D’abord, car l’édition de la traduction en français commandée par l’éditeur à Leili Anvar est à ce jour épuisée (Le Cantique des oiseaux d’`Attâr illustré par la peinture en Islam d’orient, « La grande collection », octobre 2012). Répondant à l’attente, Diane de Selliers inaugure ainsi une toute nouvelle collection baptisée « Textes » qui propose de mettre l’écrit au premier plan avec des œuvres introuvables en français, épuisées ou méconnues. La vénérable Maison, désormais rue Bonaparte à Paris, ouvre un autre chapitre de son histoire avec cet ouvrage essentiel de la mystique poétique soufie de la fin du 12e siècle, révisé dans sa traduction et augmenté dans ses notes par Leili Anvar.

Une première ensuite, car cette sortie fait écho à la première parution d’un livre chez Diane de Selliers en langue anglaise : grâce à la traduction de référence de Dick Davis et Afkham Darbandi (Penguin, 1984), Le Cantique des oiseaux devient The Canticle of the birds by `Attâr illustrated in Eastern Islamic Art.Ainsi le vaisseau du poète `Attâr part délivrer son message d’Unité au plus grand nombre. Ainsi, la rencontre de ces deux textes incontournables en librairie est à ne pas retarder…

Paroles de vérité, Ostad Elahi, Albin Michel

« Paroles de vérité », de Ostad Elahi, Editions Albin Michel, paroles choisies et réunies par Bahram Elahi, traduit du persan (Iran) par Leili Anvar

« Paroles de vérité », de Ostad Elahi, Editions Albin Michel, paroles choisies et réunies par Bahram Elahi, traduit du persan (Iran) par Leili Anvar

 

Dans l’entretien exclusif, publié dans nos pages (lire l’article ici), qu’elle accordait à Le Mot et la Chose, Leili Anvar évoquait son écriture de l’unique biographie consacrée à ce jour à la mystique, poétesse et musicienne Malek Jân Ne’mati (Malek Jân Ne’mati. La vie n’est pas courte mais le temps est compté, Diane de Selliers Editeur, réédition 2013). Figure spirituelle d’exception, cette femme ressortissante du Kurdistan iranien avait un frère aîné non moins exceptionnel : Nour Ali, dit « Ostad » (maître) Elahi.

Grand mystique et contemplatif de l’Eternel devenu magistrat à Téhéran, maître du tanbur, homme de loi, père et mari aimant, Ostad Elahi (1895-1974) a connu mille vies. L’une d’entre elles l’amena à rédiger un corpus littéraire à valeur spirituelle et édificatrice, témoignant de ses propres études sensibles dans ses efforts pour s’approcher vers Dieu et vers Sa Perfection.

Ses Paroles de vérité, extraites de son ouvrage Preuve de vérité (1963), sont pour la première fois rassemblées par son fils cadet, Bahram Elahi, dans un petit livre de poche sorti dans la collection des Spiritualités vivantes, Albin Michel. Traduites du persan et introduites par Leili Anvar, ces Paroles de vérité bruissent du frottement de l’Esprit qui s’éveille à l’Infini.

Si la portée d’un livre ne se juge pas à l’aune de la taille de sa couverture, celle-ci excède largement son format. En 300 pages et 472 « paroles », la traduction ailée de Leili Anvar parvient à restituer les élans contrebalancés d’un homme en quête de sa vérité. Paroles de vérités’adresse à chacun, en dépit de sa religion, de son passé, de sa culture, de son sexe. Ostad Elahi y parle de philosophie, de la société, de droiture morale, du doute, de la relation à l’autre, d’amitié, de santé et d’Amour. Surtout, de l’Amour du bien-aimé divin, qui ne peut être que Dieu. Mais ne vous y trompez pas, de religieux, il n’est jamais question dans le livre. L’Unicité de l’âme/esprit et le cheminement ininterrompu vers la Perfection intéressaient seuls Ostad Elahi. De sorte que le lecteur peur « entrer » dans le texte à n’importe quelle page et en « sortir » une, ou deux, voire trois paroles qui répondront à des interrogations qu’il ne se rappellerait pas s’être encore posées…

« Viator » d’une voie spirituelle et d’un chant de conscience initiés par son père, pratiquant l’ascétisme, les prières nocturnes et le jeûne rituel de 9 à 21 ans, Ostad Elahi décida un jour que sa place était dans le monde. Il quitta donc son existence contemplative pour expérimenter de plain-pied la vie parmi d’autres gens. Son livre (et la traduction de Leili Anvar à travers lui) n’a pas de mots assez éloquents pour qualifier ce que c’est que de franchir le voile qui sépare la spiritualité pure de la matérialité humaine avec ses mensonges, ses tentations, ses petites affres et ses sublimes passions. En creux, Paroles de vérité est aussi le testament lucide d’un homme qui se voue à deux absolus, la confiance et l’oubli, tout en soupirant par instants un « Mais chassez le naturel… ». Un grand livre.

 

"Présence – Vol.10, L’art du luth oriental tanbur" Ostad Elahi chez Harmonia Mundi

« Présence – Vol.10, L’art du luth oriental tanbur » Ostad Elahi chez Harmonia Mundi

Musicien accompli, Ostad Elahi fait l’objet d’une actualité sonore parallèle avec la sortie, chez Harmonia Mundi, de Présence – Vol.10, L’art du luth oriental tanbur. Ecouter cet album s’avère une autre façon de lire au cœur des notes transparentes un enseignement spirituel qui vise à réconcilier l’homme et le Divin.

Le Cantique des oiseaux d’`Attâr, Diane de Selliers Editeur (vu par Marc Michiels)

« En chacun de nous, il y a des dizaines d’oiseaux qui ne demandent qu’à s’envoler », Leili Anvar

Le Cantique des oiseaux d’`Attâr (son nom signifie littéralement « parfumeur » et « apothicaire » – 1174 -1248), est une épopée spirituelle qui raconte l’histoire de tous les oiseaux du monde, de tous les hommes devrait-on dire. Chacun représente un aspect de soi, métaphore d’une âme en déshérence, qui n’a pas su s’arracher à l’ego inachevé de l’être.

De son cheminement par-delà les sept vallées, chacun d’entre eux se réunit à la recherche de l’être suprême, manifestation visible du Divin : « la » Sîmorgh.

« Le Cantique des oiseaux » d’`Attâr, Diane de Selliers Editeur, traduction en vers du persan ancien (Iran) et introduction par Leili Anvar

« Le Cantique des oiseaux » d’`Attâr, Diane de Selliers Editeur, traduction en vers du persan ancien (Iran) et introduction par Leili Anvar

Seuls « trente oiseaux déplumés, faibles et abattus. Cœur brisé, corps épuisé et l’âme envolée »  – distique 4181 parviendront à la fin du voyage, dans une libération du corps, de l’âme, dans le non-être ; une libération de soi dans un anéantissement final.

Mais Sîmorgh est invisible pour les yeux profanes qui n’ont accompli l’ultime sacrifice de soi, celle de « l’annihilation de Dieu » ou fanâ et de la baqâ « survivance éternelle ».

En d’autres termes, il faut mourir pour renaître, « se perdre dans le perdre », devenir rien pour devenir Tout, « être dans le non-être ».

La traduction en vers de Leili Anvar accompagne avec une grande subtilité le texte d’`Attâr. Ainsi le prologue pour qui sait le décrypter unifie la narration par une relation entre les signes et les sens :

UN : «  Aucun signe de Lui n’existe hors le sans signe

Il n’y a pas d’autre issue que Lui donner sa vie » – distique 109

Avec,  Le poète : « Qu’est-ce l’âme ? Une amante en errance de Lui

Et le cœur ? Un souffrant, enSANGlanté pour Lui » – distique 116

« Purifie mon âme, Toi qui est la pureté

Ou bien verse mon sang et réduis-moi en cendres » – distique 231

« Ciel et Trône reflètent Son esSENCE pure

Innombrables les anges nés de Ses attributs » – distique 295

« Car quand mon âme trouve un signe venant de Toi

Le SANS- signe devient mon seul signe de Toi » – distique 402

« Et lorsque Son esSENCE en Sîmorgh se révèle

Moïse impressionné devient une mésange » – distique 349

La réunion des oiseaux peut alors commencer sous l’autorité de la huppe, messagère du divin, éclaireuse des âmes, en multipliant dialogues, métaphores vers une poétique de l’itinéraire.

Énigmatique présence, où la beauté de l’être aimé, toutes les beautés du monde deviennent sous la plume du poète `Attâr les signes visibles de la beauté de Dieu, laissant les oiseaux « stupéfiés de se voir autres et pourtant eux-mêmes ! »… – distique 4277

Tout comme

« … se révéla le monde du non voile

Jusqu’à l’irradiation de la lumière Suprême », Révélation – distique 4227, pour cette nouvelle édition, Leili Anvar nous fait partager son intime, une poétique de l’interprétation, quête d’une ascension spirituelle lumineuse.

Une réflexion sur les spécificités du rôle des annexes, enrichissement essentiel pour cet ouvrage de référence soufi de la fin du 12e siècle.

 

L’ouvrage aurait pu se terminer à une invitation au mystère, au silence :

«  Pendant qu’ils cheminaient, la parole régnait

Une fois le but atteint, il ne reste plus rien

Ni début et ni fin, ni guide, ni chemin

Et c’est pourquoi, ici, la parole s’éteint » – Les trente oiseaux voient Sîmorgh » – distiques 4287 et 4288

Il n’en est rien : le poète souhaite mettre en évidence ce qui permet à son sens d’affronter toutes les épreuves d’une vie et ce jusqu’à l’opposition entre le bien et le mal.

L’Amour permet de surmonter les épreuves de la Douleur

« ô mon âme, mon cœur, mon sacrifié !

J’ai perdu avec toi et mon âme et mon cœur !

ô toi, mon bien-aimé, ô toi, qui m’a aimé

ô toi assassiné car je l’ai ordonné ! » – distiques 4444 et 4445

L’Action plutôt que le silence

« La langue est une épée et sur elle le joyau

Est le sceau du silence, rien d’autre ici ne vaut » – distique 4480

«  Ainsi donc, je me tais, il suffit de parler

Ce qu’il faut, c’est œuvrer, œuvrer et voilà tout ! » – distique 4482

Dans l’épilogue :

Les derniers vers de son opus magnum, `Attâr a recours à un ultime jeu de mots qui pointe vers une signification profonde :

le laveur du bain se dit qâ’em mais ce même mot est aussi l’un des attributs de Dieu, qui signifie «  Celui qui demeure éternellement ».

UN : «  Tu es Celui qui reste, Tu es Celui qui lave

par esSENCE absolue. Tu es le Magnifique » – distique 4722

Le poète  nous dit que Dieu est non seulement le seul être qui demeure mais aussi le « Laveur » des fautes par excellence comme l’écrit Leili Anvar.

Pour chacun de nous qui ne sommes pas dans les mêmes vallées,

le livre d’`Attâr est un voyage alchimique,

une voix poétique dans les ténèbres,

qui invite l’âme à s’abandonner,

dans l’invisible beauté,

de l’UNité de soi.

«  Abandonne à l’oubli tout ce que tu as fait

Œuvrer et oublier, voilà ce qu’il faut faire ! » – distique 3657 

 

(« Paroles de vérité », de Ostad Elahi, Editions Albin Michel, paroles choisies et réunies par Bahram Elahi, traduit du persan (Iran) par Leili Anvar, Coll. Spiritualités vivantes poche, sortie 6 février 2014, 304 pages, 9,20 € ; « Le Cantique des oiseaux » d’`Attâr, Diane de Selliers Editeur, traduction en vers du persan ancien (Iran) et introduction par Leili Anvar, Coll. Textes, sortie 20 février 2014, 400 pages, 25 €)