Un travail de fourmi ! C’est par cette exclamation que l’on peut mesurer la charge de travail et l’effort dont doit faire preuve le couturier 2.0 ++ pour se dégager de la masse des propositions et parvenir à partager sa vision dans un marché dominé par les top labels et autres global brandings. Comme l’a schématisé d’un ton dramatique l’ancien sherpa pub de l’ère miterrandienne, Jacques Séguéla :« Les gens n’achètent pas des produits, ils achètent des marques. »

Si pour l’acheteur d’aujourd’hui, fan de looks et de tendance, la mode semble n’être que paillettes, strass et scintillements, la doublure est à vif. Car la mode, ce sont aussi un cortège de guêpes, frelons et bourdons qui font la pluie et le beau temps sur la météo de nos dressings, décident de qui va briller et qui va rester sous le nuage… Une dictature de la griffe et de l’image que tous les médias, du blog d’ado au magazine branché, sans parler d’Instagram et des réseaux sociaux, entretiennent et se refilent comme un vieux tailleur Chanel de 1955, usé mais increvable. Le vétéran Karl Lagerfeld à part, peut-on encore être un « hyper » couturier au 21e siècle ? On va le voir, le terme n’est pas si compassé !

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Repéré chez Jean-Paul Gaultier et Franck Sorbier, Benjamin Antz-Recalt fait partie dutop ten des jeunes créateurs pour demain. Sa marque a moins de trois ans d’existence, elle reste donc fragile. Or, sa plus grande force réside justement dans cette apparente faiblesse : sa jeunesse. Qui dit jeunesse dit aussi vigueur, vitalité, endurance dans l’effort, nouveauté et fronde face aux isthmes inconnus que tout anime…

« Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait », nous a légués entre autres maximes un éternel vieux jeune, Mark Twain. Ou, comme le dit Audrey Harris, fondatrice du marketplace Soubis : « Benjamin est un jeune qui crée pour les jeunes. Il a une vision à la fois classique et complètement novatrice de concevoir un vêtement, d’élaborer un tissu, jusque dans ses fibres qui ne ressemblent à aucun autre tissu connu. C’est un précurseur dans la tradition du beau geste. » De fait, Audrey Harris sélectionne pièces uniques ou en éditions très limitées pour les présenter saisonnièrement à sa clientèle showroom, et sur le site internet Soubis, la modernité de l’un nourrissant le concept authentique de l’autre…

Mais, celui qui parle le mieux de la marque, c’est bien son principal intéressé. « Mes débuts dans ce métier, je les ai faits en atelier, dit Benjamin Antz-Recalt. D’abord comme styliste chez Vivienne Westwood ou Manoush, ensuite pour de grandes maisons comme Franck Sorbier et Jean-Paul Gaultier, ce qui était assez éclectique pour ne pas m’ennuyer, et aussi un choix de ma part. Cela m’obligeait à m’adapter, à me confronter à des langages différents pour tester ma propre polyvalence et ma capacité à frayer dans des univers assez éloignés entre eux, mais aussi très loin du mien quand on pense à Manoush ! »

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Une adaptabilité éprouvée sur la durée que Benjamin Antz-Recalt fait sienne pour asseoir ses velléités d’indépendance non seulement sur un socle solide, mais encore toujours en mouvement.

Couturier ? Créateur ? Designer ? Comment se qualifie-t-on lorsqu’on passe toute sa journée dans les (nobles) chiffons ? « C’est un peu tout ça à la fois, je crois, sourit Benjamin. Faire ce que je fais, pour moi, c’est assez instinctif, assez évident. Je me dis plutôt : « si demain je devais arrêter, je ne sais pas bien ce que je ferais d’autre… » C’est vous dire le côté viscéral ! En plus, j’hésite à mettre le mot « travail » sur ce que je fais, parce qu’on y met quand même beaucoup de soi dedans. Ce que je crée, j’y suis attaché, c’est une part de moi, donc c’est plus qu’un travail, c’est très fragile, très prenant. »

A sa droite, légèrement en retrait mais jamais loin, son associé et lui aussi « parent » de l’identité visuelle de la marque : Benjamin Asslan. Issu de l’Ecole supérieure des arts appliqués Duperré, ce dernier rencontre le jeune styliste alors étudiant à Esmod : « j’ai d’emblée accroché à son univers » déclare-t-il avec un enthousiasme contagieux.

Soutien indéfectible à l’entreprise, Benjamin Asslan ne tarit pas d’éloges (justifiées) sur son acolyte homonyme, à la fois happé par son sens de l’esthétique, et scotché par son talent à l’incarner dans le corps d’un vêtement.

Il explique : « en tant que responsable créatif de notre marque, je m’occupe de toute la partie scénographie et de l’aspect merchandising. J’ai toujours été attiré par la mode et ce qui s’en approche, la vidéo aussi, ce sont des expressions à la fois du passé et du futur qui me parlent. » Le parcours de Benjamin Asslan se double d’une expérience en magasin, au Printemps, Le Bon Marché et Hermès, dans la presse et la publicité. Mais c’est le challenge de « lancer » une griffe ex nihilo qui le séduit encore le plus !

« Mon expérience dans les univers visuels, un certain savoir-faire dans la mise en scène des produits et de leur impact à l’image, continue Benjamin Asslan, je souhaitais les partager à travers un projet auquel je crois et qui sollicite toute ma volonté et mon imagination. C’est en cela que Benjamin Antz-Recalt et moi sommes complémentaires. Notre force réside dans la synergie de nos compétences afin de parvenir au but qui nous est commun. »

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Les deux Benjamin lancés, vient le souci de la rentabilité. « Si on est encore là aujourd’hui, confesse Benjamin Antz-Recalt, c’est aussi parce qu’on a eu la chance de convaincre les acheteurs/distributeurs professionnels et d’avoir leur confiance assez rapidement. On a réussi à se placer dans des points de vente en Amérique du Nord et en Asie. Le territoire qui a mis plus de temps à s’intéresser à nous et sur lequel nos efforts portent à l’heure actuelle, c’est finalement l’Europe. »

Un manquement de la part des professionnels qui peut surprendre chez un créateur parisien conscient de son héritage, comme l’est Benjamin Antz-Recalt. « Autant en Asie, on se sentait capables et prêts à répondre à leurs besoins, reprend-il, autant nous avons été très surpris de percer si vite le marché américain, avec des demandes qui émanaient spontanément de leur part, ce qui est un luxe incroyable pour une marque qui démarre…Pour l’Europe, on préfère relativiser, disons que ça viendra quand ça viendra ! J’ai bien conscience que l’effort doit venir de notre part. »

Un effort qui passe inévitablement par une représentation accrue de la marque dans les médias, des collections percutantes, le tissage de brins d’ADN contagieux, le contrôle de l’image, des propositions audacieuses, les bons partenariats, et prochainement par une première collection Couture…

Autant de défis à mener de conserve dans le détail, sans en oublier l’essentiel et le dessin d’ensemble, dans un métier à fort pouvoir d’attraction où il est prenant de s’éparpiller, et où jouer la montre ne rime pas forcément avec bonnes rencontres.

Benjamin Antz-Recalt tempère : « on se laisse aussi le temps pour réaliser certains de nos objectifs. Bien-sûr, nous avons des impératifs comme dans n’importe quel secteur d’activité. Ce n’est pas non plus une raison pour arriver vite à tous prix. Benjamin [Asslan] et moi-même le savons, et nous nous complétons assez bien, en fait. Nos rôles sont très définis en début de collection…beaucoup moins à la fin », lâche-t-il en riant !

« Benjamin a un univers très radical, très fort et incarné, reprend Benjamin Asslan. On cherche ensemble à développer une mode graphique, ultra définie, on réfléchit à des thèmes en commun, puis, de fil en aiguille, on construit une histoire. Benjamin [Antz-Recalt] s’attelle aux croquis, aux matières, développe sa ligne. On part ensuite en phase de production, puis de communication et commerciale. Ça c’est plus ma partie, même si on échange énormément à chaque étape du process. »

Des charges harmonieusement réparties entre les membres de l’équipe qui doit gérer délais, budgets, stocks matériels, jongler entre les fournisseurs, prestataires de service, la clientèle et les distributeurs sans se départir de sa bonne humeur et de son envie de faire mieux, plus beau, plus percutant, plus séduisant pour demain. « Attention, c’est passionnant !, renchérit Benjamin Asslan. Que ce soient dans les domaines de l’image, de la coupe, des matériaux qu’on utilise pour chaque pièce, on tente à chaque fois d’aller plus loin que la collection précédente. »

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Et Benjamin Antz-Recalt d’ajouter : « J’ai quand même le souci du commercial en tête et de ce qui se vendra. Il ne s’agit pas de faire une mode inaccessible, complètement déconnectée de la logique du marché, qui elle, est devenue globale. Pour chaque collection, on développe un prêt-à-porter luxe avec des produits qui ont une valeur ajoutée, mais qui restent accessibles dans les techniques utilisées dans le sens où ils peuvent être multi-redistribués à l’export, combinables et associables entre eux. En parallèle, on a toujours 2 ou 3 looks Couture saisonniers qui nous servent de colonne vertébrale, travaillés à la main. »

Un mix and match gagnant pour une jeune marque où tout est possible, surtout en regard des récents déboires commerciaux de grands noms établis, comme la maison Jean-Paul Gaultier qui a récemment annoncé arrêter les divisions prêt-à-porter luxe et accessoires au profit d’un recentrement sur la Haute-Couture et les parfums. Les prémisses du chant du cygne pour le couturier à la marinière, star des 80’s et icône dufrench glamour ?

Toutefois, la recherche de rentabilité si cruciale à la bonne santé d’une entreprise peut-elle brider la créativité ? Benjamin Antz-Recalt répond farouchement que non. Pour preuve, son recours à une technique inédite d’impression 3D, réalisée sur foulards, t-shirts ou boutons pour les collections capsules « Cities edition » et « 3D printed Couture », devenue une véritable signature maison !

« C’est vrai, on a été parmi les premiers à proposer ce type de procédé sur un vêtement ou le métal de nos boutons, déclare Benjamin Antz-Recalt. Les nouvelles technologies nous permettent d’innover en permanence  sur les matières premières les plus uniques possibles élaborées en atelier. A l’exception des impressions 3D qui sont réalisées par un prestataire à Londres, toutes nos pièces sont d’ailleurs manufacturées en France. »

« Cities edition, c’est l’idée de porter quelque chose qui soit à la fois exclusif et unique, poursuit Benjamin Asslan. On est partis de notre désir de voir le consommateur personnaliser la pièce de son choix avec la cartographie aérienne de la ville de son choix. Que ce soit sur un t-shirt en jersey quadruple piqûre, ou sur un foulard en soie plastifiée, ou encore sur des boutons de manchette en acier, le client a la possibilité de complètement personnaliser ce qu’il porte et d’ainsi se construire sa propre identité, indépendamment de ce que nous lui proposons. Nous pensons qu’une certaine idée du luxe passe aussi par la liberté du consommateur de porter quelque chose qui lui ressemble, quelque chose de presque secret. »

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Une fascination quasi génétique pour l’aspect scientifique du travail ancestral de l’artisan et ses applications modernes que Benjamin Antz-Recalt voit dans un avenir proche complètement réconciliés. Pour cette jeune génération de créateurs appelés à faire la mode demain, l’imprimante 3D ou le laser sont des métiers à tisser en plus élaborés ! « On a besoin de faire évoluer les techniques, résume le créateur. Le présent et l’avenir doivent se nourrir des prouesses du passé et vice-versa. »

« L’artisanat, c’est la base, reprend Benjamin Asslan. Il ne s’agit pas de renier nos racines, mais d’aller de l’avant, tout nous pousse en ce sens… » Et la « poussée » n’a pas fini de s’accélérer ! A l’automne-hiver 2014/2015, la collection MK/Ultra, hyper graphique, alignait les représentations archétypales échappées de Blade Runner, avec ces « just au corps » en écailles de PVC, bodys glam et Hi-Tech, ou de sculpturales robes drapées noires dignes des icônes hollywoodiennes, Jean Harlow ou la Divine Garbo…

Pour sa collection printemps-été 2015 judicieusement intitulée Mademoiselle Ladyboy, Benjamin Antz-Recalt a imaginé une femme de néon, transgenre, vibrante et électrique. Ses visuels font revivre le cultissime et tokyoïte Lost in Translation de Sofia Coppola. On se verrait déjà porter cette fameuse petite culotte rose…Couture bien sûr !

Autant dire un style symbiotique à l’ADN intelligent, contagieux et adaptatif, à la frontière des modes et des mondes. Une vidéo propre à chaque collection (dont une en HD 4K) enrichissent l’univers visionnaire et mystérieux du créateur, à base de nylon, de plastique, résine, silicone, etc.

Pour paraphraser le dicton, tout vient « au point » à qui sait attendre. Benjamin Antz-Recalt présentera sa première collection Haute-Couture lors de la semaine parisienne en Janvier 2015. On est impatients d’être demain !

(Tous visuels reproduits avec l’aimable autorisation du designer,http://www.benjaminantzrecalt.com/)

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