Lauréat du prix Pritzker en 1989 (l’équivalent du Nobel pour l’architecture) Frank O. Goldberg, alias Frank Gehry, est un insatiable faiseur de lieux culturels (Vitra Design Museum à Weil am Rhein près de Bâle, Walt Disney Concert Hall à Los Angeles, Frederick Weisman Art Museum à Minneapolis, etc.) Connu mondialement pour ses structures ondulantes aux courbes originales, Gehry a relevé le défi de concevoir un bâtiment pour abriter la Fondation Louis Vuitton, un édifice « jamais vu », posé au cœur d’une nature menacée par l’urbanisme.
Genèse
La concession louée du jardin d’acclimatation à la mairie de Paris par le groupe LVMH était l’une des rares surfaces disponibles pour élever un tel projet dans la capitale. Un projet long et délicat à mettre en place. Principalement à cause de plaintes de riverains et d’opposants à la construction aux abords du bois, soit plus de cinq années passées entre pourparlers et procédures…Il aura donc fallu toute la patience et la ténacité de Bernard Arnault pour ne pas fuir la France et laisser tomber un tel projet artistique sur le sol hexagonal, comme l’avait fait en son temps son compatriote François Pinault en installant sa fondation d’art contemporain à Venise.
Bernard Arnault, donc. Le richissime homme d’affaires a bâti sa fortune dans le monde du luxe : mode, horlogerie et spiritueux. Dans un marché où rien ne doit être laissé au hasard, le fin stratège hisse son groupe à la 1ère marche et devient en moins de 20 ans le leader mondial incontesté du secteur. Pour fonder un tel empire, il faut voir grand et cela passe par l’architecture. Arnault fait appel à des architectes de renom pour concevoir les nouveaux espaces de ses boutiques : Christian de Portzamparc (tour LVMH à New York), l’agence Sanaa (immeuble Dior à Tokyo, projet La Samaritaine à Paris), etc. Si l’architecture est un reflet de la modernité, de l’époque dans laquelle nous vivons et de l’intelligence humaine, elle se doit aussi de faire écho aux produits présentés dans ces temples du luxe afin de transporter l’acheteur dans une autre dimension.
Pour la Fondation Louis Vuitton à Boulogne, il ne s’agit pas d’exposer des sacs ou des robes… mais de présenter la création contemporaine sous toutes ses formes : peintures, sculptures, vidéos, concerts. Bernard Arnault a eu le souhait, en s’adressant à Frank Gehry, de « concevoir un espace qui ouvre le dialogue entre le public et les artistes ».
Fiat lux !
A l’arrivée, le résultat obtenu va au-delà du souhait du commanditaire. L’édifice de verre est spectaculaire : la ligne droite semble avoir été bannie de l’enveloppe extérieure. Frank Gehry vient de signer une architecture qui marquera à coup sûr le 21e siècle en défiant les lois de l’architecture. Paris n’avait plus connu d’engouement d’une telle ampleur pour un bâtiment depuis la… tour Eiffel !
Des plaques de verre savamment agencées recouvrent et cachent par un jeu de reflets une charpente de métal et de bois amarrée solidement aux blocs de béton armé. Le temps des cathédrales voulait donner aux croyants une image de la grandeur de Dieu, ce temps est révolu… ici le volume est dédié à l’Art tout puissant, l’architecte s’est mué en sculpteur dont la matière est l’espace.
Gehry a eu carte blanche pour aller jusqu’au bout de sa vision. Il y a l’espace extérieur que le visiteur a du mal à appréhender tant le bâtiment semble immense… Ce défi architectural est aussi un défi à l’intelligence de l’homme. Était-il possible de réaliser l’esquisse de l’architecte ? Le cabinet se mit au travail et fit appel au savoir-faire des entreprises françaises Vinci et Dassault Systèmes qui ont dû se surpasser et se réinventer pour la conception des panneaux de verre… un four a été spécialement conçu en Espagne pour couler et mouler à chaud des formes précises et monumentales. 30 brevets ont été déposés pour la réalisation du bâtiment. 15 000 tonnes d’acier dessinent la structure primaire du bâtiment, soit deux fois plus que la tour Eiffel ! Une résille en inox assure aux verrières longévité et propreté.
L’ensemble a été pensé pour vivre au plus proche de l’environnement qui l’entoure. Lorsque le vent souffle, les parois de verre ne restent pas statiques. L’édifice semble être en mouvement, comme non fini.
Contraste intérieur
Dans cet espace sculpté de verre, le visiteur entre dans des volumes fractionnés de 11 000 m², il rentre au sein de l’œuvre où les murs redeviennent droit en contraste avec l’extérieur. Les espaces d’exposition ont été élaborés pour être modulables. L’idée du mouvement perpétuel chère à Gehry prend vie dans l’évolution permanente. Dans ces volumes spacieux, des œuvres d’art monumentales trônent en majesté. Les toiles de Gerhard Richter ou les monochromes d’Ellsworth Kelly, deux artistes qui ont la cote sur le marché de l’art, ont trouvé ici le lieu approprié pour être exposés.
Suzanne Pagé, ancienne directrice du Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, a rejoint en 2006 la Fondation pour apporter son expertise sur la conception d’expositions et le choix des nouvelles acquisitions. De fait, artistes français (Christian Boltanski, Bertrand Lavier) et internationaux (Thomas Schütte, Isa Genzken), renommés ou encore inconnus, font partie des élus dans une collection encore tenue secrète…
L’artiste danois Olafur Eliasson est entre autres présent avec Grotto : une œuvre in situ au pied du bâtiment, composée de 43 colonnes de forme triangulaire et de largeur variable éclairées de l’intérieur, deux faces recouvertes de miroirs et la troisième d’une mosaïque de verre soufflé jaune. La lumière irradiante se reflétant dans l’eau du bassin extérieur, elle devient ainsi un matériau visible et insaisissable qui crée une vibration spatiale. La Fondation lui a consacré en décembre 2014 la première rétrospective de son histoire.
Une grande exposition lui succèdera en avril 2015 : Les Clefs d’une passion présentera les œuvres majeures fondatrices de la modernité. Des œuvres telles que Le Cri d’Edvard Munch, ou encore La Danse d’Henri Matisse proviendront des plus grands musées du monde. L’audace est ici de mise car l’art à un pouvoir certain : celui d’éveiller l’âme, peu importe l’endroit…
En plus des salles d’exposition, un auditorium accueille un agenda des concerts éclectique : le pianiste Lang Lang et le groupe électro Kraftwerk ont ainsi inauguré les lieux en octobre 2014. La programmation est pour l’instant principalement axée sur la musique classique mais accueillera dans l’avenir colloques et spectacles vivants.
Prendre de la hauteur
Après la visite intérieure, il est bon de se rendre sur les terrasses extérieures afin de contempler la canopée du bois de Boulogne, Paris à perte de vue et observer les tours de la Défense… Le spectacle est total, on se sent au-dessus de tout. Pourquoi ne pas prendre de la hauteur en douceur pour aller toucher du bout des doigts le ciel ? Des jardins aménagés par la végétation vont accompagner la vie de l’édifice en parfaite symbiose entre la beauté de la nature et l’harmonie conçue par l’homme.
Ce bijou de haut savoir-faire technologique et d’une grande perfection artistique non conventionnelle replace Paris dans la course au leadership de la ville des arts dans le monde. Ici « luxe, calme et volupté » à tous les étages, mais rien ne brille si ce n’est le vernis de certaines toiles… Cette Fondation d’une ère nouvelle reviendra à la mairie de Paris en 2062 !
(Fondation Louis Vuitton, 8, avenue du Mahatma-Gandhi, 75116 Paris. www.fondationlouisvuitton.fr ; tous visuels copyright Stéphane Chemin)