Avec près de 200 000 visiteurs chaque année, les organisateurs ont constaté une baisse de 10% par rapport à l’an passé. Dans une interview à Livres Hebdo, Bertrand Morisset, Commissaire du Salon du Livre, donne des explications. Selon lui, les élections départementales de dimanche ont empêché le déplacement, souvent important, des lecteurs de province. Il souligne également l’atmosphère assez lourde engendrée par les contrôles Vigipirate. Et malgré la grève de Radio France (30 heures d’antenne consacrées au Salon supprimées), le Salon du Livre reste un succès, avec 180 000 visiteurs.
La programmation mettait à l’honneur les lettres brésiliennes, avec une délégation de 48 auteurs et de 50 éditeurs. Cycles de conférences, débats et ateliers se sont enchaînés pendant trois jours. Rendez-vous toujours incontournable pour les amoureux du livre et des idées, le Salon du Livre est également l’occasion de prendre la température de la culture et de l’état du monde de l’écriture.
Le marché du livre : où en est-on ?
La filière du livre avait été inquiétée par l’arrivée du numérique en 2009. En proposant un contenu moins cher et plus pratique, le livre numérique a tout pour faire peur aux traditionnelles maisons d’édition. Bien que le nombre de tablettes vendues ait explosé (près de 6 millions en 2013), l’e-book reste, quant à lui, très peu prisé. Il représente seulement 3% du chiffre d’affaires de l’édition en France en 2015. Une tendance qui se confirme pour cette nouvelle édition, puisque seulement 5% de l’espace est consacré au numérique (environ 48 exposants pour un total de 1000 stands).
À cette sous représentation du secteur numérique s’ajoutait un climat morose. En cause, l’ombre des réformes qui plane actuellement sur les modalités de la création littéraire en France. Le 5 mars 2015, la Cour de Justice européenne avait contraint la France à appliquer une TVA de 20% sur le livre numérique, jusqu’ici à 5,5%. Une mesure qui n’a pas manqué de faire réagir le Conseil permanent des écrivains (CPE), estimant que « la valeur d’un livre ne doit en aucun cas dépendre de son support ou de la manière dont les lecteurs y ont accès ». Il appelait aussi à « une révision du taux de TVA frappant actuellement les droits d’auteur (10%), qui est le double du taux de TVA appliqué aux autres acteurs de la chaîne du livre ».
C’est dans ce contexte que le CPE et le SNAC (Syndicat des auteurs de bandes dessinées) ont appelé tous les auteurs à manifester pour la première fois ce samedi, en marge du salon. Le but : sensibiliser les visiteurs à la fragilisation du statut d’auteur et des conditions de la création culturelle.
Une plateforme toujours incontournable des acteurs de la chaîne du livre
Maisons d’édition importantes ou plus modestes, le Salon du Livre reste nécessaire pour les professionnels. Nathalie Brisac de L’école des loisirs (qui fête son 50e anniversaire) rappelle que les salons « sont plutôt de la communication que du commerce », où près de « 80% du catalogue est présenté ». Même message pour Hélène Hery des éditions Fleurus. Le salon permet « de dépasser la médiation des librairies et d’avoir un contact avec les lecteurs. Il reste un rendez-vous incontournable pour l’image de marque ».
Premières signatures pour son ouvrage Anne d’Autriche (Belin), Raphaël Dargent explique que le salon permet « de rencontrer les lecteurs, d’autres auteurs et éditeurs, au-delà de l’aspect vente et dédicaces ». Faire acte de présence donc, pour développer ou entretenir son image de marque, même si économiquement ce n’est pas rentable. Car « un coût d’emplacement élevé corrélé à la faible proportion de livres vendus ne génèrent aucune rentabilité économique », explique Pascale Simon sur le stand France Loisirs. Un argument qui pourrait expliquer l’absence de grandes maisons, à l’exemple du groupe Hachette, de Grasset, Odile Jacob ou Michel Lafon.
Le Brésil, nouvel eldorado de l’édition mondiale ?
Déjà convié en 1998, le Brésil est aujourd’hui remis en avant. Selon le SNEL (Syndicat national des éditeurs de livres), l’édition brésilienne a généré un chiffre d’affaires de 1,87 milliard d’euros en 2013, et compte près de 88,2 millions de lecteurs avérés. Un pays plein d’avenir, réservoir d’un lectorat nouveau, même si le manque d’infrastructures de distribution et l’importance de l’aide gouvernementale (30% du chiffre d’affaires de l’édition brésilienne réalisé grâce aux achats gouvernementaux) rendent cette réalité plus contrastée.
Quittant le réalisme magique et la vision d’un monde enchanté, les 48 auteurs conviés symbolisaient un nouveau chapitre de la littérature brésilienne. Guiomar de Grammont, Commissaire brésilienne du Salon, explique que « Oui, la page est tournée. L’auteur veut parler de ce qu’il vit, de ce qu’il voit ». Même si ce paradigme n’est pas nouveau (Joachim Maria Machado de Assis, Le philosophe ou le chien, Métailier), c’est dans l’expression même que le ton change. Les réalités abordées sont plus violentes, allant des inégalités sociales et économiques aux brutalités passées que sont la dictature, la colonisation et l’esclavage.
On retrouve ainsi Ferréz et son Manuel pratique de la haine (Anacaona, 2009) ou Paulo Lins avec La Cité de Dieu (Gallimard, 2003).
Le numérique sous représenté, témoin de l’attachement des français au papier
Malgré cette faible présence des prestataires numériques sur le Salon du Livre, Marie-Pierre Sangouard, Directrice des contenus Kindle d’Amazon France, reste optimiste. D’abord, l’arrivée récente de la lecture numérique, en 2011, laisse penser que le marché n’en est qu’à ses débuts. « De 35 000 titres numériques, nous sommes passés à près de 175 000 titres en 4 ans », confie-t-elle. Une proportion encore assez mince quand on sait qu’Amazon propose plus de 800 000 titres papiers. Un phénomène qui traduit selon elle une « réticence des mœurs » quant au changement du mode de lecture.
Pourtant, les avantages du livre numérique sont nombreux. Déjà, la dématérialisation des contenus rend la lecture plus aisée dans les transports. Outre l’aspect pratique, Marie-Pierre Sangouard explique que le numérique permet « l’essor de nouvelles formes de production littéraires, comme l’auto-publication ». Aurélie Valognes, auteure de Mémé dans les orties, a ainsi écoulé près de 20 000 exemplaires à 2,99 euros. Un coût intéressant pour le lecteur et l’auteur, quand on sait que 70% du prix de vente lui est reversé, contre 8% seulement pour le livre papier. Enfin, ces plateformes favorisent des interactions différentes entre auditorat et lectorat. Par les commentaires et les opinions, les lecteurs deviennent à la fois « filtres, juges et critiques, présents au cœur du processus de l’écriture » explique-t-elle.
Le square jeunesse, le livre comme éducation
Classiques du genre et nouveautés se sont côtoyés pour le plus grand bonheur des parents et des enfants. Christelle et ses deux enfants, Paul et Pierre, sont venus pour la première fois au Salon du Livre. Elle explique avoir fait le déplacement depuis l’Aisne pour « trouver des nouveautés concernant les mangas et les comics, ainsi que pour les 50 ans de L’école des loisirs ».
Vendredi matin, le ton a été donné au square jeunesse pendant la conférence d’ouverture. Partant du thème « Des héros pas comme les autres », les personnages dépeints n’avaient en réalité rien d’héroïque, ce qui faisait justement leurs forces. Être des héros ordinaires au quotidien, dans la tolérance et le respect de la différence. Vincent Malone (Seuil Jeunesse) expliquait écrire « des choses qui sont aussi adressées aux parents », avant de conclure devant la jeune assemblée que « même s’ils n’étaient pas copains dans la vie, ils devaient être copains dans l’idée ».
Sarah, 27 ans et mère d’un enfant, explique être attirée par les nouveautés, notamment pour les comptines aux éditions Formulette. Coralline Pottiez, une de ses éditrices, explique le concept : « les comptines ne sont pas une simple transposition du livre en numérique, mais proposent un contenu bien plus riche ». Cette version dite « augmentée » ajoute au texte une version auditive récitée et des mini-jeux apprenant aux enfants à écrire, dessiner les lettres ou à composer des mots. Entièrement disponible sur tablettes et smartphones, l’avenir repose selon elle sur « la complémentarité livre-papier, en profitant de l’attrait inné de la jeunesse pour le tactile, pour les ramener vers quelque chose de ludique et d’éducatif ».
Le square culinaire, entre la healthy food et les racines traditionnelles
Dans l’espace culinaire, la tendance était très claire : on favorise le retour aux racines, au local et aux produits du terroir. Autre tendance, le sans-gluten. Les sœurs Scotto (chroniqueuses Elle), révèlent un véritable engouement pour « les recettes de nos grands-mères et de nos mères ». Un retour à la tradition qui contraste à l’heure de la mondialisation alimentaire et de l’uniformisation des habitudes de consommation.
Pourtant, cette tendance culinaire laisse une certaine amertume. Franck Béhérec, auteur de Mon cours particulier de boulangerie, constate une tendance à « revisiter les plats et les produits » avant d’ajouter « qu’avant de revisiter, il faut déjà avoir visité ». Nombreuses sont les parutions qui surfent sur la vague gourmande. Pour lui, les émissions de cuisine amateur « font croire aux gens qu’avec un ou deux mélanges, on peut faire de la cuisine. Ce n’est pas si simple ». En effet, la complexité des techniques et la qualité des produits sont supposées acquises. Il peut ainsi en résulter « de la frustration, puisqu’on laisse le lecteur seul. On ne montre pas les détails du décor ou de la finition » confie-t-il.
C’est dans cette idée que le stand GDF Suez, Une toque à la Cantine, a placé la pratique au cœur de son animation. On s’interroge alors de la présence d’éditeurs comme Glénat ou Hachette sur ce segment spécifique. Quand on sait que certaines maisons d’éditions telles que La Plage ou Stéphane Bachès sont respectivement axées sur le gluten et les recettes de grands-mères depuis plus d’une dizaine d’années.
Pendant plus de trois jours, les visiteurs ont arpenté les allées nombreuses du Salon. Pour les lecteurs comme pour les exposants, une bonne majorité d’entre eux répondait présente depuis les premières éditions de l’événement. Et tous déclaraient vouloir revenir pour la prochaine édition. Temps de partage, de réflexion et de rencontres pour les auteurs, les éditeurs et les lecteurs, le Salon du Livre demeure une institution. Qui promeut la littérature, reflet des tensions et des aspirations de nos sociétés. Un rassemblement des lettres françaises, européennes et internationales, qui rappelle la diversité et la richesse des cultures, ainsi que la nécessité d’en préserver l’expression.
Un devoir, quand on a encore à l’esprit les attentats qui frappent actuellement les peuples démocratiques.
(visuels de l’article © Julien Percheron)