L’admirable légèreté de l’être
De Marc Chagall (1887-1985), comment ignorer le funambule ? De son shtetl de Liozna à la grande Saint-Pétersbourg, de la Bibles aux hommes, d’une guerre à l’autre, de la rêverie à la fable d’images, de la tradition à l’imagination, de l’empire russe au sud de la France. Autant de visions parvenues jusqu’à nous par les aléas compliqués d’un parcours moins flèche que crochet.
S’il est né Juif en Russie, Paris est son deuxième ciel natal. C’est là qu’il s’installe dès 1910, là qu’il expose en 1914. C’est le Paris de l’amitié, de l’art et de la poésie, de Blaise Cendrars et d’Apollinaire. Chagall y voit un tremplin, mais encore s’immerge dans le bain des courants artistiques qui fluent et refluent à l’orée de la Première guerre mondiale : fin du fauvisme, début du cubisme, orphisme naissant, futurisme balbutiant. Des notes se jouent dans sa tête. Des notes de couleurs. De ce travail psychique s’épanouiront les prochaines extases picturales qui feront de Chagall un créateur neuf, à la fois d’hier et moderne, sans cesse sur la corde.
Après l’avant-garde parisienne, Chagall retourne en Russie, il se marie, peint, et ritualise son quotidien, entre pratique assidue de son art et retour aux sources de son inspiration mythologique, des contes et du folklore judaïques, sans stricte observance, ce Juif qui n’a jamais cessé d’errer se relie dans cette période de Révolution à la culture de sa communauté hassidique.
Vrai hébreu, homme qui doute, en yiddish, en français, Marc Chagall ne s’arrête pas de créer. En 1922, il passe à Berlin, puis rentre à Paris. Sa notoriété ne fait que grandir alors. Il prend la nationalité française, mais l’exil le guette. De fait, l’année 1941 voit sa fuite vers New York, à l’instar de beaucoup d’artistes, d’hommes d’affaires et d’intellectuels d’origine juive qui emportent leurs souvenirs mais laissent derrière eux leurs empreintes.
Telle une particule en suspension dans l’air, Chagall, poussé par les vents, amorce un nouveau pan de son rituel sauvage, avant de retrouver la France et le soleil de Saint-Paul-de-Vence, en 1948 et jusqu’à sa mort.
Un peintre face à la Méditerranée
Les grands artistes le savent, l’acte de créer est une maladie incurable. En effet, que ferait un authentique artiste, connu ou inconnu, sans la possibilité de se délivrer ponctuellement des sentiments fiévreux qui l’animent et le traversent de manière fulgurante, lui commandant impérieusement, parfois douloureusement, de créer ? Chagall a passé la moitié de sa vie sur les routes, à fuir, pour rejoindre un Ailleurs où se reconnaître, avec ses toiles, sa personnalité comme passeport. Un rythme de vie mouvant, facettes et métaphores.
Professeur émérite d’histoire de l’art contemporain à l’université Jean Monnet de Saint-Etienne, et déjà auteur de « L’Expressionnisme » (Citadelles & Mazenod, 2017), Itzhak Goldberg fait parler Chagall. Dans cet ouvrage éponyme, sa critique ouvre la porte au lecteur, familier ou non de l’œuvre du peintre, sur l’univers unique du maître.
Au cours de chapitres chronologiques, il met en exergue l’art de la composition, la richesse chromatique, la recherche thématique du sujet, de la transparence, du religieux, de l’Idéal…
La beauté iconographique du livre, qui recèle plus de 350 illustrations couleur, tutoie la perfection. Ce « Chagall » indispensable remet le peintre au centre de l’attention, là où le place son art, entre le public et l’idée d’un Absolu.
(« Chagall », éditions Citadelles & Mazenod, de Itzhak Goldberg, Coll. « Les Phares », 350 ill. couleur, sous coffret illustré, sortie avril 2019, 384 pages, 189€ ; tous visuels reproduits avec l’aimable autorisation de l’éditeur)