Le sieur Meylan récidive donc avec Trésors et légendes Van Cleef & Arpels, paru aux éditions Télémaque. Ou la fascination, le trouble, la tragédie et le grandiose sans égal qu’exercent pierres précieuses et chefs d’œuvre de la haute joaillerie sur les hommes via le prisme d’un titan : Van Cleef & Arpels. Hasard ou prémonition, « La parole perdue des pierres », livre de Odile Alleguede publié aux éditions Quintessence, s’intéressait déjà aux rapports ambigus et, parfois, mortels que les joyaux chargés d’histoire entretiennent avec le sort…
Loin du besogneux travail d’archiviste qui pourtant guette au coin de la colonne ce genre d’exercice, « Trésors et légendes… » arrive lui aussi à passionner son auditoire de bout en bout, et ce, même si le lecteur est une bille en cailloux et que le monde feutré des grands joailliers n’est pas sa perle de culture générale ! De l’ascension des propriétaires du 22, place Vendôme, Vincent Meylan a décidé de faire fi, préférant à la reconstitution studieuse d’une dynastie les ors fastueux de l’anecdote, comme on convoque des témoins à la barre. Des témoins ? Leur clientèle. Et quelle clientèle !
Sur ces portraits grisés par le temps ou le caprice de la saison, s’agitent encore un cortège de figures vibrantes sous lesquelles sourdent les traces colorées de la passion. Comme pour toute maladie, les symptômes ne mentent pas. Celle qui frappa la clientèle Van Cleef & Arpels au siècle dernier était d’une souche maligne qui ne connaissait pas d’antidote. L’identité des malades, elle, recèle des surprises serties par touches tout au long des 350 illustrations qui ponctuent ce voyage. Un gage supplémentaire de réalisme. Les clients qui se pressaient chez Van Cleef avec des ferveurs endimanchées de paroissiens chez le curé faisaient alors tous partie de ce que l’écrivain José-Luis de Vilallonga surnommera ironiquement « Gold Gotha ».
Un long chemin de croix scelle en effet nombre d’existences que d’aucuns considèrent « idylliques » ! Connaissez-vous la fameuse maharani de Baroda ? Que la réponse soit oui ou non, vous ne serez pas déçu ! Cette femme à l’allure terrible d’une princesse burgonde restera dans la très riche histoire des pierres précieuses comme une icône incontournable. A tel point que la simple mention de « Baroda » sur un catalogue de ventes aux enchères suffit à mettre en nage le collectionneur !
Unie à Pratap Gaekwad, maharajah de Baroda, à l’issue d’une situation familiale compliquée car déjà mariée, Sita Devi connut l’exil parisien des suites de la proclamation d’indépendance de l’Inde. Dans son repli doré de l’hôtel particulier qu’elle occupait à Neuilly, Sita Devi recevait le gratin de son époque et dépensait. Follement. Issue d’un monde de privilèges et de pompe, ses années passées à Baroda l’avaient rendu certaine de vivre un conte de fée…et les parures brillantes participaient du rêve. Jusqu’aux dettes, aux mauvais placements, à la crise…en 1974 ! Celle que l’on appelait la « Mrs Simpson indienne » mourut prématurément, non sans avoir auparavant perdu sa collection de bijoux suite à son dépôt effectué par nécessité à Monaco, au mont-de-piété…
Si le travail d’orfèvre des « mains d’or » Van Cleef & Arpels n’évoque pas le drame et les aléas du destin dans l’esprit du public, force est de constater à la lecture de ce livre que le tragique y enserre souvent le sublime. Majestés d’Europe ou d’ailleurs, familles royales, stars d’Hollywood et mondaines gâtées, héritiers de tous bords ou princesses de papier : derrière ces sourires, sous ces diadèmes, croulants de breloques émeraudées ou couverts de cascades de perles, tous ces personnages ont en commun d’avoir cru mordicus à leur propre légende…
Ni juge, ni parti, Vincent Meylan aligne leurs histoires au bout d’une pincette d’argent. Reste, d’un certain point de vue, la radiographie empierrée d’une société révolue et d’âmes à l’abri du besoin, oisives, et cependant tourmentées d’une soif à nulle autre pareille qu’aucune rivière de diamants saurait jamais étancher…celle du bonheur ?
(« Trésors et légendes Van Cleef & Arpels » de Vincent Meylan, éditions Télémaque, sortie novembre 2012, 472 pages, 27€)