Septembre 2017. Dans l’enceinte médiévale du Cloître des Billettes, dans le Marais, au cœur de Paris, un rai de soleil berce la lumière et les œuvres qui, réunies le temps d’une exposition suspendue, font flotter dans l’air une ambiance de début du monde. Un lieu comme un cadeau, trouvé un peu par hasard. Annie raconte : « A l’origine, j’avais plutôt l’idée d’une église pour accueillir mon expo. Un endroit calme, paisible, retiré du bruit…J’avais pensé à l’église Saint-Roch, dans le 1er arrondissement. Puis, rien n’ayant véritablement abouti, je me suis tournée vers la Mairie de Paris, et j’ai presque naturellement été guidée ici, dans ce lieu inouï, à l’abri de la circulation, qui garde une certaine forme de magie. Les cloîtres sont faits pour y déambuler, se recueillir, il s’en dégage une puissante sérénité, qui répond à mon travail. Ce que je me sens bien ici ! »

Ce n’est pas la première fois qu’Annie Samuelson nous cueille par sa singulière présence. A l’atelier des Sardines, où elle sculpte en compagnie d’autres femmes artistes de grand talent, elle trace depuis plusieurs années un sillon artistique qui croise réflexions intimes et expressions créatives sur le versant protecteur d’un « entre-Soi ». L’art peut-il guérir les blessures du passé ? « Je ne sais pas…c’est tellement complexe comme question, souligne Annie. Ce qui est certain, c’est que je ne serais pas la même femme, avec tout ce par quoi je suis passée de dur et de difficile, si je n’avais pas eu le moyen de créer et de m’exprimer, malgré les douleurs ressenties et les épreuves traversées…Oui, je reviens de loin ! »

Après une enfance passée en Touraine et des études de mathématiques à l’université de Tours, Annie Samuelson part. Direction New York. Là-bas, elle enseigne au Lycée Français. D’une aisance naturelle pour la forme et de son appétence des nombres exacts, Annie s’éveille peu à peu à un langage plastique enfoui. Après un cursus de stylisme au Fashion Institute (d’où elle sortira première, section Haute-Couture), son parcours l’amène à étudier le dessin et la sculpture à la Parson’s School… De ces années, formatrices sur le plan artistique et intellectuel, la plasticienne retient surtout la notion de temps, inhérente à son œuvre, comme elle l’explique : « Chaque moment dans votre vie vous entraîne vers le suivant. C’est une chaîne. Vous ne pouvez rien regretter, rien renier, car chaque maillon fait partie de la chaîne et, ôter le plus infime d’entre eux, ce serait alors défaire ce lien solide qui fait de vous l’individu que vous êtes maintenant. Je l’ai accepté avec le temps. Même les moments les plus douloureux de mon existence, les dépressions, les passages à vide, que je retrouve dans certaines de mes œuvres parce que je les ai conçues dans cet état, tout ça était nécessaire. Le temps, la mort, la vie, tout se confond et se répond. »

Le travail d’Annie naît souvent d’une sphère. L’idée d’une forme douce, rotonde. Symbole d’éternité, de maternité, de protection. A la fois universelle et singulière. « Mes petits bienveillants endormis sont des sphères étreignant le mystère de leur naissance, dit-elle. Dans l’attente de leur réveil prochain. Pour l’instant ils sont blottis, protégés au sein du cocon maternel qu’évoque la forme sphérique, la forme de l’œuf, en germe d’une vie, d’une survie, qui triomphe sur l’obscurité. »

De fait, le passé d’Annie Samuelson est jalonné de blessures intimes. Dès la naissance, « celle qui n’aurait pas dû rester » s’est accrochée, elle s’est battue pour vivre, pour aimer et être aimée en retour. Ce qui est normalement dû à chaque enfant dans les primes heures de son temps sur terre, Annie l’aura obtenu de haute lutte : son droit à exister. Quelle plus dure épreuve que l’absence ? On le sait, les stigmates de la petite enfance pèsent sur toute la vie de l’adulte. Les cicatrices les plus anciennes sont aussi les plus difficiles à guérir, car susceptibles de se rouvrir à tout moment. Pourtant, c’est bien par elles, ces fines persiennes de la fatalité, cousues corps sur cœur, que perce la lumière. Avec le temps, avec le nécessaire retour sur soi et l’auto-analyse, Annie Samuelson a fait de ses souvenirs mortifères et archaïques, un avenir à habiter. De son silence d’enfant, elle a cherché les mots pour le dire. Une victoire sur l’adversité, rien que ça…

Depuis son retour en France, il y a vingt ans, Annie Samuelson expose régulièrement. Mais, ce n’est que maintenant que l’artiste goûte à une liberté nouvelle en prenant, enfin, son envol. En effet, rien ne la préparait à un tel accueil, à la fois critique et public. « Les gens viennent à moi, spontanément, poursuit-elle. Du très beau monde s’est déplacé le soir du vernissage. Et, depuis, ça n’arrête pas, c’est fou ! Les gens me parlent, pas que des acheteurs, des personnes qui entrent un peu ici par hasard, pour s’abriter de la pluie, intrigués par les rideaux que j’ai posés à l’entrée. Ils me racontent leurs histoires, partagent avec moi un peu de leur âme. L’autre jour, une femme a pleuré, elle s’est confiée, un peu…Je crois que ça lui a fait du bien de se retrouver dans cette ambiance, calme, bienveillante…Mes bienveillants semblent faire cet effet aux gens qui viennent les voir. Chacun y prend ce dont il a besoin. »

Ses petits « bienveillants », façonnés de terre cuite et plâtre, nous regardent les yeux fermés. Leur secret, celui de leur naissance, de leur existence, est enclos derrière le mince voile de leurs paupières baissées. Si fragiles, un rien peut les heurter. Sous leur apparente vulnérabilité, les sculptures d’Annie cachent une solide armature, une technique qu’elle a mis du temps à apprivoiser et qu’à présent elle maîtrise complètement. Un « tour de main », qui est aussi l’un de ses secrets… Mystère de la composition auquel s’ajoute la légende de l’œuvre finie.

« Chacune des mes œuvres a sa petite histoire, souligne-t-elle. Prenez mon petit africain méditant, là-bas. Il a vingt ans. Je l’ai laissé dehors. Ça se voit à sa base, devenue verte. Il est déjà vendu, l’acheteur le voulait comme ça, avec la marque du temps…Cette autre sculpture, que j’ai d’ailleurs utilisée pour l’affiche de l’expo, je l’installe et pof !, sa tête tombe ! Une tête qui se détache comme ça, c’est du presque jamais vu. J’ai cru que c’était mauvais signe. En fait non. Elle est vendue aussi ! J’ai prévenu l’acquéreur que j’avais dû replacer la tête après son décollement, ce qui ne lui a pas déplu, au contraire ! Et regardez ma Butterfly…Cet opéra, c’est mon préféré. C’est pour ça que j’ai voulu la présenter au milieu des autres, étendue près de petites pochettes cadeaux en terre, que j’offre avec chaque œuvre. » Annie précise, l’une de ces pochettes au creux de la main : « C’est une coutume japonaise. Là-bas, leur tradition veut qu’on n’ouvre pas un présent devant celui qui vous le fait. Car seul compte l’acte d’offrir, pas l’objet lui-même. Ainsi, j’offre aux gens un présent qu’ils ramèneront chez eux sans jamais l’ouvrir, comme un gage de ma reconnaissance et de leur sincérité. »

« Au Japon, et plus généralement en Asie, continue Annie, vous trouvez partout des lieux pour vous retirer, vous isoler du monde qui roule à cent à l’heure et vous retrouver avec vous-même, où penser, méditer, des temples, des kiosques, des jardins. Ça n’a rien de religieux. De tels endroits n’existent pas ici. En Occident, on n’a que les églises, des lieux de culte, connotés, très empreints de religiosité. Ça nous manque, dans les villes, de telles haltes neutres. Qui soient dépourvues d’étiquette. On devrait réfléchir à ce genre de besoin. Je crois que les gens ont besoin de beauté. Pas esthétique ou marchande. Je veux parler de beauté spirituelle, un truc invisible qui nous est vital. »

En repos, dans l’état transitoire entre limbes et réveil, les sculptures d’Annie Samuelson attendent quelque chose. Comme nous tous. Créer serait-il alors un moyen pour l’artiste de faire un « bien » ? De bien-veiller ? Et, à quoi ? « C’est vrai, avoue Annie, je ressens de plus en plus le besoin d’aider autour de moi, de me mettre au service de quelque chose. De faire du bien aux gens, à mon niveau, si je le peux. Ça ne passera pas forcément par l’art ou la création solitaire. Je me sens différente, aujourd’hui, plus libre que j’ai pu l’être par le passé, et je souhaite faire quelque chose de cette liberté. Ça passe par autrui. »

Et, de révéler : « Vous savez, mon père était un homme extrêmement généreux. C’était un paysan, quelqu’un de simple. Pour lui, se mettre en avant, faire les choses pour soi seul, c’était le péché suprême, un crime impardonnable ! Il pensait toujours aux autres, avant de penser à lui. Il m’a d’une certaine manière transmis l’idée qu’une vie vécue en ne pensant qu’à soi est une vie perdue…Et, la vie, c’est trop précieux pour qu’on la perde ! »

Et après ? « On verra, ponctue Annie. Pour l’instant, je dois faire une pause, et je n’ai aucune certitude de ce qui viendra après ! » Si la vie n’est pas courte, le temps, lui, est compté. Annie Samuelson s’est lancée, voici plusieurs mois, un nouveau pari : elle s’est mise au piano. Lentement, bien sûr, cette amoureuse des nombres et des mots poursuit le solfège de sa transformation intérieure. Car, de bien-veiller à bien-vieillir, il n’y a qu’un trait.

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