Déjà, le mois dernier, nous relayions « Don Quichotte » illustré par Gérard Garouste. Mais en ces temps de fêtes, dans les chaussettes ou au bas du sapin, Diane de Selliers Editeur a disposé l’un des plus beaux titres de cette fin d’année, publié en octobre dans « La grande collection » : Le Cantique des oiseaux d’`Attar illustré par la peinture en Islam d’orient.
« Le Cantique des oiseaux », soit un texte mythique qui invite aux commentaires. `Attar tout d’abord. Indifféremment droguiste, parfumeur, derviche, grand voyageur de l’Esprit, mystique et soufi, Farîd od-dîn `Attâr a le parcours sinueux et le pedigree des hommes qui ont gagné leur légende. Né dans la Perse du XIIème siècle, `Attar aurait vécu 101 ans avant de finir décapité lors de l’invasion du territoire par les Mongols. `Attar…En réalité, un surnom de plume pour celui qui fait commerce de parfums…
Mû par l’herméneutique soufie, on attribue au poète une œuvre large de 100 000 à 200 000 vers ! Composée sur le socle d’une intuition qu’il considérait « don de Dieu » et synonyme d’Eveil, sa création entra en Europe grâce au concours de ces « caravanes du savoir », qui roulaient alors par la Sublime Porte jusque dans les monastères pour s’échouer sur les hauts lutrins d’érudits, à l’époque médiévale.
L’un de ces trésors, « Le Cantique des oiseaux », brille toujours de la lumière que les ors de l’imagination encrés de la noblesse spirituelle infusèrent jadis entre les stances du récit. Un souffle odoriférant, un parfum sonore aujourd’hui restitués par une nouvelle traduction en vers de Leili Anvar, normalienne, agrégée, docteur en littérature persane, et maître de conférences à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales (INALCO). Une tâche de quatre années afin de rendre le long poème d’initiation d’`Attar en une langue intelligible, de limpides alexandrins durs comme le diamant et envoûtants comme la fumée de l’encens.
Car, connu et plébiscité du Bosphore au Gange, « Le Cantique des oiseaux » a influencé par ses 4724 distiques (9448 vers) nombre de récits épiques et codés, parmi lesquels « Les Contes de Cantorbéry » et « La Légende des siècles ». Leili Anvar avoue d’ailleurs elle-même avoir lu énormément de Victor Hugo, dans le but ultime de s’inspirer de la musicalité et du « parfum » des mots, afin de traduire au mieux cette fable étonnante.
« Le Cantique des oiseaux » narre l’aventure de tous les oiseaux de la terre, en quête de l’Être Suprême : la Sîmorgh. Au bout du conte et d’une myriade d’épreuves, seuls trente d’entre eux atteindront leur objectif. On ne racontera pas ici la chute de l’histoire, mais sachez simplement que, à l’instar de tout récit miroitant sous le sens de ses multiples interprétations ésotériques, ce « Cantique des oiseaux » est truffé d’une holistique littéraire, de jeux de mots changeant la signification et tournant l’aspect. Ainsi de « si morgh » qui en persan se traduit par « trente oiseaux », ou du Khorassan, région du nord-est de l’Iran où vécut `Attar et dont l’étymologie fait référence au corbeau, l’oiseau-voyant par excellence…C’est parce que le soufisme est « l’intériorité de l’Islam » qu’il permit à `Attar, par l’étude et la méditation, d’entreprendre ce dialogue direct avec le Divin. Moins d’une génération après lui, Rûmî n’en dira pas différemment…
Du XIVème au XVIIème siècle, tout porte à croire que les Princes commanditaires, vivement impressionnés par son message, choisirent de diffuser l’œuvre d’`Attar par les efforts conjoints des plus grands peintres du monde musulman. Sorties naguère d’ateliers persans, turcs, afghans ou indo-pakistanais, ce sont quelques 207 miniatures que les équipes de Diane de Selliers ont déniché dans les musées, bibliothèques et collections privées des quatre coins du globe. Ce riche corpus iconographique prend dans cette version une forme illustrative, comme un hommage à un poème singulier et troublant. En marge de la lecture, le curieux ou l’initié, perdu volontaire, trouvera un éclairage précieux dans les marges, commentées par Michael Barry, historien de l’art, professeur à l’université de Princeton et consultant auprès de la fondation Aga Khan.
Une équipe de choc donc, au service d’une vocation : escorter l’un des plus grands classiques du patrimoine mondial de chefs-d’œuvre picturaux, afin que la forme entre en résonnance avec les sens du lecteur, ce voyageur immobile.
Mon œuvre porte en elle une vertu étrange
C’est que plus tu la lis, plus elle est généreuse
Plus tu pourras la lire, sans cesse y revenir
Et plus à chaque fois tu goûteras ses mérites
(Épilogue, d.4506-4507.)
Quelques gouttes de poésie et d’Absolu extraites à la sueur du fond : le prix de la qualité…mise au pied des lettres !
(« Le Cantique des oiseaux d’`Attar illustré par la peinture en Islam d’orient », Diane de Selliers Editeur, 432 pages, 230€)