Durant la modernisation du lieu, l’immense collection du peintre n’est pas restée dans les placards. L’exposition itinérante a circulé à travers le monde et fut organisée par l’ancienne directrice du musée, Anne Baldassari. Le but ? Trouver le financement des travaux d’embellissement du musée (54 millions dont 19 millions d’euros à la charge de l’Etat), et le succès est au rendez-vous ! Madrid, Milan, Abu Dhabi, Tokyo, Hong Kong, Moscou, New York… soit 20 expos en 3 ans : Picasso attire telle une rock star, il a le pouvoir d’attraction de Mick Jagger, il fascine encore et toujours.

Autoportraits de Picasso, 1901 et 1906 ; "le jeune peintre" de Picasso, 1972

Autoportraits de Picasso, 1901 et 1906 ; « Le jeune peintre » de Picasso, 1972

Suite à la mort de l’artiste en 1973 et à l’immense héritage légué en dation à l’Etat français par ses ayants-droits (loi qui permet à la famille de pouvoir payer les droits de succession en œuvres d’art, l’Etat se portant ainsi « héritier » à hauteur de 20% d’un fantastique legs), le gouvernement de l’époque choisit de transformer en musée une perle du quartier historique du Marais à Paris : l’Hôtel Salé, aménagé et restauré pour accueillir le public par l’architecte Roland Simonet. Le musée ouvre en 1985. En 2009, il ferme ses portes. L’établissement n’est plus aux normes et subit cette même année le vol d’un carnet de dessins qui se trouvait dans une pièce dépourvue de système de vidéo surveillance.

L’architecte Jean-François Baudin est choisi pour réaménager le lieu en maximisant l’espace d’exposition, tout en respectant les travaux de ses prédécesseurs. Treize salles supplémentaires ont de fait été dégagées pour multiplier par deux le nombre d’œuvres exposées. La surface d’exposition passe alors de 1600 à 3800 m2 sur cinq niveaux de circulation. Le musée s’est doté de nouveaux systèmes d’accrochages (cadres invisibles, système anti UV, etc.), la sécurité qui faisait défaut a été repensée ainsi que l’accessibilité et la conservation des œuvres.

Le résultat ? Le visiteur semble rentrer dans l’intimité du maître et lire son journal intime à cadre ouvert. On circule dans des espaces revisités, refaits à neuf pour ce nouvel aménagement. On peut à présent découvrir 500 œuvres des plus  confidentielles parmi les 5000 pièces et archives de la plus grande collection au monde de Pablo Picasso.

Un musée et des muses

Phase 1, la rénovation permet une circulation plus fluide et propose un parcours naturel aux lignes minimalistes. L’espace scénographique insuffle de la vie aux œuvres, la respiration se fait de salle en salle.

Etudes pour les "Demoiselles d'Avignon" de Picasso, 1907

Etudes pour les « Demoiselles d’Avignon » de Picasso, 1907

Phase 2, c’est le choix de la chronologie qui a été retenu par la curatrice et ex directrice du musée, Anne Baldassari. Et qui dit Pablo Picasso, dit les femmes qui ont marqué de leur aura sa vie et son œuvre. Ce parti-pris n’est pas anodin. Il présente les différentes facettes de la création en train de se faire. Les femmes qui ont vécu avec Picasso peuvent être représentées de façons différentes, entre figuration, déstructuration et abstraction souvent dans une période condensée, les styles différents se juxtaposent pour faire écho dans l’espace et dans les têtes.

"Portrait d'Olga dans un fauteuil" de Picasso, 1918 ; "Nu sur fond blanc" de Picasso, 1927

« Portrait d’Olga dans un fauteuil » de Picasso, 1918 ; « Nu sur fond blanc » de Picasso, 1927

Picasso, l’éternel chercheur a déconstruit tout au long de sa vie ce qu’il avait apprit et acquis. La scénographie respecte le cubisme qu’il avait découvert et développé (une représentation d’un sujet sous toutes ses faces sur un support en 2 dimensions), une mise en scène qui reflète toutes les richesses de styles de l’artiste qui apparaît comme un explorateur des formes plastiques en quête de révolution perpétuelle. Des périodes différentes exposées en contraste qui s’entremêlent, se répondent et dialoguent merveilleusement.

"Portrait de Françoise" de Picasso, 1946 ; "Jacqueline aux mains croisées" de Picasso, 1954

« Portrait de Françoise » de Picasso, 1946 ; « Jacqueline aux mains croisées » de Picasso, 1954

Le réaménagement du musée Picasso rend aussi à sa manière hommage aux lieux où a vécu le peintre : les volumes du bâtiment font écho à ses différents ateliers, par exemple la charpente apparente des combles rappelle l’atelier des grands Augustins (Paris 6e) ou celui de Boisgeloup (Gisors, Normandie).

Combles aménagée, salle dédiée à Cézanne

Combles aménagées, salle dédiée à Cézanne

La grande nouveauté de cette réouverture est à chercher dans les combles, occupés jusqu’en 2009 par l’équipe administrative. On y confronte l’artiste face à sa collection personnelle d’art premier et de toiles de maîtres : Renoir, Cézanne, Van Dongen, Le Douanier Rousseau, Braque et enfin Matisse, l’alter ego contemporain de Picasso. Ces artistes l’ont inspiré, nourri sa sensibilité et l’ont poussé à se réinventer et à être libre tout simplement.

Combles aménagée, salle dédiée à Matisse

Combles aménagées, salle dédiée à Matisse

Le sous-sol a encore été restructuré et met l’accent sur la sculpture assemblée, découpée, modelée et peinte. La photographie est présente également, non pas Picasso photographe mais en tant qu’acteur de la composition photographique, une façon à lui de rendre vivantes les sculptures.

"La gueunon et son petit" de Picasso, 1951 ; "Femme aux bras écartés"de Picasso, 1961

« La guenon et son petit » de Picasso, 1951 ; « Femme aux bras écartés » de Picasso, 1961

Le musée Picasso est enfin le plus grand musée dédié à l’artiste d’origine espagnole dans le monde et interroge les relations des œuvres entre elles et le visiteur avec intelligence. On pourrait résumer ce musée avec cette citation de l’artiste : « Quand j’étais enfant, je dessinais comme Raphaël mais il m’a fallut toute une vie pour apprendre à dessiner comme un enfant ».

Picasso a fait le choix de s’émanciper de son savoir technique pour aller aux sources de la création et n’a cessé de déconstruire le réel pour mieux le recomposer.

Malgré l’absence de notes explicatives pour chaque œuvre sur les murs, le visiteur se confronte aux muses multiples et à l’imagination absolue et sincère de Picasso, dans le sillage créatif duquel tout semble être en perpétuelle réinvention et où rien n’est figé. On ne peut rester indifférent face à tant de froissement et de chevauchement créatif. Une porte se ferme, une autre s’ouvre. L’art de Picasso comme l’art en général a pour but d’éveiller l’âme et nous aide à comprendre le monde.

6 questions à Laurent Le Bon, Président du musée Picasso

Laurent le Bon, Président du Musée Picasso

Laurent le Bon, Président du Musée Picasso

 

Le Mot et la Chose : Laurent Le Bon, vous étiez précédemment Directeur au Centre Pompidou-Metz et, depuis juin 2014, vous assurez les mêmes fonctions au sein du musée Picasso. Vous êtes aussi connu pour vos curations audacieuses en matière d’art contemporain. Quelle est votre vision de l’art avec un grand A ?

Laurent Le Bon : En tant qu’historien de l’art, je suis surtout un spécialiste des jardins du 17e siècle. J’ai toujours pensé que l’art dit « contemporain » ne fait sens que si l’on apprécie aussi Vermeer, par exemple, et que ça n’empêche pas d’apprécier Daniel Buren, au contraire. Les deux peuvent se répondre. Vous savez, l’art contemporain est par essence chronologiquement indéfinissable. Chacun a son idée de dire où il commence. Pour ma part, le cirque médiatique autour de la douzaine de stars de la spécialité m’importe peu. Picasso, c’est de l’art avec un grand A, comme l’est pour moi celui de Jeff Koons.

MC : Vous créez pourtant la controverse dans les années 2000, puisque vous serez successivement commissaire des expositions Jeff Koons, Takushi Murakami et Xavier Veilhan au château de Versailles. Vous contribuez donc aussi à ce « cirque médiatique » en le mettant au premier plan ?

LLB : Bien sûr, l’art de ces artistes est un art que j’aime et que j’apprécie en tant que spectateur. On peut dire que leurs modes d’expression me parlent. En revanche, le risque avec le buzz généré par ces grands artistes serait qu’on en oublie le reste de la création. Rien qu’à Paris actuellement, il y a environ 10 000 artistes qui peignent, qui sculptent, qui s’expriment avec leurs moyens. On peut les rencontrer, voir les expos de certains, interagir avec eux pour découvrir d’autres facettes de la scène artistique, certes moins médiatique mais néanmoins essentielle, si l’art est quelque chose qui vous intéresse ou vous concerne. Il ne faut pas les oublier.

MC : Quelle place doivent tenir selon vous les institutions culturelles auprès du public, en France et à Paris ?

LLB : Aujourd’hui, on rencontre une forme de schizophrénie entre des lieux magnifiques, toujours plus impressionnants, qui servent d’écrin à des œuvres d’exception, et leur « rencontre » avec le public. On pourrait parler du musée Picasso à l’Hôtel Salé, mais aussi du château de Versailles ou de la Fondation Louis Vuitton à Boulogne. Le danger étant d’installer un art coupé de la société. Le Centre Pompidou à Paris est d’ailleurs le premier musée à avoir été d’emblée dans une logique ouverte sur la ville et dans une libre circulation des personnes. C’est triste à dire, mais 40 ans de politique culturelle post-Malraux, et la démocratisation culturelle est toujours un combat ! Notre but, au musée Picasso, c’est clairement que les gens viennent, puis reviennent.

MC : Le musée Picasso a rouvert ses portes en octobre 2014 après 5 ans de travaux. Que souhaitez-vous insuffler aux gens qui découvrent ou redécouvrent l’endroit ?

LLB : Ce qui est d’abord frappant pour le visiteur, à mon sens, c’est combien on croyait connaître ces œuvres de Picasso, et combien on les redécouvre en fait. C’est ensuite cette idée d’une rénovation-métamorphose d’un monument historique avec des strates, qui reposerait sur un socle culturel puissant, car rappelons-le, ce musée abrite la plus grande collection publique des œuvres de Picasso au monde.

Pour le dire avec des chiffres, l’art de Pablo Picasso s’exprime désormais dans toute sa majesté sur 5 niveaux, 1000 m² supplémentaires, 37 salles, pour un parcours de visite qui peut se faire en 1, 2 ou 3 heures selon le goût de chacun, avec un café, une librairie. Notre volonté, c’est d’apporter aux gens qui viennent voir les œuvres du plaisir. Si, en plus, on peut les intéresser à l’architecture et les faire réfléchir, c’est la cerise sur le gâteau !  

MC : Finalement, Pablo Picasso n’est-il pas aussi un artiste contemporain ?

LLB : Je crois, absolument. Picasso est le témoin, s’il en fallait un, qu’un artiste doit se nourrir des modes qui passent en se tournant vers l’avenir. Prenons l’exemple de ses dernières toiles, vers 1965-1970, qui ont soulevé un tombereau d’injures de la part de la critique de l’époque et qui sont aujourd’hui considérées comme des chefs-d’œuvre, à l’instar encore des Demoiselles d’Avignon que la France n’a pas su retenir…

MC : Après la réouverture, quels seront les prochains temps forts du musée Picasso ?

LLB : Ma première mesure en tant que Directeur du musée a été de faire retirer la pergola du jardin qui ne faisait pas l’unanimité. Par la suite, étant passionné des jardins, je prévois de travailler avec le paysagiste pour tenter de reconstituer le lopin jardiné du 17e siècle qui allait jusqu’à la rue Vieille du Temple derrière nous. C’est une prochaine étape, que j’espère voir se réaliser à l’horizon 2016.

Côté culturel, en septembre 2015, le musée Picasso fête ses 30 ans, puisqu’il a ouvert en 1985. A cette occasion, nous nous associons au Grand Palais et à la Réunion des musées internationaux autour d’une expo temporaire sur Picasso et l’art contemporain, pour justement montrer l’absolue contemporanéité, le génie de l’accrochage dont il a fait preuve à travers ses dizaines de milliers d’œuvres. Plus que moderne ou contemporain, Picasso était un artiste. Ce qui est sans doute le métier le plus difficile au monde, parce qu’il n’est commandé que par cette idée simple que, quand vous vous levez, vous allez devoir créer quelque chose.

Et je crois d’ailleurs que la réouverture du musée d’une part, et l’expo qui se prépare au Grand Palais en 2015 d’autre part, seront, au-delà du public curieux ou initié, comme un défi lancé pour bon nombre d’artistes contemporains qui vont s’y confronter !

(Musée Picasso Paris, Hôtel Salé, 5 rue de Thorigny, 75003 Paris, http://www.museepicassoparis.fr/)

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