« Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans… » égrène le texte d’un air célèbre. Un refrain en forme d’élégie tant le siècle que photographia Willy Ronis (1910-2009) nous revient, à travers son œuvre, sous le prisme réfléchi d’une fredaine enfuie. Enfant du Paris populaire, des piqueurs et des trotteuses, Willy Ronis se destine dès le berceau à témoigner en noir et blanc d’un siècle pas tout rose.
Membre du groupe des XV, pilier de l’agence Rapho, celui qui fut proche de Capa, Seymour, Doisneau, Kertesz ou Brassaï fut, toute sa vie et selon son souhait, « le contraire du spécialiste ». Polygraphe attrape-tout et observateur compulsif, Ronis réalise ses premiers clichés avec la fraîcheur de regard du touriste dans sa propre ville. Son père ne l’avait-il pas, au sein du petit atelier familial, sensibilisé à l’art délicat du portraitiste ? Or, débarrassée de la pose, la moindre vision quotidienne n’est-elle pas, aussi, un portrait ?

« Le Siècle de Willy Ronis », éditions Terre Bleue – « Place Vendôme », 1947, agence Rapho ©Willy Ronis
Les quelques 300 photos sur 432 pages, dont un tiers d’inédites rassemblées dans ce Siècle de Willy Ronis, affirment l’implication de passionnés à faire œuvre de passeurs envers ce qui constitue sans doute un portrait unique du 20è siècle. Que d’images, que d’instantanés éphémères par la durée et éternels pour l’art, qui voyagèrent dans le regard intérieur d’un homme libre avant d’accéder, pour les plus fameux, à une notoriété quasi sainte dans le monde entier !
Briguant l’exhaustivité, l’ouvrage s’appuie sur une biographie de Willy Ronis, écrite par Françoise Denoyelle et documentée de ses entretiens avec l’artiste. Le catalogue de l’œuvre suit d’ailleurs un balisage raisonné : des premières photos aux clichés mythiques en passant par les curiosités, les reportages oubliés et plusieurs pépites, le tout scanné d’après le négatif ou le meilleur positif. De Paris à la Provence. Des hauteurs de Belleville au couchant de l’intime. Comme cette image, peut-être la plus célèbre, celle de sa femme procédant nue à sa toilette dans le confort spartiate de leur masure de Gordes, à l’été 1948…Un nu secret capturé à la vitesse des jambes et du Rolleiflex, quatre photos, pas plus, et une minute pour accéder à la postérité…Qui a dit que le talent devait forcément être impayé ?
(« Le Siècle de Willy Ronis », textes de Françoise Denoyelle, éditions Terre Bleue, sortie novembre 2012, 65€)