publicitaire pour la marque automobile Chrysler : il filme des ouvriers au travail et réalise un montage expérimental novateur pour l’époque en adéquation avec la musique africaine, l’homme s’adapte à une chaîne de montage de voitures comme s’il devenait lui même une machine.
La seconde partie de l’exposition s’intéresse à un ailleurs qui fascine l’homme depuis toujours : l’espace… Georges Méliès a compris ce qu’il pouvait tirer du cinématographe des frères Lumière, il invente ses propres caméras et ses effets spéciaux pour se lancer dans la pure fiction de cinéma : un art nouveau venait de naître avec « Le Voyage dans la Lune » en 1902. Cet art populaire n’en finit pas de nous émerveiller depuis et nourrit l’imaginaire des designers. De la conquête spatiale aux premier pas de l’homme sur la lune en 1969, ses « fantaisies » poussent les designers, tel Roger Tallon, à inventer de nouvelles formes plastiques et à concevoir des objets en couleurs vives, la fonction pratique des objets reste, elle, inchangée… Pendant ce temps, Boris Vian chante « La complainte du progrès » où il caricature les biens de consommation fantaisistes et condamne l’importance des objets par rapport à celle des individus. Quelle époque !
La dernière étape s’arrête à l’Ouest, au pays des cowboys et des indiens… la naissance d’un genre nouveau du cinéma : le western. Les designers américains Charles et Ray Eames, amis du cinéaste Samuel « Billy » Wilder, ont photographié l’envers du décor de l’industrie du divertissement sous toutes ses coutures : décors, équipes de tournage, éclairages, etc. L’ambiance créée par la scénographie d’un plateau de cinéma donne l’impression que l’on va entendre crier : « Silence ! Moteur ! Action ! »
A l’issue d’un parcours diversifié et ludique, « Popcorn » nous dévoile les mécaniques produites à l’intérieur d’un monde en mouvement : celui de l’homme !
(« Popcorn. Art, design et cinéma » au Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Etienne Métropole, du 9 mars au 17 septembre 2017 ; « Jaume Plensa » du 9 mars au 17 septembre 2017 ; « Peter Martensen, Ravage » du 9 mars au 27 août 2017, http://www.mam-st-etienne.fr/ ; tous visuels copyright Stéphane Chemin)