A ce titre, et avec le but d’asseoir un art du passé dans l’ère de la modernité, les motivantes éditions Terre Bleue viennent de sortir Dior, 30 avenue Montaigne.
300 pages d’un univers feutré et mystérieux, à mi-chemin entre le livre d’art et le témoignage. Dans le rôle du témoin, du passeur ou du guide : l’œil de Gérard Uféras. Photographe par passion et curieux insatiable, Gérard Uféras sillonne la planète depuis plus de vingt ans à la recherche de l’instant perdu, du cliché, de l’expression, ou du portrait qui fera sens. Lauréat du prix « Villa Medicis hors les murs » en 1990, il entame dès 1988 une odyssée qui le mènera à shooter, de la corde au grenier, en passant par la scène et les répétitions, dans les secrètes coulisses des temples de l’art lyrique. Un travail de dame cousette, brodant à fleur de pages, de Paris à Moscou, les hauts faits d’âme de l’opéra.
Publié en 2001 aux éditions du Collectionneur, «Un fantôme à l’Opéra » témoigne de ce parcours photographique hors norme. L’opéra : une évidence pour cet amateur de belles musiques, de noir et blanc, d’histoires et de voix. La sienne, celle avec un e, continue sur les sentiers de l’itinérance et du coup de cœur. En 2009, à Paris, la Maison Européenne de la Photographie lui consacre la rétrospective « Etats de Grâce ». Quand, à l’été 2010, l’Hôtel de Ville de Paris présente l’exposition bien nommée « Paris d’amour » ! Revoici donc tout naturellement Gérard Uféras avec un sujet éminemment parisien : la couture et ceux (et celles) qui la font.
Dior, 30 avenue Montaigne symbolise la quintessence de ce travail exigeant et pose, au fond, une question simple : la beauté est-elle utile à l’homme ? Pour y répondre, Gérard Uféras n’use pas de mots, les textes de Jérôme Hanover sont là. Uféras n’est pas écrivain. Ses outils sont des plus éphémères : l’attente, le déclic, la grâce. Une forme de sainte trinité qu’il promène dans les couloirs et sur les tapis de la mythique adresse, à portée de l’ombre bienveillante de son fondateur, Christian Dior. On imagine sans peine ce dernier, éternel jeune homme, plaisanter avec Gérard sur le tombé d’une jupe, le pli d’une veste, ou la signification cachée de tel grigri cousu dans l’ourlet d’une étoffe, les mains pleines d’aiguilles, de fils et de trèfles à quatre-feuilles…Car la chance baigne ce recueil comme elle gâte l’insolente santé financière et artistique de la maison Dior, loin des polémiques de comptoir…
Tout le talent sensible du photographe est ainsi de donner à ressentir les sens, dépourvus de la mallette du vocabulaire. Ici, la virgule d’une dentelle. Là, l’apostrophe d’un ruban. Voici l’exclamation d’un talon aiguille ! Et là, le crochet d’un ciseau ! Épiphanie d’un monde où tout n’est que majuscule…Des primes croquis à leur réalisation, les essayages, les doutes, la tension fébrile, la fabrication du rêve…On aurait pu en faire un film, tourné à la manière de « La Danse, le ballet de l’Opéra de Paris » (2009) par Frederick Weiseman. Le défilé des photos, prises en janvier 2012 lors de l’élaboration de la collection printemps/été, sous la houlette du discret Bill Gaytten, et avant l’arrivée du nouveau directeur artistique Raf Simons, n’en est que plus émouvant, quelque part entre une porte qui se referme et une autre qui s’entrouvre…La beauté est-elle utile à l’homme ? Ce livre témoigne en images que oui.
(« Dior, 30 avenue Montaigne », photographies par Gérard Uféras, textes de Jérôme Hanover, éditions Terre Bleue, sortie novembre 2012, 49€)