Abstraction
Disparu en mai 2016 à l’âge de 90 ans, François Morellet n’a cessé toute sa vie d’artiste de développer un langage minimaliste de la forme dénué de représentation du réel tout en voulant simplifier le plus possible l’expression plastique.
Après des débuts figuratifs, il découvre au début des années 1950 l’abstraction par l’intermédiaire de Pierre Dmitrienko, les œuvres de Paul Klee et de Piet Mondrian influencent ses recherches formelles avec un langage de formes épurées et une palette de couleurs restreinte, il subira les influences de Max Bill et de son art concret, mais aussi des arts premiers et de la géométrie arabisante de l’Alhambra de Grenade.
En parallèle à sa carrière artistique, François Morellet dirige l’usine de jouets familiale qui lui permet d’acquérir son indépendance financière, lui permettant de penser librement son art. Il disait d’ailleurs à ce sujet :
« Mais j’avais d’autres moyens de gagner ma vie : ça permet d’être plus radical, comme Duchamp ou Cézanne. On n’a alors aucun mérite à faire des œuvres plus dures, le seul mérite qu’on a, c’est de continuer à en faire. »
Amitiés artistiques
L’exposition, conçue en collaboration du vivant de l’artiste, revient sur les premières périodes de son œuvre (des années 1950 aux années 1980) et met en scène l’intimité de sa collection personnelle, complétée de quelques prêts exceptionnels d’institutions et de collectionneurs. Une cinquantaine d’œuvres emblématiques dialoguent ensemble au 1er étage du musée, Morellet échange ici sur l’art avec ses compagnons de route tels Ellsworth Kelly, Sol LeWitt , Victor Vasarely, Josef Albers, Piero Manzoni, Bertrand Lavier et bien d’autres…
Peintures, sculptures, gravures, lumières et croquis plongent le visiteur dans les différents modes de création de l’artiste en quête constante d’expérimentation où il interroge en permanence les conditions de notre expérience visuelle pour mieux la remettre en cause.
L’exposition accueille le visiteur avec la structure cubique blanche de Sol LeWitt et la peinture « Two panels : Blue Yellow », deux monochromes d’Ellsworth Kelly, deux artistes américains qui ont suivi les mêmes recherches que leur ami français où le sentiment est absent de la création. En 1957, Morellet peint à l’aide de caches la structure de damiers « 3200 carrés », cette composition aboutit à une recherche de la neutralité évoquée par son harmonie et son absence de contraste.
Il rejoint, en 1961, le Groupe de Recherche d’Arts Visuels (GRAV) où il s’intéresse avec ses amis à la perception visuelle de l’œuvre, la sculpture « sphère-trame » est un enchevêtrement de tubes métalliques formant une sphère, tandis que ses « trois grilles se déformant » est une installation de structures de métal formant trois damiers qui se dilatent et se contractent dans l’espace grâce à un mécanisme électrique. A cette même période, il est l’un des pionniers, avec Dan Flavin aux États-Unis, à utiliser la lumière électrique du néon, un nouveau médium immatériel qu’il intègre dans « Quatre panneaux avec quatre rythmes d’éclairage interférents », une œuvre qui met à rude épreuve la vision à cause de l’intensité des flashs lumineux.
A Milan, François Morellet expose dans les années 1960 au sein de la galerie de Manzoni (artiste pionnier de l’Arte Povera et de l’art conceptuel). Cette rencontre nourrit une anecdote croustillante et remarquable du comportement singulier comme de la personnalité de Morellet. Manzoni va lui acheter une œuvre qui ne lui paiera jamais ! Le français repasse une année après, voir l’Italien pour lui réclamer son dû… les deux artistes tombent d’accord pour un troc… Morellet repart alors avec deux boîtes de « merde d’artiste » qui lui serviront dès lors de référence-valeur :
« J’en ai suivi la cote : sur le marché de l’art aujourd’hui, ça vaut 100 000 €. Donc lorsque je vends une œuvre 70 000 € chez Sotheby’s, ça n’est même pas le prix d’une boîte de merde. La boîte de merde à 100 000 €, ça m’aide avec les euros. »
Fantôme
En 1982, la ville de Chambéry passe à l’artiste une commande publique pour son musée. Morellet propose de faire une relecture de l’histoire de l’art avec « Le fantôme de Malevitch » qui fait référence avec une certaine ironie à l’œuvre de l’artiste abstrait russe « carré blanc sur fond blanc » datant de 1918. Les coins d’un carré blanc incliné en marbre de Carrare s’insèrent dans les niches de la façade et de l’ancienne entrée du Musée des Beaux-arts, le visiteur ne rentrant plus dans le musée, mais entrant directement dans l’œuvre d’art !
Inventeur de systèmes où il fixait ses propres règles sans jamais y déroger, François Morellet demeure un chercheur d’art qui est allé explorer la limite de l’essentiel. Il fut un passionné de musique qui avait le goût de l’improvisation en jazz, un jeu qu’il avait dilué dans ses compositions géométriques avec des notes d’absurdité, d’humour décalé, le tout dénué de message.
A noter, François Morellet fera l’objet, en 2017, d’une exposition à la Monnaie de Paris, puis à la Dia Art Foundation de New York, temple de l’art abstrait.
(« François Morellet et ses amis » au Musée des Beaux-Arts de Chambéry, du 3 décembre 2016 au 2 avril 2017, http://www.chambery.fr/206-musee-des-beaux-arts.htm ; tous visuels copyright Stéphane Chemin)