Chroniqueur, scénariste de bandes-dessinées, créateur tous azimuts et, depuis quelques années, présentateur d’une émission télé à succès, l’histrion transalpin s’est fait un nom en cuisinant ses intrigues de polars al dente…et la sauce prend ! Co-fondateur du groupe 13, acoquiné à quelques uns des plus dangereux ragazzi du roman noir habitués à vous trousser des intrigues diablement retorses, Lucarelli s’est surtout imposé à l’amateur français à grands tirs romanesques prolixes. Ainsi de « Almost Blue », 2001 ; « Via delle Oche », 1999 ; ou « Phalange Armée », 1996, tous disponibles chez Gallimard. Mais c’est à l’emblème de la salamandre Métailié qu’il nous impressionne le plus, avec un dernier roman en forme de manifeste, paru à la rentrée : « La huitième vibration ».

"La huitieme vibration" de Carlo Lucarelli - Editions Métailié

« La huitieme vibration » de Carlo Lucarelli – Editions Métailié

Janvier 1896. Un régiment, version adulte des pieds-nickelés, débarque en Erythrée, alors colonie italienne, bientôt théâtre d’affrontements aussi sanglants que dérisoires. On le savait, toute guerre est vaine. Celle-ci pourrait en être la mise en abîme grotesque, tant les gens et les gestes que l’auteur nous montre à voir apparaissent s’agiter dans le vaste monde qu’un pathétique destin poursuit. Soleil de la terre d’Afrique qui pourrit au lieu d’éclairer. Cuir des peaux aussi superbe qu’élimé. Langues tribales, dialectes cinétiques, aphorismes barbares que plus personne ne comprend. Sangs versés sur lesquels nulle plaie ne suture tout-à-fait. C’est à un tableau baroque et absurde que nous convie Lucarelli, saturé de lignes de fuite et de gouaches ténues. Une réflexion à immoler sur l’autel du lecteur inconnu qui regarde, sans comprendre, des hommes de papier se battre, s’affronter, s’aimer dans une valse triste, suivant le tournoiement interminable d’une enfant qui danse sans fin ni partenaire…Le livre s’ouvre sur une phrase extraite de « Au cœur des ténèbres » de Joseph Conrad, pour se terminer, à la manière d’une énigme, sur une sentence de l’écrivain éthiopien Tsegaye Gabrè Mehdin. Filiation secrète entre ces regards convergents encadrant le texte comme de bons génies. « La huitième vibration » erre dans cet entre-deux.

(« La huitième vibration » de Carlo Lucarelli, éditions Métailié, traduit de l’italien par Serge Quadruppani, sortie le 19 Août 2010, 380 pages, 21€)