« Les Contes de Perrault illustrés par l’art brut » dans La grande collection
Créatures polymorphes de la tradition orale des peuples du monde entier depuis la nuit des temps, les contes ont fini par rejoindre le patrimoine littéraire propre à chaque pays, voire à chaque région habitée d’une force folklorique. Qui ne connaît Les Contes de Perrault ? Trésors du patrimoine français, ces contes en partie expurgés de la connaissance transmise jusque là de bouche à oreille, n’ont rien d’enfantin. La vérité n’a rien d’enfantin. La transmission d’un savoir est un jeu de dominos. Conte après conte, les vérités encloses dans les symboles charriés par les contes, nous en apprennent plus sur l’Histoire et l’Humanité que nombre livres tamponnés « sérieux ». Or, comme chacun sait, seul jeu d’enfant dit vrai.
« Réenchanter le monde », voilà la mission des contes lorsqu’ils passent du monde oral, à l’univers d’encre et de papier. Un changement d’état qui a aussi une fonction : fixer des histoires universelles, à la portée mythologique, sur un support fixe et dans une langue intelligible pour les générations suivantes. Une continuité du sens et de la portée de l’Inconscient, révisée et contenue par la plume d’auteurs (Perrault, les frères Grimm, Madame de Villeneuve et après elle Madame Leprince de Beaumont, etc.) qui vont tous l’adapter aux besoins de leur temps. A l’origine étaient les légendes. Puis vinrent les mythes, et enfin, les contes. Ces derniers, à l’image de poupées gigognes, ont vu leurs formes changer, modifiées d’aïeux en petits-enfants, plus tard raconteurs, à leur tour, de fables merveilleuses ou terrifiantes. A l’origine, tout finit mal. Les enfants sont mangés, les filles à marier abandonnées, mère-grand décède seule, et l’orphelin finit pauvre et empoisonné. Mais le conte est une formidable machine à recolorer. Bien souvent, outre quelques personnages, le lieu et l’époque, seule la fin change. Le conte diffère du mythe en cela qu’il est moins noir, moins dur, plus optimiste et plus léger. Ne nous y trompons pas. Sa matrice est si ancienne que le berceau des contes est aussi celui de l’Homme, de l’Univers et de ses lois.
Une œuvre sous influence
Les Contes de Perrault sont à la langue française ce que Byron sera un siècle plus tard à l’anglais : une œuvre poétique sous influence. Diane de Selliers présente, dans cette nouvelle édition illustrée, l’intégralité des onze contes de Perrault. Soit trois contes en vers parus en 1694 (« Griselidis » inspiré du Décaméron de Boccace, le célébrissime « Peau d’Âne », et le bijou d’humour « Les Souhaits ridicules »), et huit contes en prose publiés en 1697, les fameux « Contes de ma mère l’Oye » ( « Cendrillon ou la petite Pantoufle de verre », « La Belle au bois dormant », « Le Petit Chaperon rouge », « La Barbe bleue », « Le Maître chat ou le Chat botté », « Le Petit Poucet », « Riquet à la houppe », et « Les Fées »). Pour chacun, les versions préexistantes sont nombreuses. Charles Perrault leur aura infusé sa sensibilité et son art de conter à la française.
L’art brut des Contes
L’art populaire de fabuler s’orne ici d’art profane. Ce merveilleux volume des « Contes de Perrault illustrés par l’art brut » s’accompagne encore d’un riche corpus iconographique. 135 œuvres d’art brut, du 20e siècle à nos jours, voisinent en effet avec les plus belles pages des onze récits. Ainsi, ce ne sont pas moins de 84 artistes présentés via des notices biographiques. La grande rencontre entre les contes et l’illustration brute et naïve offre un rapprochement inédit. Diane de Selliers nous a habitués à ces rapprochements pétris d’intelligence et d’audace, uniques dans le paysage éditorial actuel.
Codificateur de la notion d’« art brut » et « père » du mouvement auquel il appose son nom en 1945, Jean Dubuffet se passionne pour cet art des sous-sols, tel que le voit la doxa de l’époque. Un art loin des écoles, des courants de pensée établis, où l’esprit créateur souffle où il veut, libre, hors des chapelles artistiques. L’art brut, comme le définit alors Dubuffet, est brut car il est art des isolés, des aliénés, des analphabètes, des parias, des enfants du bon Dieu qui n’ont connu ni les privilèges de la naissance, ni les avantages de l’éducation, ni les honneurs du succès. Des ratés pour les uns. Des malchanceux pour les autres. Pour Dubuffet, des pépites brutes, qui n’attendent plus rien de l’existence, sinon la mort, mais que lui et son groupe vont faire briller, comme une revanche de ce cercle discontinu de marginaux et d’autodidactes chez qui le feu créatif ne sert pas à faire bouillir la marmite, ou à briller dans les salons. Il ne sert qu’à les réchauffer un peu d’une vie dure, chiche en bienfaits, riche en misères, et maigre en tout le reste. L’art brut, revanche des sans-voix ? Ou rachat de la mauvaise conscience de la « bonne » société ? Quelles qu’en furent ses raisons, Dubuffet collecta, durant trois décennies et pour une poignée de son, quelque 5000 œuvres. En 1971, il fit don de sa collection à la ville de Lausanne, qui la présente au public depuis 1976. Hormis la Collection de l’Art Brut à Lausanne, les œuvres illustrant le livre viennent des plus grandes et des plus célèbres réunions en la matière, notamment la Collection abcd de Bruno Decharme, le LaM à Villeneuve-d’Ascq, le Kunstmuseum Bern, la Collection Prinzhorn, etc.
L’imaginaire symbolique, facteur commun du monde de l’art brut et de l’univers des contes, nous parle plus clairement que n’importe quelle analyse. A la lecture des Contes, le plaisir des histoires se mêle et s’augmente de l’émerveillement des figures, dans un dialogue étonnant de cohérence, un renvoi abyssal de l’information. Relié sous coffret, « Les Contes de Perrault illustrés par l’art brut » est enfin d’une fabrication intemporelle, qui en fait d’emblée un classique de bibliothèque. En effet, les pièces d’art brut étant fixées sur supports modestes, fragiles, papiers de rebut, emballages, cartons, journaux, feuilles volantes, parfois déchirées, grattées, elles sont présentées intactes, sans recadrage « propre », respectant la vérité de leur condition intrinsèque. Chaque conte s’ouvre sur une double page. Un papier teinté et texturé, inséré au cœur de la double page, annonce le titre en lettres de feu…Il était une fois. Ce beau livre se lit définitivement à tous les âges, mais il faut avoir un cœur brut pour le vivre.
« Les Métamorphoses d’Ovide illustrées par la peinture baroque » dans La petite collection
Les éditions Diane de Selliers réactualisent l’un de leurs succès en grande collection, en format réduit et à prix léger. « Les Métamorphoses d’Ovide illustrées par la peinture baroque » font l’objet d’une ressortie compacte dans La petite collection, après le Prix André Malraux du livre d’Art qui couronne l’ouvrage et sa fabrication en 2003. Texte séminal de l’imaginaire classique occidental, « Les Métamorphoses », ironiquement, n’ont pas pris une ride ni perdu un cheveu de leur puissance d’évocation. Chantre de la poésie latine à l’ère antique, Ovide entame la rédaction de ses poèmes métamorphiques en l’an 1 avant Jésus-Christ, dont les 11996 vers sont divisés en 15 livres. Soit 231 histoires mythologiques réparties sur deux périodes historiques : la création du monde au livre I, le règne d’Auguste au livre XV.
Du chaos d’origine à la résolution de l’unité, nous assistons aux pérégrinations aventureuses de dieux, héros et demi-dieux. Jupiter, Sémélé, Bacchus, Daphné, Apollon, Orphée, Diane…Un compagnonnage épique dont l’accointance avec les grands mythes anciens, méditerranéen et eurasien, est le vrai legs à l’Humanité. Diane de Selliers a choisi 84 histoires parmi les plus marquantes de cet héritage.
« Rien ne périt dans le monde entier, mais tout varie »
« Les Métamorphoses d’Ovide illustrées par la peinture baroque » sont aussi un formidable voyage visuel. Depuis le 15e siècle, quel artiste ne s’est pas trouvé touché par l’aile des « Métamorphoses » ? Autant dire une source iconographique inépuisable ! Le volume s’orne de 160 peintures et fresques sélectionnées du 17e au début du 18e siècle. Des trésors du baroque qui résonnent en majesté au cœur d’une œuvre polymorphe. Transformation de la lecture à la vue de chefs-d’œuvre majeurs du Caravage, Poussin, Rubens, Carrache, Balestra, Le Sueur…
Traduite en prose par Georges Lafaye en 1927 et revue par Jean-Pierre Néraudau en 1992, la poésie d’Ovide est respectée dans l’Esprit et la Lettre. Passage de la gangue latine, loin de la mort, elle se transforme et se métamorphose, éternellement, pour le plaisir des lecteurs actuels et à venir.
(« Les Contes de Perrault illustrés par l’art brut », Diane de Selliers Editeur, « La grande collection », 135 œuvres d’art brut du 20e siècle à nos jours, 84 artistes présentés dans des notices biographiques, texte intégral, direction scientifique de l’iconographie de Céline Delavaux, introduction de Bernadette Bricourt, 1 volume relié sous coffret, sortie octobre 2020, 374 pages illustrées, 230€ jusqu’au 1er février 2021, 250€ ensuite ; « Les Métamorphoses d’Ovide illustrées par la peinture baroque », Diane de Selliers Editeur, « La petite collection », 84 histoires, 160 peintures et fresques baroques, traduction en prose de Georges Lafaye, notes de Jean-Pierre Néraudau, sortie septembre 2020, 372 pages, 49€ ; tous visuels reproduits avec l’aimable autorisation de l’éditrice)