Voici plus de 25 ans que Diane de Selliers nous emporte sur les voies éclairées de la culture livresque universelle, entrainant avec elle traducteurs, experts, spécialistes et passionnés, la fine fleur de ce que les champs d’études comptent de talents par discipline. Voici un quart de siècle que l’éditrice parisienne la plus primée du secteur pour la qualité, la rigueur et la cohérence de ses choix éditoriaux rêvait de rassembler, dans sa « Collection », les « tre corone fiorentine » : les trois grandes voix de la poésie italienne. Après Dante (1996), Boccace (1999), il ne manquait que Pétrarque afin de parachever le trio parfait. C’est désormais chose faite.
Avec la mesure d’exigence qui la caractérise, « Les Triomphes » de Pétrarque illustrés par le vitrail de l’Aube au 16e siècle, relèvent le pari d’achever de sorte singulière ce défi intimiste fait profession de foi. Et d’ailleurs, tout triomphe n’est-il pas un défi lancé à l’adversité ? Ceux de Pétrarque raisonnent en six mouvements d’une matière transmutée…
Pétrarque : l’or à la Lettre
A l’instar de ses deux illustres pairs entre lesquels il fait trépointe, Pétrarque destine son talent dès la naissance à la poésie de l’Idéal d’amour, telle que la concevra un certain esprit de littérature européenne à la Renaissance. L’expression poétique du sentiment d’amour, transfigurée sous les traits d’une romance de jeunesse idéalisée, puis contrariée, transfigure le récit avant de toucher au sublime, l’atteinte de la grâce du cœur à travers le triomphe éternel de l’Esprit.
Pour ses « Triomphes », l’auteur se met en scène endormi au pied d’un arbre. Vivant son chemin de présence en rêve, il voit alors défiler six allégories, distinctes et personnifiées : l’Amour, la Chasteté, la Mort, la Renommée, le Temps, l’Eternité. Leur succession s’opère, séduisant le lecteur par la beauté de leur chant et la profondeur de la parabole, qui dessine une progression audible. Le surgissement des ombres et de la lumière, vivifiant l’imaginaire par l’abstraction séveuse du rythme musical des vers poétiques, brassant les contraires, tantôt accord, tantôt arpège : l’emphase, l’intime, la projection, le repli, la quête, la perte, l’accomplissement dans le vide, allégorie initiatique vers le perfectionnement spirituel en soi.
Au « Triomphe de l’Eternité », le cœur du poète revit, dessillant ses yeux à l’horizon d’une félicité sans bornes autrement plus spirituelle que la vaine poursuite d’un élan de conquête humain :
« […], et vivre n’est qu’un rêve
où l’on se dit : « qu’ai-je été ? que serai-je ? »
Et l’on se plaît à invoquer autant Muse, qu’aède.
Plaisir de la présente édition bilingue, le lecteur curieux et érudit, « non rassasié », viendra à naviguer entre les deux eaux du corps du texte. Distincte des parutions précédentes, la traduction inédite de Jean-Yves Masson restitue la modernité d’origine. Avec l’humilité et la sensibilité du poète, le traducteur a choisi le décasyllabe afin de restituer l’endécasyllabe italien, écartant la rime et le vers libre pour coller au plus près de la cadence pulsée du vers primitif dont le sens nous saute au bec.
« Les Triomphes » de l’Aube
Hors la traduction, la grande nouveauté de cet opus reste sans réserve son iconographie de verre. Le poète pétrifié y tombe dans le concert d’un tourbillon chromatique sans précédent pour une publication des « Triomphes » ! Plus d’un siècle et demi après l’écriture de Pétrarque, le vitrail d’Ervy-le-Châtel en est une interprétation parallèle et chrétienne.
La baie dite des « Triomphes » date de 1502 en l’église Saint-Pierre-ès-Liens, dans la ville d’Ervy-le-Châtel, un petit bourg de l’Aube situé près de Troyes, en Champagne. Commanditée par Jehanne Leclerc à la suite du décès de son époux, le vitrail miraculeux d’Evry symbolise à lui seul l’aura posthume d’un texte poétique dont la portée mystérieuse a traversé les âges sans prendre une ride, gagnant au passage la promesse d’éternité dans laquelle sa fin s’aspire. De fait, les routes de la terre rejoignent quelques fois celles du Ciel…
Un trésor insoupçonné qui a bénéficié de technologies de pointe dans le but de restituer l’élégance d’un détail, la complexité d’une saynète, la proportion d’un cadre serti au plomb…Un travail admirable de nature à inspirer les générations futures de lecteurs avides de surprise pour les yeux, autant que de stimuli mémoriels propres à ancrer texte et image d’un seul tenant sans effort superflu. Dans l’instant. En effet, 100 vitraux de l’âge d’or du vitrail champenois voisinent silencieusement, redéfinissant la perspective du « beau 16e siècle ». Un effort de Romain, merveilleusement reproduit à travers des clichés détaillés, commentés, analysés avec intelligence, perpétuant l’œuvre des artisans maîtres verriers, auteurs invisibles et muets de cette palette illustrative exceptionnelle.
Enfin à l’abri de la page, les vitraux champenois dansent sous l’œil. Vaporisant littéralement leurs couleurs sur le texte humaniste qu’ils accompagnent et au côté duquel ils cheminent en majesté, se hissant à la vertu symbolique du dicton populaire, qui dit qu’une image vaut mille mots ! Ceux-là valent bien un si beau livre.
(« Les Triomphes » de Pétrarque illustrés par le vitrail de l’Aube au 16e siècle, Diane de Selliers Editeur, « La grande collection », 100 vitraux de l’Aube du 16e siècle photographiés par Christophe Deschanel, texte intégral, version bilingue, introduction, traduction et notes de Jean-Yves Masson, introduction et commentaires iconographiques de Paule Amblard, introductions, commentaires techniques et glossaire de Flavie Vincent-Petit, 1 volume sous coffret, sortie octobre 2018, 336 pages illustrées, 195€ jusqu’au 31 janvier 2019, 230€ ensuite ; tous visuels reproduits avec l’aimable autorisation de l’éditrice)