Le musée Fabre, qui détient la majeure partie de l’œuvre de Frédéric Bazille (1841-1870) et se trouve à l’origine de cette rétrospective, s’est associé avec le musée d’Orsay de Paris et la National Gallery of Art de Washington, pour cette collaboration exceptionnelle dans le but de réhabiliter et mettre en lumière un artiste encore trop méconnu du public français, qui fut en réalité l’un des piliers fondateurs du mouvement impressionniste. Cette exposition, ambitieuse par les œuvres réunies, se veut aussi internationale et itinérante. En effet, après son lancement à Montpellier, ville natale de l’artiste, elle fera étape du 15 novembre 2016 au 5 mars 2017 à Paris, puis s’envolera de l’autre côté de l’Atlantique pour Washington du 9 avril au 9 juillet 2017.
L’œuvre de Frédéric Bazille n’est pas surabondante au niveau de sa production picturale. De par sa courte carrière de peintre (qui compte une cinquantaine de tableaux), la presque totalité est visible ici sous la forme de douze chapitres thématiques et chronologiques. L’exposition associe à l’artiste ses contemporains en contrepoint : Corot, Delacroix, Courbet, Manet, Monet, Fantin-Latour, Renoir, Cézanne, Sisley… Un vent nouveau de liberté souffle à l’époque où Bazille décide de devenir peintre, à 21 ans, après avoir échoué dans ses études de médecine. L’époque connaît alors une métamorphose inédite, liée à la révolution industrielle et qui aura des répercutions jusque dans le domaine des arts. De ce fait, le parcours évoque les phases d’un artiste en recherche, s’émancipant de ce qu’il a appris au cours de sa formation académique dans l’atelier de Charles Gleyre à Paris.
L’art ne doit plus s’inspirer des modèles d’école, ni copier les formules enseignées. Bazille écrit en 1864 à son père : « J’espère bien si jamais je fais quelque chose, avoir le mérite de ne copier personne ». Un vœu en guise de profession de foi, qui fait écho à sa conception de l’art toute singulière, car aux prises avec le monde réel et ancrée dans le quotidien de son temps.
Âme rebelle
Dans la seconde moitié du 19e siècle, pourtant si riche de contestataires à venir, difficile d’exister si les salons officiels ne sélectionnaient pas une toile de votre production. Combien d’artistes ont-ils eu à souffrir le mépris des membres du jury qui leurs préféraient des œuvres plus classiques et sans envergure novatrice ? Frédéric Bazille, en manque de la reconnaissance des salons officiels, comme de leur précieux sésame pour pouvoir exister dans le monde artistique, réussit néanmoins sans se décourager à imposer quelques unes de ses œuvres : nature morte de « Poissons » en 1865, l’année suivante « La réunion de famille » à Méric, et en 1868, la « Vue de village ».
Il refusa toujours de peindre des sujets académiques, à l’instar de ses amis avec qui il forma « le groupe des Batignolles » au cœur de la capitale, des esprits rebelles et libertaires, comme lui, en lutte contre un ordre artistique établi. Durant sa courte vie, Bazille ne cessera d’ailleurs de partager son atelier et ses sorties avec d’autres artistes, bambocheurs invétérés et oiseaux de nuit qui mêlent et l’art et la vie dans un tourbillon de plaisirs, de sujets et d’inspirations pour leurs toiles. Ainsi, Renoir, Manet et Monet comptent parmi ses fidèles amis avec qui il partage ses recherches artistiques. C’est une réelle aventure collective, faite d’amitiés et de collaborations fécondes, qui feront progresser l’art vers la révolution impressionniste. On peint d’après modèles en atelier, mais on n’hésite plus à sortir en plein air pour composer d’après nature grâce à l’invention du tube de peinture.
Lumière
Parallèlement à sa vie parisienne, Frédéric Bazille revient régulièrement passer ses étés à Montpellier, dans le superbe domaine familial de Méric, pour retrouver les siens. Il peint son pays natal baigné de la lumière du midi en appliquant les leçons techniques de Monet pour peindre en plein air. Il réalise ainsi de nombreux croquis, à différentes heures de la journée, qui vont alimenter une série de peintures sur le même sujet. Il se retrouve dans le paysage et peint « Les remparts d’Aigues-Mortes, du côté du couchant » en 1867. Le traitement de la lumière est délicat au niveau de la réverbération de l’eau, l’artiste adopte une palette plus claire et libère son style par sa touche picturale plus énergique pour chercher à rendre un sentiment d’instantanéité.
« Peindre des figures au soleil »
Déjà, Bazille fréquentait régulièrement le musée Fabre. Il s’intéressait de près à l’œuvre de Gustave Courbet avec le tableau « La rencontre » (1854), qui met en scène l’artiste rencontrant son mécène Alfred Bruyas et son valet intégrés dans un paysage. Le jeune Frédéric reprit cette idée de « peindre des figures au soleil » et choisit de peindre « sur le motif » : une œuvre peinte à l’extérieur, devant le sujet au sein de la nature. Loin des sujets académiques, historiques ou mythologiques, Bazille compose en 1864 « La robe rose » : une femme de dos assise sur le rebord de la terrasse de Méric est en train de regarder le village de Castelnau-le-Lez, par une lumière contrastée entre le premier plan (sombre) et l’arrière-plan (clair). L’artiste intègre sa figure dans la lumière sans que celle-ci ne soit au même plan que le paysage, afin de donner du relief à sa composition. Il reprendra ce principe de contraste dans « La réunion de famille », tableau pour lequel il fit poser parents, frère, oncle, tante, cousines…
C’est une scène tirée du quotidien, au cœur d’un été ensoleillé, où l’artiste choisit de ne rien changer de la réalité. Il donne à travers cette grande composition une impression de plein air où l’œil du spectateur se promène, flâne d’un visage à l’autre et ne cesse de circuler. Les regards des sujets se focalisent sur le peintre qui est en train d’immortaliser l’instant vivant, mieux que la photographie qui à cette époque n’est encore qu’en noir et blanc. Bazille s’avoue être un coloriste merveilleux qui a le sens de l’harmonie des pigments. Le peintre s’intègre à l’extrémité gauche de la composition, comme s’il se voyait en marge de sa famille en ayant choisi de mener une vie de bohème.
Cette rétrospective a nécessité une restauration importante des œuvres exposées et a permis, grâce à des prises de vue en ultraviolet et radiographiques, de redécouvrir des tableaux cachés sous les compositions. Lorsque Bazille présentait une toile à un salon et que celle-ci n’était pas acceptée à son grand regret, l’artiste réemployait la toile. Un dispositif numérique interactif permet de faire découvrir au visiteur les toiles disparues.
Disparition précoce
Pour le salon de 1869, Bazille se voit refuser un corps d’homme dans le paysage avec « Le pêcheur à l’épervier » qui représente un homme anonyme nu dans un sous-bois, un corps dans sa pure vérité. En 1870, Bazille délaisse le réalisme et s’inspire de la bible pour « Ruth et Booz », il cherche une nouvelle orientation avec « Paysage au bord du Lez » d’où se dégage une étrange impression de vide.
Le 16 août 1870, alors âgé de 28 ans, le jeune homme décide de s’engager contre toute attente dans un régiment de zouaves pour prendre part aux combats face à l’armée prussienne. Il meurt le 28 novembre.
De son vivant, Frédéric Bazille n’a pas vendu de toiles, constat désespérant pour cet artiste visionnaire qui fut tantôt classique, tantôt réaliste puis précurseur d’un art ancré dans la modernité. En 1874, eût lieu la première exposition impressionniste dans l’atelier du photographe Nadar. Bazille en sera le grand absent…
Autour de Bazille
A noter, l’exposition consacrée à Bazille se prolonge à deux pas du musée Fabre, en l’hôtel particulier de Cabrières, où sont exposés la mode vestimentaire et l’art de vivre bourgeois à l’époque de l’artiste : robes de crinoline, chapeaux, ombrelles, dentelles et mobiliers font écho aux tableaux des impressionnistes.
Une application gratuite géo-localisée « sur les pas de Frédéric Bazille » (disponible sur Android et Iphone) propose au visiteur de découvrir les lieux marquant de Montpellier pour l’artiste (Hôtel Périer, Faculté de Médecine, Domaine de Méric,…)
Enfin, des visites de la ville d’Aigues-Mortes, de ses remparts et du sentier de la Marette sont organisées pour permettre au visiteur de marcher dans les pas du peintre, ressentir les « impressions » et s’immerger dans l’œuvre en plein air de Frédéric Bazille.
(« Frédéric Bazille, la jeunesse de l’impressionnisme », Musée Fabre de Montpellier Méditerranée Métropole, du 25 juin au 16 octobre 2016, http://museefabre.montpellier3m.fr/ ; tous visuels © Stéphane Chemin)