Préfacé par Zaha Hadid, l’ouvrage entend rendre compte de « l’art moderne et contemporain du monde arabe et de l’Iran. » Perse et arabie, donc. En effet, n’en déplaise à certains, les régions de l’ancienne Mésopotamie, terres du Golfe et berceau d’Alexandre le Grand, sont le creuset de poussées culturelles si puissantes et antagonistes, qu’elles voient depuis plus d’un demi-siècle l’essor d’une création tous azimuts, comme du plus court chemin pour que les lendemains chantent : l’art. A ces artistes-là de démontrer que vivre, aimer, et, pourquoi pas, prier aux pays d’Allah et du pétrole-roi, ne sont pas des énergies fossiles ! L’actualité aide.
Rien que ce mois-ci, à Paris, deux évènements phares hissent haut la smaragde du croissant mahométan : le Louvre dédie tout une aile de son palais aux Arts de l’Islam, quand l’Institut du monde arabe ouvre ses salles à l’art contemporain avec « 25 ans de créativité arabe », exposition qui se tient du 16 octobre 2012 au 3 février 2013. Cela s’appelle une lame de fond. Dans la profusion des signaux contradictoires que nous lancent médias, évènements culturo-mondains et grandes agences de presse, il serait donc aisé de s’y noyer.
Le livre s’attache, sobrement, à ne parler que par la voix de ceux qui font « L’Art du Moyen-Orient », de 1945 à aujourd’hui. Dans ce but, s’y trouvent reproduites plus de 450 œuvres, pour quelques 200 artistes (Youssef Nabil, Shirin Neshat, Hassan Massoudy, etc.) Un panorama qui se veut, sinon exhaustif, du moins brosser de très larges champs de la pensée moyen-orientale, mais qui, surtout, porte le mérite principal de remettre en justes place et perspective tout un versant fécond de l’art. Aux yeux du néophyte, comme de l’amateur, plusieurs pistes étayent le propos : approche raisonnée grâce aux thèmes qui structurent les œuvres en autant de chapitres ; approche éclairée à l’aide des notices d’artistes qui abondent en fin de pages ; approche intuitive guidée par la simple contemplation, d’autant plus préférable qu’elle permet de toucher du doigt l’effet voluptueux que procure la réunion d’un tel corpus.
L’auteur, Saeb Eigner, lui-même collectionneur et arabophone, a grandi au Moyen-Orient avant de s’élever en Occident. Fondateur de Lonworld, une compagnie d’investissements privés, membre du Conseil d’établissement de la London Business School, il fut, en 2006, conseiller spécial de l’exposition du British Museum « Word into Art ; Artists of the Modern Middle East ».
On se doute que l’homme connait bien son affaire. Son ouvrage a l’élégance de vulgariser sans aplatir, et d’instruire sans parti-pris. Conscient que, en art comme ailleurs, rien n’est innocent, Saeb Eigner se sert de la tribune que lui offre l’édition, et se fait le porte-voix d’une frange de la scène artistique mondiale à la recherche, peut-être, d’une autre présence que celle que les journaux lui accordent ordinairement, entre voile et Coran. Gageons que cet effort passe, aussi, par l’intérêt du public, car les cavaliers libres que sont les artistes se jouent des moucharabiehs hypnotiques de l’actualité…
(« L’Art du Moyen-Orient. L’art moderne et contemporain du monde arabe et de l’Iran » de Saeb Eigner, éditions du Toucan, avant-propos de Zaha Hadid, sortie 6 Octobre 2010, 368 pages ill., 39€)