Pour la 10e étape de sa tournée mondiale, l’exposition Jean-Paul Gaultier fait escale à Paris jusqu’au 3 août prochain. L’occasion du retour aux sources d’une icône contemporaine, un visionnaire à l’inspiration débordante à qui la France, et les femmes, doivent tant ! Reportage et entretien avec le couturier dans la planète Gaultier.
De la rue au Palais
1,4 million de visiteurs de par le monde ont déjà vu l’exposition Jean-Paul Gaultier. C’est d’ores et déjà la plus importante rétrospective itinérante consacrée à un couturier de son vivant. Seul Yves Saint-Laurent avait, en 1983, accédé à une telle reconnaissance anthume rendue par le Metropolitan Museum of Art de New York…
Comme un clin d’œil de la fée Couture, c’est dans un lieu tout proche du Grand Palais, le Palais de la Découverte, que Jean-Paul Gaultier avait présenté son tout 1er défilé le 20 octobre 1976.
Si les parisiens passent bien après les publics nord-américains, nord-européens ou australiens suite à un programme dicté par le Musée des beaux-arts de Montréal, ils seront aussi plus gâtés que ces derniers ! Paname oblige, les organisateurs et Jean-Paul Gaultier lui-même ont concocté une expo aux petits chiffons afin de célébrer le retour du fils prodigue chez lui. La scénographie a été repensée et enrichie de nombreuses installations inédites incluant de nouveaux commentaires du créateur, l’ajout d’un backstage comme dans un vrai défilé de mode, un film de Madonna saluant après la collection de 1992 en découvrant sa poitrine…
I am Wo…man !
Gaultier et les femmes : une passion platonique mais non dénuée de sensualité et de sentiments. De fait, quel homme ne rêverait pas de serrer dans ses bras de telles créatures ? Les muses de Jean-Paul Gaultier sont entrées avec lui au musée ! Simples inspiratrices d’un style, ou accompagnatrices d’une vie créative, les femelles de la galaxie Gaultier filent comme des étoiles au fil de l’exposition.
Madonna, Björk, Kylie Minogue, Mylène Farmer, Yvette Horner, etc. Le visiteur va s’apercevoir, s’il était besoin de le prouver, du rôle crucial du couturier dans la carrière et « l’image » publique de ces icônes. Là où nombre de ses collègues habillent des idoles déconnectées du réel, Jean-Paul Gaultier les a certainement, plus que tout autre, fait descendre de leur tour d’ivoire pour en faire des déesses populaires, figures d’un panthéon moins élitiste que subversif, feignant l’inaccessible par le statut complètement novateur de leurs vêtements de scène.
L’ourson Nana, fétiche en vitrine montré au début de l’expo, annonce d’ailleurs ce qui sera son moto : féminiser l’asexué. Quoi de plus asexué qu’un bout de tissu ? Détours par les pièces phares de son vestiaire : le corset, le trench-coat, la jupe pour homme, le jumpsuit, la marinière, le denim. En continuateur de l’œuvre d’Yves Saint-Laurent, Gaultier invente la femme du futur. Pour Nana, puis Madonna, il symbolise le corps féminin à l’extrême et architecture son plus puissant attribut, la poitrine, avec les seins coniques, durs et dressés, sorte de 2e sexe jaillissant et compétiteur logique au sexe masculin.
Femmes de tête, femmes de cœur, bourgeoises, escorts ou culturistes, Gaultier a créé passionnément pour toutes. Elles le lui rendent aujourd’hui. Catherine Deneuve, « la française », « la parisienne », a prêté sa voix de belle de jour à la narration du défilé des parisiennes : Punk Cancan.
Et Dieu créa…Gaultier !
Punchy, girly, trash, classe, la mode de Gaultier se prête à tous les adjectifs tant sa dextérité s’est accrue avec les années, dans un travail acharné et un dépassement de soi permanent, épaulés en cela des petites mains bienveillantes de sa maison de couture, engagées dès 1996 dans un marathon de collections avec son accession au statut suprême : sa 1ère collection Haute-Couture Gaultier Paris pour le printemps-été 1997. Une aventure vers l’excellence qui perdure encore aujourd’hui.
Visibles dans l’exposition, les tenues Haute-Couture que Jean-Paul Gaultier a choisi de présenter sont une quintessence de son style comme de la virtuosité des ateliers. Et rappellent l’attachement du couturier à l’art et aux artistes, telle la merveilleuse collection Haute-Couture automne-hiver 2003-2004 où le créateur s’inspirait de Goya, Picasso, Miró, Cocteau, etc.
Mais l’immortalité de Gaultier dans notre société passe aussi, dans l’expo, par le biais de l’image. Depuis plus de 30 ans, les photographes de mode de renom célèbrent ses créations, mises en pose dans leurs clichés les plus connus, à tel point que l’accumulation fait se demander ce qui rend une photo belle. Est-ce l’œil du photographe, la lumière, le vêtement, ou le modèle qui les rassemble ? Paolo Roversi, Pierre et Gilles, Steven Meisel, Steven Klein, Mario Testino, Richard Avedon, Peter Lindbergh, ils ont tous fixé sur pellicule le langage de Gaultier à un stade précis de son développement. L’exposition réunit 175 tenues, de ses débuts en 1970, à 2013. A regarder la chronologie, si importante dans ce genre d’exercice, ça commence très fort : la 1ère robe réalisée par Jean-Paul Gaultier pour le prêt-à-porter de l’été 1971 est une robe bénitier, « Sainte Nitouche », d’un bleu marial au décolleté rejeté à la taille et dévoilant complètement les seins…Avec ce modèle qui n’a pas pris une ride dans la provocation, le créateur, inconnu à l’époque, se permet de féminiser la figure la plus asexuée de l’Histoire…la vierge Marie !
Un coup d’éclat qui sera suivi de bien d’autres innovations pour ce précurseur intuitif. Il sera encore le 1er à faire défiler des mannequins tatoués, piercés, des nains, des gros, des roux, des laids, des travestis, venus du cabaret ou de la téléréalité, des femmes et des hommes sublimés dans leur altérité, la diversité de leur look et de leur gueule, forcément parfaits selon Gaultier parce qu’authentiques !
Croquis, archives, costumes, extraits de films, de défilés, de concerts, de clips, d’émissions télévisées et des mannequins articulés permettant l’immersion du visiteur au plus proche de la fièvre créatrice complètent l’expo, décidément le plus bel hommage au parcours hors-normes de Jean-Paul Gaultier.
Une rétrospective en forme de chant du cygne pour l’ex-vilain petit canard de la mode devenu grand couturier, le dernier de sa portée.
3 questions à Jean-Paul Gaultier
Le Mot et la Chose : Jean-Paul Gaultier, quels sont vos 1ers souvenirs de mode ?
Jean-Paul Gaultier : Mon ours Nana bien-sûr ! Le pauvre, je lui en ai fait voir de toutes les couleurs et c’est un quasi-miracle s’il est en un seul morceau pour faire partie de l’exposition aujourd’hui !! Il a été le 1er, bien avant Madonna, à porter les seins en forme de cône, je lui mettais du rouge à lèvres, je l’ai ouvert pour le garnir à ma manière, recousu, une vraie boucherie (rires)…Ensuite, ma grand-mère. C’était une femme d’un autre temps vous savez, qui avait encore ses corsets à lacets, des machines de torture presque. A côté, les miens, c’est de la maille ! Je jouais petit avec tout ce que je pouvais trouver dans une malle qu’elle gardait au grenier, dont ces fameux corsets…Un trésor ! Enfin, le film Falbalas de Jacques Becker, sorti en 1945, une icône absolue pour moi. LE film qui m’a donné envie de faire ce métier. C’est aussi mon coup de foudre pour la merveilleuse Micheline Presle, que j’ai rencontrée depuis et qui est devenue une amie.
MC : Vous avez fait vos adieux au prêt-à-porter sur la scène du Grand Rex à Paris en 2014. Des regrets ?
JPG : Non pas du tout. Dans une carrière, il y a des étapes. J’ai déjà été excessivement gâté dans ma vie, avec des rencontres incroyables, l’opportunité de faire ce que je voulais vraiment, donc pas de regrets. Je ne vais pas non plus regarder en arrière et m’écrier : « oh mon Dieu ! C’était mieux avant ! » La mode est devenue un marché énorme, ce qu’elle n’était pas lorsque j’ai commencé. Il faut pouvoir vivre avec son temps et celui de m’arrêter était venu pour moi.
MC : Quels sont vos projets en cours ?
JPG : D’abord au mois de mai, je participe au Life Ball à Vienne, un bal de charité organisé chaque année et qui me tient particulièrement à cœur, puisqu’il récolte des fonds pour continuer à lutter contre le virus du VIH. Puis au mois de juillet, ce sera la semaine de la Haute-Couture à Paris, tout un symbole pour nous autres, créateurs et artisans !
(« Jean-Paul Gaultier », Grand Palais, du 1er avril au 3 août 2015, http://www.grandpalais.fr/ ; tous visuels reproduits avec l’aimable autorisation de RMN Grand Palais)