Responsable du choix de cette soixantaine de contes reproduits en intégralité et auteur du livret de commentaires qui les accompagne, Evanghelia Stead est professeur de littérature comparée à l’Université de Versailles Saint-Quentin. Cet opus exceptionnel est un rêve à feuilleter. L’intelligence et l’excellence de la mise en page y sont pour beaucoup. Une fois de plus, l’éditeur d’art Citadelles & Mazenod nous plonge avec élégance dans un monde littéraire parallèle. Celui du conte est un genre instable, comme un ascenseur à voyager dans l’espace et le temps. Sa puissance d’évocation est le cœur de son mystère. Profiter du conte, c’est lire tel un enfant, laisser agir son charme sans analyser. De ce fait, les contes choisis dans l’ouvrage charrient un anti-cartésianisme salutaire. Remède souverain à une époque où rien n’est fait pour durer, la magie symbolique constitutive au parler du conte opère sur le lecteur moderne comme un catalyseur actif fascinant. Car, si lire n’importe quel livre fait réfléchir, lire un conte fait se réfléchir son message enfoui en soi.
Ces « Contes » sont répartis en 4 volumes proportionnés : les contes de Perrault, des frères Grimm, d’Andersen, et ceux d’ailleurs. Si les trois premiers font se succéder contes stars ou plus confidentiels des plus grands auteurs et compilateurs du genre faisant autorité dans la vieille Europe, le quatrième et dernier livre envoûte par son parfum d’altérité féerique. Comme la moitié d’un grand tout, ces contes d’ailleurs répondent parfaitement aux premiers. Est-il alors utile de rappeler que le français Perrault, le danois Andersen, et surtout les frères Grimm, ont récupéré et collecté d’anciens contes anonymes qu’ils ont pour certains transformés, pour d’autres restitués intacts, en changeant parfois juste la fin, contribuant ainsi à les diffuser comme à étendre leur rayonnement mondial auprès de publics qui n’étaient, à l’origine, pas destinés à les entendre ?
Cette filiation subliminale se retrouve dans ces contes de pays lointains. Ce sont les contes de Scandinavie, de Russie, de Perse, d’Inde, des Balkans, du Japon, etc. Des vieux contes initiatiques issus de la spiritualité non-religieuse soufie, tel « Aladin », aux sirènes des contes slaves et chimères des contes orientaux ou asiatiques, l’évasion et la réflexion se lisent à l’unisson dans des histoires trépidantes aux incessants et parfois terribles retournements : « La Toison d’Or », « La Cloche de Dojoji », « La Princesse de la Lune », « Le Géant qui n’avait pas de cœur dans la poitrine », « L’Oiseau de feu », etc. Enfin, s’y lit en creux une Histoire des histoires. Une façon différente de conter les histoires, du don de penser hier à la technique d’écrire aujourd’hui. Et, puisqu’il y a des modes à tout, on peut ainsi s’apercevoir que l’intelligence du conteur à concevoir une histoire est directement proportionnelle à celle du lecteur à la recevoir…
Il était une fois…
Au commencement était l’Histoire. Puis, l’Histoire se fit légende. La légende devint mythe. Maillon de cette chaîne séculaire, le conte reste, par essence, la preuve d’une mémoire oubliée. Qu’il soit fable, morale, parabole, savoir ésotérique, ou sagesse transmise de bouche à oreille, le conte demeure partout un véhicule empli de symboles et de signes scénarisé pour imprégner et agrandir la conscience de celui qui écoute. Loin d’être des historiettes naïves, les contes agitent très tôt la réflexion de l’homme. Dès l’enfance, chacun conte et ra-conte, comme un besoin génétique inscrit à la naissance. Les contes témoignent tous d’archétypes universels, teintés de telle ou telle culture, qui s’expriment dans un langage merveilleux et codé et parlent à notre mémoire collective. A ce titre, la matière énigmatique enclose dans le creuset du conte fantastique, une fois débarrassée de ses voiles cryptés, ouvre sur un territoire qui croise et réunit les points en apparence les plus éloignés de la compréhension humaine. Des chercheurs à l’esprit ouvert bien que discipliné se sont, depuis des décennies, penchés sur la question. Ou comment l’enchanté résout l’aride. Ceci pour la partie textuelle, sémantique et idéologique. Ce qui est merveilleux, par définition, est vrai, métaphoriquement parlant. Mais croyez le conte, pas le conteur…
Et qu’en est-il du conte illustré, donc illustre ? Ne dit-on pas qu’une image vaut mille mots ? Le stade où un épisode conté prend vie par le dessin est ici expliqué de manière passionnante. Evanghelia Stead raconte et présente le travail des cinq artistes choisis pour illuminer cette anthologie. Cette publication nouvelle est encore un hommage aux riches heures des livres d’étrennes, à travers le pinceau et les couleurs de cinq des plus fameux illustrateurs du genre au début du 20e siècle : Harry Clarke, Edmond Dulac, Warwick Goble, Kay Nielsen, Arthur Rackham. Ces cinq maîtres de la gravure et du dessin ont, chacun dans leur style, contribué par leur talent singulier à l’essor et au raffinement remarquable du livre illustré au début du siècle dernier. Une parution qui a aussi un intérêt artistique et bibliophile, car les 230 œuvres qui ornent le coffret ont été sélectionnées dans les prestigieuses collections de la Bibliothèque de France et de la British Library ! Ce coffret toilé des « Contes » illustrés Citadelles & Mazenod est le cadeau idéal pour se cultiver en rêvant à tout âge.
(« Contes », éditions Citadelles & Mazenod, soixante contes classiques et lointains, auteurs réunis par Evanghelia Stead, texte intégral illustré, 230 ill. couleur et noir & blanc, 4 volumes sous coffret de 192 pages chacun et 1 livret introductif de 64 pages, sortie octobre 2017, 330€ ; tous visuels reproduits avec l’aimable autorisation de l’éditeur)