Quel amoureux de livres n’a jamais rêvé de vivre dans une bibliothèque ?

« Bibliothèques. Une histoire mondiale » est plus qu’un beau livre. C’est un (volumineux) carnet de voyage, par lequel prendre le pouls historique des livres à la mesure des lieux qu’ils imprimèrent, et continuent d’imprimer…Le bien-fondé d’une telle entreprise saute aux yeux. En outre, qui peut dire pourquoi la confrérie des éditeurs, dont le travail passe par l’artefact dédié, n’a pas eu l’idée d’une telle somme plus tôt ?!

« Bibliothèques. Une histoire mondiale. », de James W. P. Campbell, photographies de Will Pryce, Editions Citadelles & Mazenod

« Bibliothèques. Une histoire mondiale. », de James W. P. Campbell, photographies de Will Pryce, éditions Citadelles & Mazenod

Citadelles & Mazenod comble enfin l’attente de tous les passionnés, et excite celle des amateurs. Préparez-vous à un tour du monde en quelque 80 bibliothèques et plus de 20 pays à travers les époques, de la Mésopotamie au Japon technoïde…

Historien de l’art et attaché au département d’architecture du Queen’s College, le britannique James W. P. Campbell a sillonné la planète à la recherche de ces « boîtes-mondes », escorté de son talentueux complice, le photographe Will Pryce. Ensemble, ils ont associé à un propos concret, un sujet fantasmé : la bibliothèque prise comme un être vivant, pensant, respirant, doué de sentiments, et semant le trouble, l’admiration autour d’elle. Or, si chaque bibliothèque regroupe, par les collections qu’elle renferme, une goutte du savoir transmissible, les asiles architecturaux qu’elle désigne transmettent aussi de l’information. Commanditaires, propriétaires, styles, destinataires, fréquentations, aires de répartition sur le globe sont autant de mots-clés destinant la bibliothèque à une forme unique d’utilisation, donc de compréhension.

« Bibliothèques. Une histoire mondiale. », de James W. P. Campbell, photographies de Will Pryce, Editions Citadelles & Mazenod

« Bibliothèques. Une histoire mondiale. », de James W. P. Campbell, photographies de Will Pryce, éditions Citadelles & Mazenod

Dans La Bibliothèque de Babel (1941), Jorge Luis Borges se livre à une vision vertigineuse de l’espace, puisque sa bibliothèque contient tous les livres vivants et à naître en une plongée universelle et hexagonale de la littérature. Il développe et dépasse son propos près d’un quart de siècle plus tard, lorsque sortira le recueil de nouvelles intitulé Le Livre de sable (1975). Cette dernière, nouvelle dans la nouvelle, reprend le thème de l’infini en le resserrant, non plus à la bibliothèque, mais à un seul livre sans fin dont chaque page détient et égrène tous les autres…A l’image du sable qui, pour le géologue, n’a d’existence physique que parce qu’il contient une infinité de minuscules roches, la bibliothèque est, pour le bibliophile, un univers métaphysique renfermant l’entièreté du patrimoine philosophique, intellectuel et immatériel de l’humanité.

Porte ouverte sur d’autres mondes, l’ouvrage de Campbell et Pryce se double d’une réflexion esthétique. Qu’est-ce qui est beau ? Pour qui ? Si ces temples et citadelles de la culture ont survécu, nous sont parvenus dans un (relatif) effacement du temps, n’est-ce pas tout autant pour leur contenu, que pour leur contenant ?

« Bibliothèques. Une histoire mondiale. », de James W. P. Campbell, photographies de Will Pryce, Editions Citadelles & Mazenod

« Bibliothèques. Une histoire mondiale. », de James W. P. Campbell, photographies de Will Pryce, éditions Citadelles & Mazenod

Rencogné dans un fauteuil, lutinant doubles pages, photos et commentaires, le lecteur de « Bibliothèques » se rêve en gardien de ces lieux cultes, au romantisme échevelé : bibliothèque de Celsus à Ephèse en Turquie, bibliothèque de Trinity College à Dublin, bibliothèque de la duchesse Anna Amalia à Weimar en Allemagne, bibliothèque Sainte-Geneviève à Paris, temple de Mii-dera à Ōtsu au Japon et ses sutras bouddhistes, etc. Par la découverte de ces lieux publics, de passage et d’échange, ou privés, abris aux plaisirs solitaires, c’est indirectement à tous ceux de notre passé, mythiques ou réels, que ce livre rend un vibrant hommage : les bibliothèques de poussière de Tombouctou, l’antique bibliothèque d’Alexandrie, la bibliothèque bénédictine ensanglantée d’Umberto Eco dans Le Nom de la rose et sa réplique frissonnante de l’abbaye de Melk…

« Bibliothèques. Une histoire mondiale. », de James W. P. Campbell, photographies de Will Pryce, Editions Citadelles & Mazenod

« Bibliothèques. Une histoire mondiale. », de James W. P. Campbell, photographies de Will Pryce, éditions Citadelles & Mazenod

Quant à la bibliothèque de l’abbaye d’Admont, construite au mitan du 18e siècle en Autriche, elle demeure, avec ses 72 mètres de long, la plus grande bibliothèque d’un monastère au monde. Ses envolées lyriques dignes du conte La Belle et la Bête, ont servi, pour la petite histoire, de modèle à la bibliothèque du classique d’animation de Disney sorti sur les écrans en 1991…

L’actualité et notre époque moderne ne passent pas pour autant à la trappe !  En témoignent les contemporaines : bibliothèque de l’université d’art de Tama à Tokyo, bibliothèque Nationale de France à Paris-Bercy, bibliothèque Grimm-Zentrum à Berlin, bibliothèque Liyuan à Jiaojiche en Chine, bibliothèque de l’université d’Utrecht aux Pays-Bas, les six étages de la bibliothèque G. Peabody de Baltimore aux USA, etc.

« Bibliothèques. Une histoire mondiale. », de James W. P. Campbell, photographies de Will Pryce, Editions Citadelles & Mazenod

« Bibliothèques. Une histoire mondiale. », de James W. P. Campbell, photographies de Will Pryce, éditions Citadelles & Mazenod

« Bibliothèques. Une histoire mondiale » questionne d’ailleurs son lecteur sur l’avenir des bibliothèques à l’heure du numérique. En effet, que faire et pourquoi construire des lieux dévolus au gardiennage et au partage de milliers de textes, alors qu’une poignée de tablettes et d’outils interactifs nous permettent le même office chez soi ? En conjuguant savoir et matérialité à la vitesse météorique de la pensée, les bibliothèques, ou à tout le moins certains livres en elles, ont peut-être réponse à la question.

Cet ouvrage a beau être panoramique, il nous laisse sur notre faim en nous persuadant qu’une vie ne suffit pas pour tout lire. Magnifique et indispensable.

(« Bibliothèques. Une histoire mondiale. », de James W. P. Campbell, photographies de Will Pryce, éditions Citadelles & Mazenod, traduit de l’anglais par Odile Menegaux, Jézabel Traube, Christian Vair, 336 pages, 250 ill. couleur, relié sous jaquette et coffret illustré, 27×32,5 cm,  sortie octobre 2013, 89€)