Durant sa formation de peintre à l’école des Beaux-arts au sein de sa ville natale de Braunschweig (Brunswick) puis de Bonn, Udo Zembok fut inspiré par le mouvement abstrait américain de la « Colorfield Painting » (littéralement « peinture en champ de couleur »), avec comme chef de file Mark Rothko qui inventa une peinture méditative, composée exclusivement d’aplats de couleurs en surfaces mouvantes, soit en monochromes, soit en bandes horizontales de hauteurs variables et multicolores, où l’aboutissement de ces recherches conceptuelles est d’atteindre une dimension spirituelle.
En parallèle, la découverte du verre pendant ses études artistiques le fascine pour le potentiel de ce matériau qui offre d’immenses capacités en termes de lumière et de couleurs. L’œuvre de son compatriote et mentor, Florian Lechner, artiste verrier, lui fit prendre la direction de travailler le verre industriel thermoformé, un support qui s’avère être de grande délicatesse pour la création de vitraux et de sculptures.
Udo Zembok expérimente le matériau industriel en tant que plasticien verrier et fait « transpirer » la couleur en s’inspirant du procédé pictural issu du glacis, consistant à poser, sur une couche sèche, une couche colorée transparente. Cette technique est appliquée en superposant plusieurs couches de verre teinté de pigments différents… afin d’obtenir une couleur, ce ne sera pas au moyen d’une plaque de verre avec un unique émail, mais par une superposition de plusieurs couches de verre et un pigment différent par couche… Procédé singulier et progressif qui exprime à la fois la sensibilité du support et la difficulté à le manier. Les plaques de verre ainsi fusionnées entre elles par la cuisson au four, la lumière transperce l’épaisseur des écrans translucides et additionne les couleurs, faisant naître une nouvelle couleur intérieure rayonnante.
Les quinze œuvres réunies dans l’espace du Musée du verre, ouvert sur le paysage environnant, donnent à voir les recherches récentes d’un artiste composant avec les transparences colorées et peignant avec la lumière qu’il fait vivre dans la profondeur du verre, exprimant ainsi la couleur dans sa troisième dimension, tour à tour volumétrique et secrète.
La série des « Spacecolours » est composée de onze écrans de verre carrés, chacun constitué de sept à huit feuilles de verre colorées et fusionnées. Chaque composition vit par elle-même de façon minimaliste en étant autoportante, tel un totem. Une grande intensité se dégage de cette géométrie due aux couleurs, ainsi que de leur vibration dans l’espace du site, faisant écho aux champs de couleurs de Mark Rothko comme aux paysages fusionnels de William Turner. Depuis les collines de son atelier baigné de lumière à Menton, Udo Zembok capte les « Horizons » de la mer Méditerranée à travers trois compositions rectangulaires incurvées : le paysage est prétexte à la composition, la ligne d’horizon est soulignée tant par les lignes horizontales que par le choix des couleurs et par leur vibration avec la lumière.
Dans cette exposition solo, l’artiste invite le visiteur à s’immerger au sein même de son œuvre monumentale « Cœur II » dans le but de ressentir l’expérience émotionnelle induite par la pièce d’art au cœur de l’espace. Deux surfaces de verre incurvées décalées se font face, enchâssées dans le sol creusé pour les recevoir, comme des parenthèses géantes permettant de se protéger et de s’isoler du reste du monde. Toutes les nuances de la couleur rouge semblent circuler à travers la matière, tel du sang qui fait battre le cœur de l’œuvre jusqu’à la verdure du paysage environnant… Udo Zembok valorise ici à merveille l’expression tridimensionnelle de la couleur et invite à la contemplation.
Appel au don pour acquisition
Deux ans après l’ouverture du MusVerre, le musée cherche à faire l’acquisition de l’œuvre monumentale extérieure « Fusion » d’Udo Zembok : un monolithe vertical en verre monochrome rougeoyant qui viendrait dialoguer avec l’architecture horizontale du bâtiment. L’appel aux dons est lancé auprès des particuliers et des entreprises durant le temps de l’exposition « Open Space ».
Le MusVerre, un musée vers son siècle
Du 19e à la première moitié du 20e siècle, l’industrie du verre a connu la prospérité dans le village de Sars-Poteries. En 1958, le petit bourg vit l’arrivée du nouveau curé de campagne Louis Mériaux, qui tomba en admiration pour les « bousillés » que gardaient précieusement les habitants. Les bousillés étaient des pièces créées par les artisans verriers pendant leur temps de pause. Mériaux réussit à convaincre les Sarséens en 1967, à prêter leur trésor de verre afin de les exposer dans l’ancienne maison des patrons des verreries, le château Imbert : l’exposition connait un vif succès et celle-ci est reconduite en 1968 et 1969, puis la collection devint permanente avec la création du premier Musée du verre. Le prêtre n’en reste pas là en créant, dès 1976, un atelier pour souffler des néo-bousillés et transmettre le savoir des Anciens à la nouvelle génération. En 1982, il organise un Symposium international du verre où toute la crème de la création contemporaine se retrouve et enrichit le musée par des dons d’artistes.
Le second musée, inauguré en 2016, a été conçu par Raphaël Voinchet de l’agence W-architectures. Il symbolise le lien entre un patrimoine issu de la production locale et la création artistique contemporaine. La pierre bleue du terroir de l’Avesnois habille merveilleusement la façade de l’édifice, celle-ci change de couleurs au cours de la journée et des caprices de la météo. 1000 m2 sont dédiés aux expositions permanentes et temporaires. Le rez-de-chaussée est dédié à la production historique du village avec les bousillés qui ont permis l’élaboration des chefs-d’œuvre du quotidien, une magnifique collection d’épis de faîtage y est exposée dans une tradition encore perpétrée de nos jours pour habiller les toitures des maisons du village. Le MusVerre conserve la plus importante collection d’œuvres contemporaines en verre de France, et c’est au sous-sol du musée que l’on admirera un aperçu étendu de la création mondiale.
(« Udo Zembok, Open space », du 14 avril au 28 septembre 2018, MusVerre, Le Musée du verre, 76 rue du Général de Gaulle, 59216 Sars-Poteries, http://musverre.lenord.fr ; tous visuels photos Stéphane Chemin)
