Joyeux non-anniversaire, Alice !
En toute ironie, Alice au Pays des Merveilles, paru en 1865, souffle cette année ses 150 bougies ! Les éditions Diane de Selliers font le cadeau de cette ressortie, dans La petite collection, avec De l’autre côté du Miroir (1871). Dans cette nouvelle édition illustrée et annotée au texte français comme anglais, rien n’a changé, sinon le prix !
On oublie souvent qu’Alice au Pays des Merveilles et sa suite sont des œuvres à la fois interconnectées et autonomes, fruits de l’imagination d’un mathématicien d’Oxford ! Lewis Carroll s’appelait en réalité Charles Lutwidge Dodgson. Comme tous les matheux accros aux nombres premiers, infinis, aux abscisses et ordonnées, il n’écrivait pas : il calculait. Ses récits ne pouvaient dès lors que porter la marque des grands esprits, qui est de faire comprendre par le truchement du jeu et du rire des notions absconses, mais qui n’en sont pas moins logiques et font appel à des lois de calcul universelles. Dans l’univers de la petite Alice, tout est nombre ! Les personnages vont et viennent par un miroir, rapetissent, grandissent, et célèbrent des non-anniversaires 364 jours par an sauf un, forcément ! Il n’en fallait pas plus pour frapper ces histoires de lapin blanc, de reine rouge ou de chapelier fou, du sceau du nonsense…
Pourtant, en Grande-Bretagne, ce terme est loin d’être péjoratif et recèle même une part de magie. En français dépourvu de propos ou de sens, le nonsense carrollien s’apparente à un rébus ou une charade extraordinairement élaborée. Sa prouesse est de parvenir à atteindre, par l’inventivité des images qu’elle convoque et la palette des émotions dévolues au monde de l’enfance, la psyché d’un adulte autant que celle d’un très jeune. A l’instar de JRR Tolkien, Lewis Carroll travaillait pour la postérité. Ne pas être compris sur l’instant n’avait donc aucune importance…
La magnifique traduction d’Henri Parisot dans sa dernière version de 1976 rend compte de la folle inventivité de langage des romans pour cette édition bilingue. Atteint de bégaiement dans l’enfance, Lewis Carroll s’est fait le maître des mots-valises boiteux virevoltants et des tournures claudicantes funambules qui ne sont pas sans rappeler le génie linguistique et « codé » de maistre François Rabelais…
Pat Andrea : dans le terrier du peintre fou !
Pour mettre en images cette « théorie des ensembles » travestie en contes pour toute la famille, les éditions Diane de Selliers renommées pour leur choix pointu des illustrations qui cheminent à côté de la lecture, ont fait appel à la folie créative de Pat Andrea. Artiste contemporain d’origine néerlandaise, le frapadingue Pat Andrea s’est rendu célèbre avec ses sculptures et peintures figuratives à l’érotisme un brin trash.
Logique que ce Balthus du 21e siècle se soit allumé comme une guirlande de Noël à l’idée de créer sa vision très personnelle de la petite Alice ! Un travail en étroite collaboration avec Diane de Selliers qui s’étala sur plusieurs années. Un délai de réflexion et d’essais successifs nécessaire où la robe d’Alice s’allongea de plusieurs centimètres, croquis après croquis, évoluant d’une mini-jupe type bandana ras les fesses, à la jupette facétieuse de Lolita du dessin final. Seules les baskets restèrent identiques au premier jour, l’artiste poussant le mimétisme avec son modèle jusqu’à l’habiller de la même paire de chaussures que lui !
Pour Alice au Pays des Merveilles, Pat Andrea a réalisé en exclusivité 49 tableaux placés en tête des romans mêlant gouaches et aquarelles, œuvres au crayon ou au fusain, collages, etc. 120 détails viennent s’ajouter à la narration. L’ensemble aboutit à donner une mobilité aux personnages, entre la BD et le film d’animation.
Des illustrations inédites qui sont comme une seconde traduction à l’histoire d’Alice au Pays des Merveilles qu’elles animent avec unité et humour.
(« Alice au Pays des Merveilles » et « De l’autre côté du Miroir », de Lewis Carroll, illustrés par Pat Andrea, Diane de Selliers Editeur, in. « La petite collection », édition bilingue, texte intégral, traduit de l’anglais par Henri Parisot, 49 œuvres de l’artiste et 120 détails couleur, sortie mars 2015, 400 pages, 65€ ; tous visuels reproduits avec l’aimable autorisation de l’éditeur)