A la recherche d’Auguste Rodin

Si le travail d’Auguste Rodin (1840-1917) est passé à la postérité pour sa recherche des formes qui transcendent l’espace d’où elles jaillissent et qui les abrite, son œuvre porte en elle la force plastique du génie dans la lampe, son pouvoir d’exaucer et transformer. Père de trésors de l’art et de groupes sculptés comme « Les Bourgeois de Calais », « La porte de l’enfer », « Le Baiser », il est aussi à considérer comme le premier sculpteur moderne.

Avec Rodin, l’artiste est aussi un penseur sensible qui ne se conforme pas au réel, mais qui le transcende et le sublime pour aboutir à la plus parfaite représentation de son art intérieur. Grâce à lui, la volonté rejoint la pensée d’un grand homme, un grand amoureux et un témoin que le temps a effacé derrière ses grands chefs-d’œuvre, souvent plus connus que lui-même…En 2014, l’exposition Mapplethorpe-Rodin faisait déjà dialoguer le plâtre du sculpteur avec l’argentique du photographe. Une confrontation féconde et pleine d’audace, presque osée dans un musée entièrement dévolu à la gloire d’un artiste, par ailleurs demeure et atelier personnels de l’homme de son vivant.

Deux ans après, le Musée Rodin confirme son intention d’ouvrir les guillemets de la sculpture « classique » vers la parenthèse des arts voisins que sont la photographie, le land art et les pratiques cousines de la perception artistique du corps comme de la gestuelle et de l’ombre dans l’espace physique.

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L’acte de sculpter

L’exposition « Entre sculpture et photographie » se propose de croiser 8 visions subjectives à la croisée d’un monde : celui de Rodin. Le point commun des artistes sélectionnés est qu’ils conjuguent tous au pluriel l’acte de créer. Le visiteur, au début du parcours, part à la rencontre de deux personnalités singulières : Richard Long et Gordon Matta-Clark.

Né en 1945, Richard Long s’est formé à l’art de sculpter dans les années 1960, à Londres. Mondialement connu pour être l’un des précurseurs du land art, ce marcheur infatigable est doublé d’un contemplatif. Son champ d’action est celui de l’aléatoire et de l’éphémère. A voir dans l’expo, son cercle composé de roches alpines témoigne in situ de la main de l’homme sur la création. Son intervention n’a rien d’anodin, tout cela nous rappelle l’impact que le marcheur peut avoir sur la nature dans laquelle il se promène. Richard Long fixe son acte sur pellicule. Ici la photographie tient lieu de témoignage et d’œuvre à part entière, ce qui nous fait réfléchir sur le véritable « domicile » d’une œuvre d’art. Est-elle quelque part dans l’espace, dans un lieu physique, où l’on peut se rendre ? Ou bien vit-elle dans la tête de l’artiste qui en est à l’origine ? Ou encore, existe-t-elle dans l’œil et le cerveau de celui qui la regarde ?

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Des questions que poursuivent les travaux et expériences de Gordon Matta-Clark (1943-1978). Ayant reçu une formation d’architecte, l’artiste américain reste l’un des champions de l’œuvre sur site. Pour Gordon Matta-Clark, l’acte sculpteur s’expérimente par une « découpe du réel ». Pionnier dans sa volonté de faire sortir l’œuvre d’art de la galerie pour la replacer sur le terrain, il fait son entrée sur la scène du land art, ou Earth Art, dans le New-York des 60’s. « Sculpteur-négatif » en quelque sorte, son action à lui agit par la révélation du creux, du percement ou de la trouée. Muni d’une scie à chaîne et de matériel naturellement dévolu à la construction, Matta-Clark déconstruit cloisons et planchers pour bâtir des perspectives où passe la lumière, créant ainsi une nouvelle circulation du regard (ce qu’il appelait le « cutting »). Positif-négatif, lui aussi fixe son acte sur photographies, isolant chaque étape de son travail, tel Rodin qui sculptait la lumière à creusant et burinant sa forme, jusqu’à ce que le chaos naturel côtoie l’onde de sa pensée.

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Pour John Chamberlain (1927-2011), les sculptures s’apparentent à des déformations du réel. L’artiste se fait mécano et distord, découpe, compresse, soude ensemble des parties composites de tôle froissée. Son œuvre, qui évoque celle de César, est expressionniste et abstraite, baroque dans sa façon de mélanger les couleurs dans un chaos de formes pour arriver à un équilibre esthétique. Une forme d’apaisement où la sculpture est achevée lorsqu’elle ne ressort plus par les mains de son créateur, à l’image de la glaise jetée et rejetée sur la table après mille essais…

Enfin, Giuseppe Penone nous surprend à travers quelques œuvres bien choisies. Un presque retour aux sources de sa spécialité, 3 ans après son exposition solo dans les jardins de Versailles, dans laquelle le sublime tutoyait la simplicité. Au naturel, l’art de Penone retourne au végétal et aux arbres. La sève, le tronc, les feuilles. Pour le Musée Rodin, l’œuvre qui résume sans doute le mieux ce retour à la Nature est une sculpture en métal doré qui symbolise un corps humain, en arbre. Branches et branchages sont les veines et nerfs, brindilles et racines sont les jambes d’une ébauche d’homme à la tête feuillue qui n’appartient plus au genre humain mais s’en rapproche par les questionnements qu’il éveille en nous.

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L’acte de photographier

Comme la plupart des 8 artistes exposés, Giuseppe Penone retranscrit aussi ses interrogations par le médium photographique. Ses œuvres « Géométrie dans les mains » ou « Pièges de lumière » traitent pour le spectateur de la vision et du projet qu’il en a. Pour cette dernière, qui tient lieu d’affiche à l’exposition, le moulage en cristal d’un tronçon d’arbre est posé sur l’agrandissement photographique d’un œil. De la sorte, Penone capture autant la lumière qui va à l’œil, que la lumière qui en sort par l’entremise de son objectif interne tapissé du cristallin de l’organe des yeux. Toute une parabole…

Né en 1943 et venu exprès pour l’occasion, l’américain Mac Adams reconnait avoir un univers visuel fortement inspiré du polar et du cinéma. Ses « Mysteries Series » tiennent autant de l’art du montage que du storyboard à ellipses : ce sont des diptyques qui associent deux images sans rapport l’une avec l’autre pour le sens commun, mais dont l’artiste nous dit qu’elles sont l’avant et l’après d’un moment tragique. Plus qu’un photographe, Mac Adams travaille aussi sur l’ombre et l’illusion. Ses « Shadow-sculptures » sont autant recherche géométrique que projection cinématographique d’une sculpture qui ne serait qu’ombre dans l’espace. Ici, c’est encore la lumière qui tient le burin et découpe une forme dans le vide.

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Artiste touche-à-tout de talent, Dieter Appelt s’est plus que les autres mis en scène et paye de sa personne dans l’élaboration visuelle de son univers. En 1976, il met son propre corps en situation de retourner à la poussière et à la terre. Fasciné par l’œuvre de l’écrivain Ezra Pound, il décide de marcher dans ses traces et réalise une série de photographies dont il effectue plusieurs tirages gélatino-argentiques qui représentent la chambre d’Ezra Pound en vue négative. L’ensemble se détache dans le noir et incarne ce que « chambre obscure » veut dire. Ses sculptures de bois, hommages à un primitivisme des temps anciens, sont aussi présentes et participent de la variété de travaux d’un artiste inclassable.

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La dernière ligne (presque) droite de l’exposition « Entre sculpture et photographie » garde son mystère. Axées sur l’optique et le travail d’illusion que nous opérons quand nous regardons une chose, les œuvres de Markus Raetz sont peut-être les plus troublantes et ludiques. Paradoxe, leurre et magie sont au rendez-vous de sa pièce « Métamorphose II ». Un buste d’homme en fonte est monté sur un trépied en bois face à un miroir. Tournez-vous, et le reflet vous montrera un lièvre !

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Reconnu et collectionné partout dans le monde pour ses peintures et dessins, Cy Twombly (1928-2011) s’était également frotté à la sculpture…et à la photo de végétaux à travers des tirages polaroid couleur ! Des polaroids qu’il agrandit, dès lors les formes sont floues et les couleurs saturées. En 1985, la série des « Tulips », hors-échelle et bord-cadre, comme des éclats rougeoyants de fonte à cire perdue, annonce ses peintures à venir des années 2000. On assiste donc au laboratoire de la création…comme un clin d’œil au titre d’une exposition précédente que le Musée Rodin a consacré au sculpteur français.

(« Entre sculpture et photographie », Musée Rodin, du 12 avril au 17 juillet 2016, http://www.musee-rodin.fr/fr ; tous visuels © Stéphane Chemin)

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