Féminité ou féminitude ? La société de consommation exploite les besoins actuels du« regendering ». Par ce terme anglo-saxon, on stigmatise une des tendances profondes des pays industriels à segmenter de plus en plus clairement les genres. Marquer fortement la virilité, souligner sans ambiguïté les attributs féminins, sans oublier ce troisième sexe émergent : un mix archétypal de l’homosexualité. De ce fait, peut-on parler, à l’issue de décennies de luttes féministes, du grand retour de la « femme-femme » ? En tout cas, existe à présent une envie réelle d’hyperféminité qui maquille, sous des atours faussement superficiels, un virage capital dans le registre des revendications féminines.

Dur, dur, d’être une femme, avant-hier, hier et aujourd’hui. C’est à tout le moins ce que pensent les bien –ou mal- pensants des milieux sociologiques et féministes confondus. Car voici que s’affrontent sur le ring commercial, sans la boue de circonstance, deux populations antinomiques : la « phallic girl » et la « femivore ».

La première, dixit Angela McRobbie, universitaire britannique, est « l’archétype de la féminité post-féministe, celui de la phallic girl, qui, tout en affichant là encore une féminité classique et aguichante – mini-jupe, talons aiguille, décolleté plongeant –, adopte un comportement traditionnellement réservé aux hommes ».

Helmut Newton

Helmut Newton « Tied-Up Torso », Ramatuelle, Copyright Helmut Newton Estate

La seconde est incarnée, de façon caricaturale, par l’américaine Shannon Hayes. Celle-ci, cuirassée de diplômes, a choisi le retour quasi autarcique à la maison, verte en l’occurrence (rénovation écolo avec panneaux solaires). Dans son sweet home, elle fabrique ses savons, éduque elle-même ses fillettes, jongle avec les marmites et joue la marchande de quatre saisons sur les marchés du coin. Fidèle à l’esprit américain, la petite coquine est très à l’aise avec la contradiction hypocrite de son mode de vie. En effet, auteur comblé d’un manifeste pour vie frugale : « Radical homemakers », elle se fait la vitrine d’un nouveau combat où foyer rime avec deniers.

Les Québécois s’inquiètent. Pire, ils sont troublés. La multiplication des Lolitas, la prolifération des Betty Boop pré-pubères et autres bimbos ado-naissantes, interpellent tout le monde, féministes en tête. Pour preuve, documentaires, articles, études et bouquins s’accumulent, rivalisant de théories, culpabilités, remèdes et pronostics. Plus à l’Est, à croire que la société a perdu le nord, la Norvège a décidé de pourfendre ce qu’elle considère comme la « sexualisation de l’espace public ». Le reproche de ces deux nations, toutes deux partageant des idées communes de libéralisme et d’avant-gardisme, orbite autour de la double question ambigüe, voire inconciliable, d’éthique et de business. Une spécialiste en communication et un avocat éthicien, Mariette Julien et Michel Dion, ont formalisé ces inquiétudes sociales à travers un ouvrage duo (« Ethique de la mode féminine », Editions PUF, 2010) s’articulant autour des questions suivantes : peut-on faire cohabiter éthique –ou moralité – avec compétitivité ? Un artiste, un designer, a-t-il une responsabilité sociale ? Autant d’interrogations centrées sur l’impact possible du G-string, de la mini-jupe, des chandails bedaines, et autres fanfreluches sexy, sur la sexualisation précoce des tweens.

Guy Bourdin

Guy Bourdin

Néanmoins, gare !, la confusion est facile, et trompeuse, entre mode hypersexuée et séduction outrancière, voire précoce. Il ne faut surtout pas sous-estimer les aptitudes critiques des ados. Ni leurs aspirations romantiques d’ailleurs ! Se sentir femme, afficher le programme et attirer les spectateurs, ne signifie pas ipso facto être la vedette d’un film porno. Il semble plutôt, aujourd’hui, que le souffle féministe se faisant plus court, la nouvelle quête de la femme concerne rien de moins que son épanouissement global au sein d’une identité enfin assumée, y compris dans ses paradoxes les plus intimes. Et, une quête, comme chacun sait, peut débuter très tôt et durer toute une vie !

Man Ray "Venus"

Man Ray « Venus 71 »

Elizabeth Azoulay s’est fait ethnologue de la beauté. Son ouvrage (« 100 000 ans de beauté », Gallimard, 2009) traite de l’obsession humaine de la beauté et de son médium privilégié : le corps. Langage culturel, à la fois universel et idiosyncrasique, il transporte les métaphores de l’extrême et la soif d’absolu. La beauté contemporaine est une équation composée de tous les codes du passé. La résultante, comme le résume Jolanta Bak, présidente d’ « Intuition » (société de conseil en innovation), montre que « l’archétype de la wonder woman a vécu ». Selon elle, la femme se réinvente une beauté unique, très composite, et exige des réponses – et des produits – adaptées. Même discours dans la bouche du sociologue Gilles Lipovetsky : « les femmes font aujourd’hui une synthèse du corps et de l’esprit, du travail et de la vie privée, cette nouvelle synthèse est celle du passé et du présent ».

Déjà, en 1991, Paule Salomon prophétisait l’avènement de cette nouvelle ère, celle de la « femme solaire » qui mettrait un terme définitif à la guerre des sexes. A cet instant, l’air obsédant de la chanson de Trenet me rappelle poétiquement que « le soleil a rendez-vous avec la lune »…