Ouvrage incontournable pour tous les collectionneurs, les passionnés de mode et plus largement du livre d’art, L’Art de la mode paru chez Citadelles & Mazenod est une somme inégalée en la matière, qui couvre chronologiquement et dans le détail, plus de trois siècles d’histoire de l’habillement. Un vertigineux tour d’horizon, cousu de main de brodeuse par Catherine Örmen, diplômée de l’Ecole du Louvre et de l’Ecole du patrimoine. Commissaire d’expositions et spécialiste de l’histoire du costume, Catherine Örmen est l’auteur d’une dizaine de livres sur le sujet.
Sous sa plume, L’Art de la mode impose l’art de (se) vêtir comme un domaine de réflexion et d’érudition quasi ethnologique. Vue non plus en tant qu’artisanat, mais bien en tant qu’Art majeur à part entière, la Mode avec ses métiers, ses clients, ses « fans » (on parle aujourd’hui de fashion addicts), parfois déconsidérée, dépréciée aux yeux de certains qui la taxent hâtivement de frivolités pour les uns, et d’accoutrement pour les autres, la Mode avec un grand M ressort de cette lecture grandie. Mise en perspective des contextes économique, sociologique, technique et esthétique qui la font vibrer de règnes en régimes, la création de mode s’effeuille au fil des pages, pour se révéler parallèle à la grande histoire du changement des mentalités qui accompagne l’homme dans sa quête sans fin vers plus d’harmonie, de liberté et de beauté.
Au long des 5 chapitres du livre, Catherine Örmen nous emmène en promenade, du Roi Soleil qui fit de la vêture une affaire d’Etat à Marie-Antoinette dont l’image glamour de « fashionista » perdure jusque dans les salles obscures au 21e siècle. De l’Empire et sa taille éponyme sous Napoléon à l’élégance mêlée de diktats d’une société bourgeoise uniformisée à la Belle Epoque. D’un 19e siècle froufroutant aux premières révolutions esthétiques et mythes fondateurs de la mode au 20e siècle : disparition du corset, l’arrivée de la garçonne, Coco Chanel, Yves Saint Laurent, le pantalon, puis la mini-jupe…
Enfin de 1965 à nos jours, avec l’avènement du créateur de mode star, le triomphe d’un prêt-à-porter « prêt-à-normer », les looks boyish, hipster, unisexe, androgyne, la mode connectée, l’invention du luxe et de ses grands groupes, des multinationales de la fringue dans une économie de marché mondiale. En ombres chinoises (ou Indiennes ou Birmanes ou Malaisiennes), l’acheteur se confond avec le cintre en portant, parfois à son insu, les dérives mercantiles de son temps, comme une étiquette cousue sur son front. Dès lors, comment ne pas voir le long zip de la mode comme un reflet tendu à nos sociétés ?
En coulisses de cet Art de la mode, Catherine Örmen décrit une guerre des vestiaires dont les enjeux, de la royauté aux crises de l’identité sexuelle actuelles, sont d’ordre profond et signifiant. Car, si la mode est souvent futile et légère, son existence témoigne surtout d’un enjeu fondateur bouleversant : le corps et sa représentation. Tout sauf anodins, c’est bien notre corps avec les moyens de le transformer, l’exhiber ou le cacher qui démontrent la pertinence des réflexions de ce livre, loin des basiques styles, vêtements, coupes, attitudes.
L’Art de la mode, par sa thématique universelle, octroie au lecteur la possibilité de voir et penser l’habillement, selon ses envies, à l’endroit ou à l’envers. Côté visible : le déroulement chronologique des formes, des patrons et leurs évolutions parfois contrariées jusqu’aux multiples choix qu’offre notre société de consommation actuelle. Côté doublure : le continuum idéologique qui prend le vêtement en otage du devoir (dis)paraître, des canons physiques fluctuants selon le moment. Comment ne pas penser, aussi, que tandis que la mode en Occident a vaincu les grandes batailles des sexes là où les esprits ont sans cesse besoin qu’on les leur rappelle, d’autres régions du globe où tout doit disparaître couvrent et voilent les nombrils et les bouches avec toujours plus de tissu. Comment ne pas vouloir faire sauter boutons et agrafes ?
600 illustrations couleur viennent enrichir ce livre indispensable à travers l’abondante iconographie des textiles, costumes, coupures de presse d’époque, photographies de mode, etc. De l’ère des Lumières aux grands combats féministes d’après-guerre jusqu’à l’industrie globalisée actuelle, ce magnifique ouvrage nous rappelle que la mode est autant un art qu’une arme.
(« L’Art de la mode », éditions Citadelles & Mazenod, de Catherine Örmen, Coll. « L’art et les grandes civilisations », 600 ill. couleur, sous coffret illustré, sortie 6 octobre 2015, 608 pages, 205€ ; tous visuels reproduits avec l’aimable autorisation de l’éditeur)