C’est qu’en 270 pages et quelques notes, l’ami Bellamy botte en touche avec ce portrait passionnant d’une grande artiste, pianiste aux doigts d’or et à la crinière de gitane, au tempérament de feu et au jeu aussi lumineux que son caractère s’affirme tel qu’en lui-même au lecteur : ombrageux, syncopé, et lunaire. Nourrie d’anecdotes à déguster comme autant de friandises, cette première biographie de Martha Argerich (sortie au printemps dernier, chez Buchet-Chastel), aurait pu ne jamais voir le jour. Trop d’impondérables ralentissaient sa concrétisation. Et un obstacle de taille : le refus initial de sa principale interprète. Il faudra tout le doigté et l’admiration sans bornes de son auteur pour lever enfin les réticences d’une femme qui rechigne à se livrer, la rassurer et la conforter dans ses « confidences ».
Foncièrement farouche, comme le sont les vrais enfants, Martha se contentera de quelques mots, trois fois rien, pour sceller cet accord tacite. De son enfance dans une Argentine contaminée par la fièvre pianistique, aux premiers triomphes européens, de ses études viennoises avec le grand Friedrich Gulda jusqu’à la consécration internationale, en passant par les amours, les amitiés à la vie à la mort, les deuils, c’est à la sarabande d’un parcours unique que nous convie Bellamy. Car tantôt statufiée, tantôt implorante, la petite Marthita y est surtout entraperçue dénudée, croches à vif, et se dessine en creux le profil d’une femme que la musique transfigure. Une icône des arpèges, portée par la voix incendiaire de ce qui se joue. On n’aurait pas de mal à lui trouver un avatar parmi le cortège de ces saintes bibliques, à l’écoute de la parole divine. Mais surtout, Martha Argerich s’y voit dépeinte sans chichis ni congratulation excessive. Le livre renvoie l’humaine à ses contradictions et ses zones d’ombre, et l’artiste à sa Vérité. Cette partition-là est des plus fines.
(« Martha Argerich. L’enfant et les sortilèges », d’Olivier Bellamy, éditions Buchet-Chastel, sortie le 18 février 2010, 288 pages, 23,35€)